Lentement mais sûrement, Israël s’enfonce dans le piège que lui a tendu le Hamas, et, de ce fait, il doit s’attendre à devoir affronter des jours sombres, quelque chose qui ressemble à l’heure de vérité et qui mette en balance l’avenir de ce petit pays créé il y a soixante-quinze ans, et qui affectera aussi la sécurité des communautés juives dans le monde.
On n’a pas fini en effet de mesurer les conséquences de la sinistre opération montée de longue main par le Hamas. Pour celui-ci, qu’on le veuille ou non et quoiqu’il lui arrive dans les prochaines semaines, c’est une victoire majeure. La question palestinienne est, de son fait, redevenue d’actualité et il peut revendiquer désormais d’être le chef de file des ambitions palestiniennes.
À Gaza sous les bombes, il tient le pouvoir politique. En Cisjordanie, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que son influence s’affirme de jour en jour face à l’impuissance de l’Autorité palestinienne, et en Israël même, la population arabe, qui connaît des difficultés croissantes de cohabitation avec la population israélienne, commence à se tourner vers lui.
On peut s’inquiéter d’une situation où le peuple palestinien aurait fait son unité, tant espérée par le passé, non plus autour du projet initié par Arafat et porté par ses successeurs, d’un État palestinien vivant en paix avec Israël, mais autour d’un projet de destruction d’Israël. Pourtant, c’est bien l’objectif du Hamas tel qu’il résulte de sa charte. Par essence, le Hamas n’est intéressé par aucune solution politique.
Netanyahou, de son côté, a toujours été radicalement hostile à l’idée d’un État palestinien. Déjà lors des élections législatives de 1996, après l’assassinat d’Itzhak Rabin, il avait axé toute sa campagne électorale contre le processus d’Oslo que défendait Simon Perez. Depuis lors, il n’a eu de cesse d’y mettre un terme, pour finir aujourd’hui par s’allier aux forces politiques de l’extrême droite, les mêmes qui ont fait tomber Rabin il y a près de trente ans. Depuis le 7 octobre et l’attaque du Hamas, il n’a pas prononcé un seul mot qui pourrait laisser à penser qu’il aurait renoncé si peu que ce soit à son projet désormais engagé d’annexion de la Cisjordanie.
Ainsi pour le Hamas et pour Netanyahou, le projet, c’est la guerre jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à l’élimination de l’adversaire. Il n’y a aucune conciliation possible.
Force est de constater que ce qu’on appelle «la communauté internationale» ne fait pas grand-chose pour séparer les deux adversaires et imposer la seule solution possible à ce conflit, c’est-à-dire la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967. Et s’il en est ainsi, c’est pour plusieurs raisons. Il y a d’abord l’ivresse de la vengeance et la force des idéologies qui créent sur un climat de fureur et de haine qui peut paraître irrésistible, aussi bien en Israël où l’union nationale a effacé jusqu’à présent tout esprit de réflexion, qu’en Palestine où il n’y a guère d’interlocuteur crédible pour la paix.
Les Européens, à l’exception de la France dont le président a fait une tournée réussie dans la région, se sont limités à des déclarations plutôt convenues.
Hervé de Charette
Les grands dirigeants arabes, dans le Golfe, en Égypte, en Jordanie et en Irak, au Maghreb, sont, dans le meilleur des cas, paralysés par l’émotion populaire que soulève une fois encore la cause palestinienne. Les Européens, à l’exception de la France dont le président a fait une tournée réussie dans la région, se sont limités à des déclarations plutôt convenues. Les États-Unis sont les seuls à la manœuvre. C’est le mérite de Joe Biden de tenter de retenir Netanyahou, avec un succès mitigé, si ce n’est sur le plan de l’aide humanitaire à la population de Gaza.
Ce qui semble se préparer à Washington, c’est une approche nouvelle de la situation pour ouvrir un nouveau processus de négociation entre Israël et l’Autorité palestinienne. Joe Biden l’a dit: «Il n’y a pas de retour possible au statu quo tel qu’il existait le 6 octobre […]. Cela veut dire que lorsque la crise s’achèvera, il faudra une vision de la suite. Et de notre point de vue, cela doit être la solution à deux États.»
Les propos du président américain ont une grande importance. Il faut donc mesurer les conditions qui permettront d’ouvrir cette voie nouvelle. Cela dépendra d’abord des résultats de l’opération terrestre menée par l’armée israélienne à Gaza. Mais surtout, cela suppose que dans les deux camps, on soit prêt à ouvrir une négociation en vue de créer un État palestinien: rien n’est moins sûr.
Côté palestinien, le Hamas est non seulement disqualifié par sa doctrine et pas ses crimes mais on espère qu’il sera, au minimum, très affaibli. Le seul partenaire possible, c’est l’Autorité palestinienne à condition qu’elle ait été au préalable réorganisée et renouvelée en profondeur. L’un des leaders possibles de la nouvelle génération croupit dans les prisons israéliennes. Il faudra lui rendre la liberté.
Du côté israélien, le projet américain suppose un changement politique d’ampleur, avec un débat national à la mesure de la tragédie en cours depuis le 7 octobre, avec des dirigeants convaincus des nouveaux choix à opérer. Mais qui, avec quelle majorité politique? Il est difficile de ne pas être saisi par le doute. Pourtant, pour survivre, Israël ne peut pas échapper à cette remise en question.
Encore faudra-t-il que les diplomates se mettent à l’œuvre pour imaginer des réponses réalistes aux questions qui se poseront alors aux Palestiniens et aux Israéliens. Quelles prérogatives et quelles institutions pour le nouvel État palestinien? Dans quelles frontières? Quel sort pour les colons israéliens en Cisjordanie et à Jérusalem est? Quel avenir pour Gaza? Quelles garanties pour la paix? Quel droit au retour pour la diaspora palestinienne?
Les enjeux sont historiques. Ils ne relèvent pas simplement des seuls peuples israélien et palestinien, qui n’ont jamais été capables de s’entendre. Ce qui s’annonce, c’est une démarche internationale dont les contours restent à ce jour à déterminer. Le chemin vers la paix sera une longue route. Pour reprendre une expression du philosophe français Edgar Morin: «Devant nous, c’est un festival d’incertitudes.»
Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.