Les personnalités qui remportent plusieurs élections valent toujours la peine d'être étudiés. Quels sont les secrets derrière leur succès? Comment Tony Blair a-t-il remporté trois mandats à la tête d'un parti travailliste britannique hors du pouvoir depuis dix-huit ans? Quel était le secret de Margaret Thatcher? C’est sans oublier Angela Merkel, qui compte quitter son poste en septembre, après quatre victoires électorales successives en Allemagne.
Un autre vainqueur en série, Benjamin Netanyahu, qui passe bientôt son quatrième test électoral en deux ans, compte devenir premier ministre israélien pour la sixième fois. Son bilan électoral est remarquable, avec une seule défaite pour 6 victoires. Il est le premier ministre israélien avec le plus d’ancienneté, avec un total de 15 ans en poste.
Mais alors, avec tout ce succès, pourquoi n'est-il pas considéré comme un héros israélien, un champion, un leader adulé par sa nation? David Ben-Gourion est admiré en Israël, tout comme d’autres pères fondateurs, mais Netanyahu par contre ne l'est certainement pas. Certes, sa base électorale est passionnée, notamment parmi les nationalistes de droite d’Israël qui adorent sa position favorable aux colonies. C’est pour cette raison qu’il s'est engagé à légaliser un grand nombre de colonies de peuplement s'il gagne le 23 mars. En même temps, chaque Israélien est parfaitement conscient de ses défauts flagrants - son arrogance et son ego, pour ne citer que ces deux. Mais défauts ou pas, il atteint invariablement son objectif.
La raison évidente pour laquelle il continue de gagner aux urnes est qu'Israël est devenu, depuis le début du siècle, un pays de droite. Les Juifs israéliens votent systématiquement pour des partis de droite que Netanyahu peut facilement intégrer dans sa coalition. La gauche israélienne est en ruines. Le parti travailliste, qui a dominé les trois premières décennies de l’existence d’Israël, est à présent chose du passé. Le Meretz, encore plus à gauche, pourrait très bien ne pas dépasser le seuil de 3,25% des voix nécessaires pour lui garantir un accès à la Knesset.
La reconnaissance d’une marque a son poids, et les rivaux de Netanyahu sont pour la plupart des inconnus. L'expérience compte aussi dans ce pays qui se distingue par la menace perpétuelle qui pèse sur lui. Netanyahu, ou «Bibi», profite de l'inexpérience politique de ses adversaires. Il a une réputation de garder les Israéliens en sécurité, un avantage en soi le jour du scrutin.
Trumpiste avant Donald Trump, Netanyahu est toujours au premier rang des politiques populistes. Bibi dénonce aussi les médias et les soi-disant fausses nouvelles. Les accusations de corruption qui le touchent sont, dans son monde, montées de toutes pièces. Il évite d’ailleurs les interviews sur les chaînes de télévisions israéliennes traditionnelles. Il n'est pas non plus opposé au mensonge, et tout comme Trump, il s’engage jusqu’au bout dans ses fabulations. L'hésitation et le doute ne font pas partie de son répertoire.
Pour Netanyahu, honnêteté et intégrité n'ont jamais eu de poids. Il se concentre sur la victoire à tout prix. Il exige la loyauté des autres, sans en donner. À titre d’exemple, Trump s'attendait au soutien public de Netanyahu avant les élections américaines de novembre - après tout, il l’avait lui-même appuyé à maintes reprises. Mais au moment où Trump a vraiment besoin de son aide, il ne l'a pas obtenu.
Il déjoue aussi les plans de ses adversaires. Netanyahu est un maître des arts sombres en matière de communications. Il peut changer sans peine d’un Bibi en colère, à un Bibi charmant ou même un Bibi comique. Il est parfaitement conscient des messages qui toucheront les groupes spécifiques de l'électorat israélien qu'il souhaite cibler. Il sait absolument comment piéger ses adversaires.
L'un de ses talents politiques est sa capacité à attirer les citoyens palestiniens d'Israël à voter pour lui. Selon un sondage, un tiers de ces citoyens souhaite que Netanyahu reste premier ministre. Pourquoi, se demande-t-on? Qu'a fait Netanyahu pour qu'ils méritent leur considération?
Mais si Netanyahu doit perdre, ce serait le meilleur le moment, car ce vote est avant tout autre un référendum sur son règne.
Chris Doyle
La chance joue un rôle fondamental, et Netanyahu a sans nul doute un homme chanceux. Ses adversaires au fil des ans ont été médiocres et généralement peu charismatiques. Les événements ont souvent évolué selon ses plans, et même Trump était pour lui un cadeau du ciel. Mais on ne reste pas chanceux indéfiniment.
Perdre Trump pourrait précipiter la fin de Netanyahu. L’attitude froide de Joe Biden blessera-t-elle Bibi? Il aura fallu attendre quatre semaines pour que le premier ministre israélien reçoive un appel de la Maison Blanche. La réponse, cependant, est probablement non. La droite israélienne est consciente que les temps seront plus durs avec Biden, quel que soit le premier ministre, et que Netanyahu a bien profité des quatre années d'abondance sous Trump.
Il est impossible de prédire l’identité du vainqueur la semaine prochaine. Trop de variables sont en jeu, particulièrement avec l'impact de la pandémie du coronavirus. De nombreux Israéliens pourraient même avoir trop peur même pour voter. Netanyahu est blâmé pour le taux de mortalité élevé d'Israël, mais paradoxalement, il se présente comme l'homme qui a organisé l'impressionnante distribution du vaccin Pfizer auprès de plus de la moitié de la population israélienne, bien en avance sur le reste du monde.
Le slogan «n'importe qui sauf Bibi» rallie beaucoup de monde à chaque élection. Benny Gantz, le chef de l'alliance Bleu et blanc est sans appel: «Le lendemain des élections, je soutiendrai toute personne capable de former une coalition de 61 voix, qui soit en faveur de l'indépendance du pouvoir judiciaire et du respect de la démocratie, et qui ne s'appelle pas Netanyahu». Avigdor Lieberman, le leader de Yisrael Beiteinu, quant à lui, dit vouloir envoyer Netanyahu dans une décharge à déchet dans la même brouette que les partis ultra-orthodoxes.
Comme pour les élections précédentes, des semaines peuvent s’écouler avant de déterminer si un vainqueur a réellement été élu. Mais si Netanyahu doit perdre, ce serait le meilleur le moment, car ce vote est avant tout autre un référendum sur son règne. Il est blessé politiquement, il poursuivi pour des affaires de corruption, et il a perdu son allié à la Maison Blanche. Le dicton veut que toutes les carrières en politique se terminent par un échec, donc il finira bien par perdre un jour. Un grand nombre d’analystes croient que, inspiré par Trump aux États-Unis, il se battra pour rester au pouvoir quel que soit le résultat.
L'électorat israélien pourrait la semaine prochaine reléguer Netanyahu aux manuels d’histoire politique, bien que peu de gens parient contre lui. Mais quand ces livres seront écrits, combien d’historiens vont s’extasier devant les années Netanyahu? Aucun. Est-ce qu’un analyste crédible pourrait qualifier Bibi de «grand»? la réponse est non. Ses talents sont trop entachés par ses politiques glauques et son manque de vision stratégique pour le pays. Mais surtout, ses défauts sont trop criants pour être ignorés.
Chris Doyle est directeur du Conseil pour la compréhension arabo-britannique basé à Londres. Twitter: @Doylech
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com