En multipliant les agressions contre les cibles civiles en Arabie saoudite, le mouvement houthi, qui maintient par la force sa conquête armée du Nord du Yémen, persévère dans sa position de refus obstiné de toute solution pacifique du conflit yéménite selon les contours fixés par la communauté internationale.
L'intervention arabe dirigée par l'Arabie saoudite était en effet orientée par le principe de défense de la légitimité incarnée par le gouvernement légal issu des élections pluralistes antérieures. Elle a visé essentiellement à assurer la pérennité de l'État central, exposé à l'effritement et la décomposition, face aux ingérences hégémoniques de l'Iran et aux agissements de ses vassaux locaux.
Le cas yéménite se distingue au sein de l'échiquier arabe actuel par l'interaction manifeste entre une mouvance sectaire à l'allure milicienne armée et une politique expansionniste agressive d'une puissance régionale de plus en plus impliquée dans les crises politiques arabes récurrentes.
Malgré des traits de similitude notoires, le schéma irakien diffère du cas yéménite par le caractère autonome de l'institution religieuse de Najaf et Karbala qui lui procure un rôle permanent de régulation et de médiation dans les circonstances les plus critiques d'antagonismes internes, quoique l'influence iranienne soit une réalité effective. Les milices houthi sont en nette rupture avec les traditions religieuses locales, en l'occurrence le zaïdisme classique qui n'a été jamais par le passé source de discorde ou d'animosité dans la société yéménite. La doctrine de «wilaya du faquih» élaborée et divulguée par l'idéologie révolutionnaire iranienne est complètement étrangère aux fondements dogmatiques et référentiels du zaïdisme .
Il serait donc impropre de réduire le conflit yéménite en un antagonisme confessionnel ou identitaire, les stratégies d'assignation sectaire répondent plus à des manipulations idéologiques qu'à des enjeux sociaux réels.
Le mouvement houthi est à ce titre une pièce du puzzle idéologique et stratégique iranien, et non une émanation naturelle de la culture politique yéménite.
Il va sans dire que si la solution politique consensuelle et inclusive implique nécessairement la participation de toutes les franges politiques yéménites, la ligne de démarcation doit être bien tracée entre les mouvements d'idées pacifiques et les milices armées qui se donnent aux actes terroristes épouvantables.
Les tentatives ultérieures de dialogue national entre les différents acteurs politiques yéménites ont achoppé sur l'approche adéquate de refondation de l’État-nation, occultée durant la période trouble d'unification entamée en 1990.
Les milices houthies se sont immiscées dans la controverse qui a suivi la chute du régime du président Saleh. Ce dernier a longuement géré, tant bien que mal, les contradictions et schismes sociaux et identitaires locaux
Seyid Ould Abah
Si la chute du régime d'Ali Abdallah Saleh en 2012 après un soulèvement populaire mouvementé a frayé le chemin à un débat profond sur le modèle d'état à préconiser au Yémen, la dynamique de concertation et de négociation a été subitement freinée par l'insurrection houthie suscitée et soutenue par l'Iran.
Les pays arabes, qui ont répondu au devoir de protection et d'assistance aux civils yéménites en détresse et à l'appel des autorités légitimes délogées par la force de ses pouvoirs, ont porté leur appui sincère aux plans de paix et de réconciliation proposés par les médiateurs internationaux.
Personne ne peut nier les exigences de représentation différenciée et inclusive des différentes composantes de la société yéménite hétéroclite, qui ne peut être administrée selon les modalités de gouvernance centralisée qui ont démontré leurs limites durant la courte période d'union précipitée au début et forcée à la fin .
Par opposition à l'État central l'Irak qui a été le fruit d'une jonction entre les demandes des élites ottomanes locales et les politiques coloniales anglaises, les deux espaces humains et géopolitiques principaux du Yémen relèvent de trajectoires différentes et ne se sont recoupés que dans des conditions aléatoires, après la fin de la guerre froide qui a été vécue comme une défaite tragique du sud Yémen socialiste .
Les milices houthies se sont immiscées dans la controverse qui a suivi la chute du régime du président Saleh. Ce dernier a longuement géré, tant bien que mal, les contradictions et schismes sociaux et identitaires locaux, bloquant ainsi l'effort déployé pour envisager le problème yéménite dans une nouvelle optique d'ingénierie politique et institutionnelle. Cette immixtion a fini par entacher le dialogue national en transformant la crise politique interne en guerre civile acharnée.
La solution à prévoir ne devra donc faire le lit des desseins des milices radicales dans leur stratégie de confessionnalisation du jeu politique local . Si les marqueurs culturels et religieux sont des éléments essentiels des enjeux identitaires yéménites actuels, la solution de la crise présente ne pourra être que politique et institutionnelle selon les paramètres de l'idée citoyenne égalitaire qui est le socle référentiel de l'État-nation à refonder sur des bases nouvelles.
Seyid ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.