Progrès de l’égalité hommes-femmes dans le monde arabe

Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre française de l'éducation, arrive pour assister à la réunion d'été de l'association des employeurs MEDEF au complexe hippique de Longchamp à Paris le 27 août 2020. (ERIC PIERMONT / AFP)
Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre française de l'éducation, arrive pour assister à la réunion d'été de l'association des employeurs MEDEF au complexe hippique de Longchamp à Paris le 27 août 2020. (ERIC PIERMONT / AFP)
Short Url
Publié le Mercredi 10 février 2021

Progrès de l’égalité hommes-femmes dans le monde arabe

Progrès de l’égalité hommes-femmes dans le monde arabe
  • En politique, comme dans les autres secteurs de la vie sociale et économique, les barrières historiques empêchant la promotion des femmes tombent
  • En France, le mouvement a commencé au début des années 2000 avec l’accession en politique de femmes issues de l’immigration maghrébine et africaine

PARIS : Aux États-Unis, un événement majeur vient de créer la surprise. Plus que la défaite de Donald Trump, c’est Kamala Harris élue vice-présidente du nouveau président Biden. Pour la première fois de l’histoire de ce pays, une femme, de surcroît issue d’une minorité ethnique, afro-asio-américaine, parvenait à cette fonction suprême. 

Le message n’est pas passé inaperçu aux yeux du monde. Il indique clairement qu’en politique, comme dans les autres secteurs de la vie sociale et économique, les barrières historiques empêchant la promotion des femmes tombent. 

Dans le monde arabo-musulman, il en va ou il en ira de même. En France, le mouvement a commencé au début des années 2000 avec l’accession en politique de femmes issues de l’immigration maghrébine et africaine. En effet, dans la politique française, depuis les années 1980, les filles et les garçons d’origine maghrébine ont fait l’objet de traitements différents. Ainsi, alors que les garçons des cités étaient plutôt vus comme des fauteurs de trouble, réfractaires à l’intégration, dès le début des années 2000 la féminisation de l’élite politique de «la diversité» a été menée par les partis. 

La ministre socialiste Najat Belkacem, née au Maroc, était la plus jeune arrivée dans le cénacle, en 2012, avec le président Hollande. Mais le mouvement avait commencé en 2002 avec Tokia Saïfi, sous Jacques Chirac. Là où on attendait la gauche pour assurer ce coup de pouce et rendre visible les populations issues de l’immigration, c’est le président de droite qui lançait donc la diversité en politique avec cette fille d’immigrés algériens dont le père ouvrier était arrivé en France en 1948. Son entrée au gouvernement avait beaucoup marqué l’opinion publique. Et par là même suscité des vocations. 

Puis, à partir de 2004-2005, en vue de la présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy jouait la carte des «beurettes» ( filles d’immigrés maghrébins) avec Rachida Dati, nommée ministre de la Justice. Une fois élu, il n’allait plus nommer que des «femmes» d’origine maghrébine dans ses gouvernements successifs, si l’on excepte Rahma Yade, d’origine sénégalaise. Aucun homme. 

 

Dans la pensée de l’époque où la France était présentée comme «une chance pour l’islam», les femmes devaient jouer les premiers rôles politiques.

 

Vinrent ensuite dans les gouvernements suivants les ministres Fadela Amara, Nora Berra, Jeannette Boughrab, Yamina Benguigui, Myriam el-Khomri, Najet Belkacem, toutes d’origine maghrébine. Il s’agissait alors de présenter les «beurettes» comme plus compatibles avec les valeurs de la république que les garçons. Dans la pensée de l’époque où la France était présentée comme «une chance pour l’islam», elles devaient jouer les premiers rôles politiques. Elles devaient symboliser l’intégration des enfants de l’immigration arabo-musulmane, Fadela Amara qui s’était fait connaître par son combat pour les filles des cités maltraitées par leurs pairs masculins. Les filles au combat faisaient figure de «Marianne», la célèbre effigie parisienne du tableau du peintre Eugène Delacroix réalisé en 1831, réclamant la justice et la liberté, intitulé La Liberté guidant le peuple

Il faut dire que les années 2000 furent marquées par de virulentes polémiques sur le voile, le hijab, la burqa, le niqab, le burkini, le refus des médecins hommes pour les femmes, la réclamation d’horaires réservés aux femmes dans les piscines… Une obsession politico-médiatique consistait à démontrer que, d’un côté, les islamistes utilisaient leurs femmes comme activistes de l’islamisation de la France, de l’autre, avec les mariages forcés, la polygamie, l’excision, le sexisme des garçons, elles étaient leurs martyres dans les banlieues. La femme arabe était devenue la figure emblématique de la crispation identitaire des Français contre les musulmans. 

La nomination de femmes ministres au gouvernement depuis le début des années 2000 s’inscrivait en partie dans ce contexte social et politique tendu. Et il est vrai que depuis cette époque, les arabo-musulmans de France se sont habitués à voir des femmes du gouvernement issues de leur communauté, d’où elles ont du reste participé à nourrir l’intérêt que cette minorité porte à la politique et aux élections. Aujourd’hui encore, dans le gouvernement présidé par Emmanuel Macron, deux femmes ministres sont d’origine marocaine. 

Cependant, ce que l’opinion publique ignore en France, c’est que les femmes arabes n’ont pas attendu qu’on leur montre le chemin pour défendre, au sein de leurs sociétés comme dans leurs communautés à l’étranger, leurs droits à l’égalité et aux libertés individuelles. Car les aspirations à l’égalité et aux libertés individuelles ont la peau dure. Aucune société n’y échappe. Le temps joue en leur faveur. On connaît les avancées de la situation des femmes en Tunisie depuis longtemps, les souffrances endurées par celles d’Algérie durant la décennie noire des années 1990, leurs résistances…

Dans les pays arabes, les signes sont là qui montrent que les relations hommes-femmes ne sont pas figées éternellement dans les modèles traditionnels.

 

Mais au Maroc, les femmes prennent aussi largement la parole ces dernières années pour réclamer leurs droits. Le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (Mali), fondé en 2009, puis réactivé durant les révolutions du printemps 2011 par des femmes, s’était fait connaître pour ses combats en faveur des libertés individuelles. D’abord humaniste, l’activisme du Mouvement Mali était ensuite devenu politique avec sa participation à la coordination du mouvement du 20 février 2011, lors du printemps arabe, revendiquant la démocratie, le respect des droits humains, l’indépendance de la justice et la fin de la corruption. Il avait aussi marqué la différence dans sa lutte pour les libertés des femmes. 

Ces engagements indiquent clairement que, dans les pays arabes, les signes sont là qui montrent que les relations hommes-femmes ne sont pas figées éternellement dans les modèles traditionnels. Elles progressent, lentement, certes, mais suivant une tendance à plus d’égalité, de respect et de liberté. Aujourd’hui, les filles sont massivement scolarisées, souvent majoritaires dans les universités où elles acquièrent autonomie et reconnaissance. Le contexte sociétal global leur est en outre favorable. En effet, de plus en plus, les jeunes plébiscitent la famille mononucléaire et veulent choisir leur conjoint. 

Les temps changent. Les lignes bougent. Les familles s’adaptent, comme l’illustre aussi le fait que les Maghrébins retardent longtemps le moment de leur mariage. À cause de l’augmentation de la durée de la formation scolaire et professionnelle, de l’accès tardif au marché de l’emploi, de la précarité des conditions juvéniles, mais aussi de la montée de l’individualisme chez les jeunes à qui il paraît désormais impossible de se marier avant de s’être émancipés de la tutelle familiale. 

Les filles rejettent l’idée de cohabiter avec la belle-mère ou la famille élargie. Ainsi, disposer d’un travail et d’un logement indépendant sont deux préalables indispensables dans les villes. Au Maroc, l’âge moyen du mariage est passé de 24 ans pour les hommes et 17 ans pour les femmes en 1960, à 31 ans et 27 ans en 2010. Dans ce laps de temps où le célibat s’allonge, les questions de libertés individuelles, d’autonomie, d’émancipation gagnent les esprits. Les femmes peuvent/veulent travailler, conduire leur propre voiture comme elles conduisent leur vie. 

À Paris, récemment, des Marocaines ont formé un Collectif 490 pour la défense des libertés individuelles dans leur pays d’origine et annoncé leur soutien aux femmes en difficultés, exigeant une justice plus sensible aux violences qui leurs sont faites, la protection de la vie privée et de leurs libertés individuelles. Deux artistes marocaines activistes, Leïla Slimani et Sonia Terrab, représentant ce Collectif, ont reçu le 9 janvier 2020 à Paris, le prix Simone-de-Beauvoir pour la liberté des femmes. 

On le voit avec cet exemple, les diasporas arabo-musulmanes jouent un rôle dans la promotion des valeurs d’égalité hommes-femmes. Elles contribuent à faire évoluer des lois souvent en décalage avec la réalité de la vie moderne. En France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Espagne, en Italie… des millions de mariages et d’unions mixtes se forment entre jeunes d’origine maghrébine, syrienne, irakienne, libanaise, égyptienne et des partenaires occidentaux. Ces mélanges participent ainsi aux profondes mutations identitaires ici et là-bas. Ils bousculent les codes dans les pays d’origine. Ils modifient en fin de compte ce que signifie aujourd’hui «être d’origine arabo-musulmane». 

Les regards et les influences entre ceux en Occident, en terre chrétienne, et ceux restés dans les pays arabes sont de plus en plus importants. À l’évidence, les réseaux sociaux amplifient largement ces tendances qui poussent en faveur des libertés individuelles dans le monde arabe. 

La lutte des femmes arabo-musulmanes à travers le monde raconte ainsi que la liberté de conscience ne doit pas être vue comme une menace pour l’islam, mais plutôt démontrer que cette religion, comme les autres, peut s'accommoder et valoriser la participation des femmes à toutes les affaires du pays, sans discrimination, ni stéréotypes, ni préjugés. Autrement dit, faire progresser l’inclusion de la moitié de leur population. Plus que celle de Joe Biden, l’élection de Kamala Harris aux États-Unis l’a dit avec force et éclat aux yeux du monde.

Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007),  chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.

Twitter: @AzouzBegag

NDLR: les opinions exprimées par les rédacteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français