Les manifestations de Black Lives Matter se multiplient dans les villes du monde entier, avec des centaines de milliers de personnes qui défient les règles de distanciation sociale, au risque de propager le coronavirus la Covid-19. Après que des millions de personnes aient été horrifiées par le meurtre effroyable de George Floyd, nous avons la possibilité de relever le défi lancé par un tel mouvement.
Le racisme et les inégalités sous toutes leurs formes doivent être combattus. Il ne doit pas s’agir d’un engouement passager sur les réseaux sociaux, mais d’une lutte déterminée contre ce qui est, aux États-Unis, un racisme sans nul doute systémique et institutionnalisé. Le suprémacisme blanc doit être écrasé pour l’idéologie abjecte qu’il véhicule, avec les mêmes ressources et la même force que celles que l’on a déployées contre la pandémie.
Il est temps pour nous – pour nous tous – de reconnaître et d’intégrer à quel point le problème est répandu, et qu’il ne se limite pas seulement à certaines régions des États-Unis ni au seul champ des violences policières. Nous devons trouver le vaccin contre le virus du racisme.
La pandémie et le racisme sont, en effet, deux histoires intimement liées. Le coronavirus lance des défis supplémentaires aux minorités racisées [désignées comme BAME – « Black, Asian and Minority Ethnic » – dans les îles britanniques] d’Amérique du Nord, d’Europe, et d’ailleurs… Et les récentes recherches montrent de plus en plus précisément que ces communautés sont frappées de façon disproportionnée par le virus.
La semaine dernière, Public Health England [PHE, l’organisme de santé publique du Royaume-Uni] a publié l’une des plus importantes études sur la question réalisées à ce jour. Il en ressort que les membres des communautés bangladaises britanniques sont deux fois plus susceptibles de mourir du Covid-19 que les Blancs. Les populations noires et les communautés ethniques de Chine, d’Inde, du Pakistan, d’autres pays d’Asie ou des Antilles ont quant à elles 10 à 50 % de risques supplémentaires de mourir de la maladie. Cette étude fait suite à des recherches menées en Norvège, et qui ont montré que les personnes originaires de Somalie étaient dix fois plus susceptibles d’être infectées.
Les Noirs américains représentent environ 14 % de la population des États-Unis, mais presque un tiers des contaminés. Une enquête a montré que leur taux de mortalité était trois fois supérieur à celui des Blancs. Seuls six États américains affichent un taux de mortalité de leurs ressortissants noirs sensiblement proportionnel à la taille de leur population.
Les Latino-Américains et les Amérindiens sont également atteints de façon disproportionnée. Les Navajos (un peuple amérindien dont le territoire se trouve à cheval entre l’Arizona et le Nouveau-Mexique) en particulier ont été durement touchés. Le sous-comité sur les disparités raciales de la Chambre des représentants a beau en avoir accumulé les preuves, qui peut vraiment croire que l’administration américaine actuelle mettra tout en œuvre pour comprendre les raisons profondes de ces disparités et s’attaquer aux racines du problème ?
Comment les gouvernements devraient-ils réagir ? Eh bien, avec beaucoup plus de célérité que certains n’en ont montré jusqu’à maintenant. En témoigne la publication de l’étude de PHE, qui aurait été retardée en raison de… « la crainte qu’elle n’alimente les tensions raciales » ! Cette étude ne doit être qu’un début; une enquête publique plus complète devra suivre.
On pourrait se demander en quoi cela a un rapport avec Black Lives Matter. La question du racisme et celle de la pandémie mondiale sont certes distinctes, mais elles sont intrinsèquement liées. La pandémie met en lumière exactement le genre de problèmes que les défenseurs de Black Lives Matter dénoncent. Ces communautés n’ont pas besoin d’attendre que des données scientifiques leur disent que le virus les a frappées plus sévèrement, ni quelle en est la raison. Encore une fois, de telles disparités ne sont le fait ni d’un accident ni d’une anomalie statistique : elles sont la conséquence de la discrimination systémique et historique que ces communautés ont toujours subie dans des pays tels que les États-Unis – des communautés qui se retrouvent plus durement frappées que les autres par la plupart des urgences de santé publique.
Imaginez si les rapports avaient montré que la population blanche britannique était deux fois plus susceptible de mourir du virus : comment le gouvernement aurait-il réagi ? Comment l’opinion publique se serait-elle exprimée ? Sur quoi les médias se seraient-ils concentrés ? Le gouvernement aurait bel et bien été submergé par les demandes de mesures – importantes et urgentes –, et ce d’une façon que l’on n’a pas observée à la suite d’enquêtes comme celles de PHE.
Ce qui est le plus probable (et que nous indiquent les premières analyses), c’est que les communautés BAME des pays occidentaux sont touchées de façon disproportionnée à cause des inégalités généralisées. Elles sont plus pauvres, et vivent majoritairement dans des logements plus petits et suroccupés, avec parfois trois générations par foyer. D’autres facteurs tels que le type de travail effectué sont à prendre en compte, surtout si ce dernier rend la distanciation physique compliquée à appliquer. Beaucoup de gens pauvres n’ont pas les moyens de renoncer à leur emploi, même s’il est dangereux. Aux États-Unis, les Noirs renoncent plus souvent que les Blancs à aller chez le médecin pour une raison de coût. Dans de nombreux pays occidentaux, les hommes des communautés BAME ont plus de risques d’être affectés économiquement par la pandémie, et leurs emplois sont plus menacés. Les travailleurs américains sans papiers n’ont pour leur part aucun filet de sécurité, sachant qu’ils sont – bien évidemment – pour la plupart issus des communautés noires ou latinos.
Nombreux sont également les travailleurs issus des communautés BAME à se trouver en première ligne sur le front du Covid-19. Au Royaume-Uni, dans le secteur de la santé, les hommes pakistanais sont à 90 % plus présents que les hommes blancs. Une enquête a montré que le nombre de professionnels de santé BAME morts en Angleterre est sept fois supérieur à celui des travailleurs blancs. De nombreux professionnels de santé interrogés pensent que c’est parce que ces derniers sont plus susceptibles de se voir confier des rôles en première ligne – dangereux, donc, car comprenant une risque accru d’exposition à la maladie.
Une thèse circule largement, selon laquelle beaucoup de communautés BAME ne font pas confiance – pour des raisons historiques – aux médias traditionnels ni aux sources gouvernementales, et n’ont donc pas été autant sensibilisées que d’autres publics aux dangers du virus et à la distanciation sociale. Aux États-Unis notamment, certaines personnes se sont convaincues qu’il s’agissait de fake news et n’ont donc pas pris cela au sérieux.
On peut craindre que des manifestations rassemblant autant de monde ne constituent un milieu très favorable à la hausse de la propagation du virus, et ce parmi les communautés mêmes qui à juste titre défendent leurs droits. Sans compter que bon nombre de personnes arrêtées pourraient se retrouver dans des prisons, où le risque de contamination s’avère élevé.
Le coronavirus a donné un coup de projecteur sur nos sociétés, nous révélant les efforts héroïques des professionnels de santé, des soignants et d’autres membres du personnel se trouvant en première ligne, ainsi que l’extraordinaire esprit de solidarité qui amène à s’occuper des plus vulnérables et des personnes âgées. Pourtant, dans le même temps, il a aussi mis en évidence un aspect moins réjouissant : les injustices et les inégalités, ignorées depuis trop longtemps – et notamment par les classes privilégiées.
Chris Doyle est directeur du Conseil pour la compréhension arabo-britannique, basé à Londres. Twitter: @Doylech
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Ce texte est la traduction d’un article paru sur ArabNews.com