Un nouvel espoir renaît dans le monde arabe avec la nouvelle dynamique lancée par le sommet d'Alula, réel succès pour la diplomatie saoudienne dans sa quête inlassable pour la solidarité inter arabe.
Le regretté prince Saoud Al- Faysal, ancien ministre des affaires étrangères saoudien, a, par le passé, résumé le malaise arabe par la formule éloquente de "vide stratégique" entendu comme défaillance structurelle des capacités décisionnelles dans les enjeux régionaux et internationaux, et marginalization notoire dans les circuits diplomatiques cruciaux.
La dernière décennie était en effet chaotique dans la région arabe, dont plusieurs états centraux ont été dévastés par des crises politiques et sécuritaires profondes, d'autres peinent à surmonter les défis de transition issus des soulèvements contestataires liés au phénomène du "printemps arabe". Les politiques d'intervention belliqueuse dans les affaires internes du monde arabe entreprises par l'Iran et la Turquie ont aggravé cette situation précaire.
Des voix célèbres ont annoncé "la fin de l'ordre arabe", " le naufrage" de l'arabité qui est l'idée régulatrice de la configuration géopolitique arabe contemporaine. Par l'arabité, nous désignons un concept fécond et riche qui dépasse largement la teneur sémantique des idéologies nationalistes panarabistes ayant eu leur part de responsabilité dans "le malheur arabe".
La notion d'arabité, qui fut à l'origine le cadre de formulation et d'énonciation des idéaux de renaissance et de modernisation des sociétés arabes, a eu son moment de gloire avec les mouvements de libération nationale et les dynamiques décoloniales qui ont abouti à l'échafaudage institutionnel actuel de l'ordre arabe (la ligue des états arabes et ses différentes ramifications spécialisées).
L'arabité dans ce dispositif géopolitique signifie à la fois le fondement référentiel de la nation arabe dans son ancrage culturel et symbolique et la visée finaliste du projet d'intégration et d'unité arabe.
Malgré ce fonds commun, l'idée d'arabité était l'objet d'un conflit latent entre deux approches antinomiques : celle qui relève d'une conception politique forte de l'identité culturelle sommée à s'objectiver dans une réalisation effective ( l'état- nation arabe englobant les différentes composantes de la nation commune), et celle qui trace une ligne de démarcation claire entre les déterminations de l'identité culturelle et les opportunités et exigences de l'action politique dans une constellation géopolitique régie par le principe de l'état national souverain.
Les premiers penseurs de l'unité arabe influencés par le nationalisme romantique allemand ont adopté le schéma de l'unification germanique (et italienne) : le modèle du leader charismatique (Bismarckien) et de l'état-pivot capable d'imposer l'unité fusionnelle fatidique.
Les échecs cuisants des expériences éphémères d'intégration consentie ou forcée ont conduit dans la pensée arabe à une révision profonde des conceptions et stratégies d'unification. Le modèle européen d'intégration est ainsi devenu l'archétype du nouveau projet panarabiste, et l'idée d'adéquation nécessaire entre l'identité culturelle et l'entité politique a été abandonnée au profit de l'idéal de coopération pragmatique et de partenariat préférentiel.
L'expérience des regroupements régionaux arabes comme premiers pas réalistes et graduels vers une intégration arabe globale qui a frayé son chemin dans la fin des années 1980 n'a pas fait long feu ; seul le conseil de coopération du golfe a pu survivre aux crises arabes internes .
L'effondrement des régimes nationalistes d'Irak, de Libye et de la Syrie dans des contextes de guerres civiles et/ ou d'invasion extérieure a sonné le glas du moment idéologique panarabiste mais n'a entaché en rien l'idée d'arabité qui conserve toute sa force mobilisatrice et sa ferveur politique.
Un nouveau moment d'arabité est même envisagé; il s'articulera sur l'effort de réconciliation arabe, de restauration de l'ordre institutionnel arabe mis à genoux par les conflits internes et les politiques d'intervention étrangère et il prendra la formule de coopération réaliste et de solidarité active respectueuse des souverainetés nationales et des différences de choix politiques et stratégiques.
C'est dans ce sens qu'on pourrait traduire le concept d'arabité dans une perspective historique adéquate, en le transférant du statut d'utopie généreuse mais stérile, au rôle de catalyseur de la dynamique de réforme et de renaissance arabes. En paraphrasant une citation célèbre du penseur marocain feu Mohamed Abed Aljabiri, nous pourrons conclure que "ce qui persiste de l'idée d'arabité est non ce qu'elle a effectué mais ce qui lui reste à réaliser".
Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.