Qu’est-ce un site historique ? Un simple témoin d’une splendeur passée ? On a longtemps considéré les sites historiques comme uniquement empreints d’histoire, figés dans le temps et incapables de répondre aux attentes du monde moderne. Refuges nostalgiques, on leur reconnaissait une valeur muséale, passée, voire passéiste. Le sens de l’Histoire semblait aller dans un seul sens. Notre ère a changé, ainsi que notre rapport à ces lieux, ils ne sont plus seulement une leçon d’Histoire, ils nous proposent aussi une nouvelle expérience. En révélant les valeurs et la tradition d’un territoire et de ses communautés, le site historique nous permet d’envisager la continuité avec le futur, et surtout nous enseigne que la « modernisation » n’implique plus « l’occidentalisation ».
C’est cette philosophie qui anime le royaume d’Arabie saoudite dans sa volonté de valoriser le site exceptionnel d’AlUla. Cette ancienne oasis est nichée dans une vallée désertique. Son sol fertile et son abondance en eau en ont fait un carrefour privilégié entre trois continents, une porte d’entrée symbolique de l’Arabie vers l’Est et l’Ouest. Au cours des millénaires, plusieurs civilisations se sont succédé et ont fait de ce site un espace unique et riche d’enseignements. En attirant les pèlerins (dimension spirituelle) et les voyageurs (dimension économique), les habitants d’AlUla ont développé une ouverture d’esprit et une hospitalité qui sont essentielles pour goûter à la beauté du lieu et pour s’ouvrir à de nouvelles expériences.
Vision 2030, le plan stratégique du Royaume, a identifié des axes de développement, dont le sport, la culture, la formation, etc. AlUla pourrait être un espace idéal de réconciliation entre ces différentes composantes.
Le monde du sport a longtemps délaissé la valeur du patrimoine et a préféré des infrastructures ad hoc, où la fonctionnalité du stade a été privilégiée au détriment de sa valeur symbolique. Ce faisant, ce même monde du sport a oublié sa vocation pédagogique et s’est coupé de ses racines culturelles. La professionnalisation du sport – par l’instauration d’un cadre réglementaire, de propriété intellectuelle, de droits marketing, de la titrisation de clubs, etc. – a clairement augmenté sa valeur marchande et sa profitabilité. Mais cette révolution financière ne s’est pas accompagnée d’une évolution des contenus. En restant conservateur dans son exercice comme dans son organisation, le sport s’est progressivement coupé de ses engagements initiaux de transmission de valeurs et d’éducation. Le désintérêt croissant de la jeunesse et le vieillissement constant de l’âge des téléspectateurs illustrent ce constat – 53 ans pour les Jeux Olympiques, 61 ans pour le tennis – et risquent par ailleurs de mettre en péril le cœur même du financement du sport.
Organiser des compétitions sportives dans un espace historique tel qu’AlUla, c’est au contraire revenir aux valeurs essentielles du sport. C’est l’inscrire dans un endroit signifiant, porteur de sens, fier héritier d’un passé et engagé dans une continuité culturelle, temporelle et géographique. La France et l’Arabie saoudite sont riches de ces lieux, marqueurs de leurs territoires.
À leur âge d’or, ces lieux vivaient en quasi-autarcie grâce à la mise en place de tout un écosystème solidaire leur permettant de survivre loin des villes. Ces lieux sont les témoins de l’importance des valeurs solidaires développées par le sport et se prêtent aussi bien aux compétitions sportives classiques (athlétisme, courses hippiques, combats, etc.) ou plus modernes (environnements virtuels, drones, robotique, voltige, etc.). Ce sont d’ailleurs des réflexions actuelles dans plusieurs sites en France, comme l’Abbaye de Clairvaux dans l’Aube, qui pourraient également concerner de nombreux lieux dans le royaume d’Arabie saoudite.
Il existe un paradoxe que soulève fort à propos Mme Christelle Taillardat, directrice de l’Office du tourisme de l’Aube: l’éloignement est aussi un atout. Celui de lieux spacieux, ancrés dans l’histoire, la nature, le silence et la frugalité. Des espaces rassurants par leur constance, loin de nos centres hyper-urbains, bruyants et dangereusement effervescents. La sérénité et la concentration sont essentielles pour les sportifs. Pour les fans aussi, se retrouver dans un cadre privilégié est important. Quant à l’accessibilité qui pourrait d’emblée rebuter, elle invite à la coupure, nécessaire au voyage dans le temps. Rejoindre une abbaye ou un qas’r du XIIe siècle ne se fait pas en une station de métro. Le temps du voyage invite à quitter son univers habituel pour se fondre dans une autre époque. Pour le compétiteur comme pour le fan, l’âme doit précéder le corps.
Les sites historiques auront peut-être perdu leur parure d’antan, mais ils restent souvent monumentaux. Cette grandeur témoigne d’un rayonnement passé, d’un idéal chevaleresque ou religieux qui dépasse la nécessité matérielle. Là aussi, l’impression laissée sur le visiteur, sportif ou spectateur, sponsor ou VIP, augmente les valeurs transcendantales de l’événement sportif, comme le ressentent les visiteurs d’aujourd’hui quand ils pénètrent dans le stade historique d’Olympie ou du Circus Maximus. Ou comme ils le ressentiront à AlUla. Ces sites sont également très télégéniques et propices à la diffusion d’images sur Instagram, Facebook and autres médias sociaux.
Cadres uniques, porteurs de sens et de valeurs, les espaces historiques sont légitimes comme arènes de compétition et espaces d’interaction et d’éducation. Ils apportent aux sportifs et aux gamers, aux fans et à tous les acteurs du sport, une authenticité essentielle et unique. Ils se prêtent merveilleusement aux contraintes du sport classique, mais aussi aux courses de drones, compétitions de robots et même à l’eSport. Leur état n’est pas un obstacle à leur attractivité ni à leur utilisation car le numérique, les projections 3D, la réalité augmentée permettent de faire revivre le lieu, de rappeler son histoire sans pour autant devoir le restaurer intégralement. La France et l’Arabie saoudite sont des pays riches de ces espaces historiques. Nos deux pays sont engagés dans la préservation de leur culture et veulent la partager pour favoriser le dialogue interculturel et intergénérationnel. AlUla ou Clairvaux sont deux exemples qui nous rappellent combien nos deux pays ont des opportunités uniques de valoriser leur patrimoine, de renouer avec les valeurs de leurs communautés et de celles du sport tout en embrassant pleinement leur futur.
Philippe Blanchard est PDG de Futurous, les Jeux du Futur.
TWITTER: @Blanchard100
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