Le 29 octobre 2021, le royaume d’Arabie saoudite a présenté officiellement la candidature de Riyad à l’organisation de l’Exposition universelle 2030. L’État saoudien sera mobilisé au plus haut niveau, avec la remise de la lettre du prince héritier, Mohammed ben Salmane al-Saoud, par le président de la Commission royale pour la ville de Riyad (RCRC), Fahd al-Rachid, et l'ambassadeur auprès de la France, Fahad al-Ruwaily. Malgré la qualité de l’engagement saoudien, beaucoup d’experts se sont demandé si les pays membres du Bureau international des expositions n’allaient pas refuser d’organiser à nouveau ce méga-événement au Moyen Orient, moins de dix ans après Dubaï. La question est effectivement légitime, mais la réponse n’est pas définitive, loin de là.
C’est quoi, une exposition universelle?
Cet événement, régi par le Bureau international des expositions (BIE), a été créé au milieu du XIXe siècle dans le but de présenter les réalisations industrielles des différentes nations. Pour les spectateurs de l’époque, c’était l’occasion de découvrir des innovations technologiques ou artistiques majeures: la machine à coudre, le téléphone et la machine à écrire (1876), les œufs de Fabergé, le cinéma, l’escalier mécanique (1900) ou, plus proche de nous, le téléphone mobile (1970)… Pour les différents pays, c’est une compétition pacifique, scientifique et culturelle, et un moyen de promouvoir leurs capacités technologiques.
Une exposition universelle est temporaire; elle dure six mois et présente en principe une obligation de démontage post-événement. Notons toutefois que de nombreuses réalisations présentées à ces occasions sont devenues par la suite des symboles nationaux: la tour Eiffel, à Paris (1889), l'Atomium, à Bruxelles (1958), le Space Needle, à Seattle, (1962), ou encore la Biosphère, à Montréal (1967). Dubaï propose actuellement à certains pays participants de maintenir leur pavillon.
Quel intérêt aujourd’hui?
Depuis la 1re édition, à Londres, en 1851, nos communautés ont bien changé et nous disposons aujourd’hui, grâce aux voyages, à la radio, à la télévision ou à Internet, de multiples opportunités pour nous instruire et pour découvrir les nouveaux développements technologiques. Pourtant, l’engouement pour les expositions universelles reste grand, pour les visiteurs comme pour les pays candidats; ces derniers investissent beaucoup de ressources et d’intelligence pour convaincre les membres du BIE du bien-fondé de leur candidature.
La phase de candidature: vae victis?
Pour tout méga-événement, qu’il s’agisse des Jeux olympiques (sous l’égide du Conseil international olympique), de la Coupe du monde de football de la Fifa (organisée par la Fédération internationale de football association, NDLR) ou des expositions universelles (mises en place par le BIE), les aspirants territoires-hôtes doivent faire acte de candidature, déposer un dossier technique et convaincre les votants. La bonne articulation technique/géopolitique garantira, ou non, le succès dans une compétition bien cruelle, car il n’existe qu’une marche sur le podium, qu’un seul vainqueur. L’un des grands enjeux des candidatures est donc de mettre en œuvre une stratégie qui garantisse des retombées même en cas d’échec au vote final.
Cette stratégie du «Qu’est-ce qu’on gagne si on perd?» fut développée pour la première fois en 1993 par le groupe qui lança le concept de Lille-Bruxelles Olympiques 2004, MM. Francis Ampe, Jean-Pierre Guillon et Bruno Bonduelle. Leur intelligence fut de développer simultanément un dossier technique et une organisation dynamique (le «Comité Grand Lille») qui, dès le début, ont envisagé les options en cas grande victoire… et d’«autre victoire». Cette stratégie n’est pourtant toujours pas au cœur de nombreux dossiers de candidatures.
Le 27 novembre 2013, Dubaï gagna à 116 voix contre 47. Huit ans plus tard et à peine deux mois après son ouverture, malgré la Covid et les restrictions sur les voyages, l’Expo 2020 s’impose déjà un succès organisationnel, diplomatique et touristique. Chefs d’État et ministres, entrepreneurs et artistes se pressent sur un site où ils sont accueillis, comme tous les visiteurs, avec professionnalisme, bienveillance et sourire. Certains pavillons sont de pures merveilles (Émirats arabes unis, Arabie saoudite, Russie…) ou de sensibles et délicats gestes architecturaux (Pakistan, Suisse, Pologne, République tchèque…).
De Dubaï 2020 à Riyad 2030?
Je ne serai pas surpris si d’autres pays annoncent leur ambition pour l’Exposition universelle de 2030 – je pense particulièrement à la République populaire de Chine – mais, pour le moment, seuls quatre autres villes et pays sont officiellement candidats à l’Exposition de 2030: Moscou, en Russie, Busan, en Corée du Sud, Rome, en Italie, et Odessa, en Ukraine. Tous, pleinement engagés dans la compétition, utilisent l’Expo 2020 et leur pavillon comme une plate-forme pour exposer leur savoir-faire, leur originalité et leurs ambitions; et tous tirent les enseignements de ce qu’ils vivent à Dubaï.
Alors que certains parlent de compétition régionale entre Dubaï et Riyad, je vois aussi des synergies, et Riyad 2030 pourrait bénéficier d’échanges de compétences avec Dubaï 2020. Outre la transférabilité des enseignements sur la durabilité, et notamment sur les normes environnementales (certifications Estidama, Leed) ou le paysagisme en climat désertique (xéropaysagisme, ou xeriscaping, en anglais), il y a également un alignement fort en termes de philosophie et d’intérêts. L’un des objectifs de Dubai Expo était d’apporter un regard différent sur la région, sa culture et son histoire, et marquer une certaine transition, de son image superlative (la ville du «plus grand»: tour, centre commercial, jeu de fontaines, roue d’observation…) vers l’empathie et l’humanité de ses communautés.
Il est symbolique de constater que la scénographie et l’architecture du Pavillon saoudien sont exclusivement consacrées à cette humanité, à l’hospitalité arabe et aux richesses de la culture du Golfe. Dans le Pavillon saoudien, c’est la technologie qui sert l’individu, c’est l’autochtone qui accueille l’étranger, grâce à une combinaison remarquable d’images et d’environnement immersif. Ainsi, on découvre, on ressent, on vit toutes les richesses du Royaume. Avec une synergie Dubaï 2020-Riyad 2030, c’est tout le Moyen-Orient qui se donnerait les moyens de ses ambitions et qui serait alors pleinement à même de célébrer la «renaissance arabe» et l’épanouissement de chacun, dans le respect des différences.
Philippe Blanchard a dirigé le Comité international olympique puis il a été en charge du dossier technique de Dubai Expo 2020. Passionné par les mégaévénements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant Futurous, les Jeux de l’innovation et des sports du futur.
TWITTER: @Blanchard100
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.