Depuis la révolution industrielle et l’invention du sport par les Britanniques, l’imaginaire du sport a toujours véhiculé des valeurs transcendantales. Comme s’il était un canal magique susceptible de s’inscrire dans le champ spirituel, au-delà du pur exercice physique. Avec Nike, nous n’acquérons pas des chaussures, mais le moyen de nous dépasser (Just do it). Pour Asics – Anima sana in corpore sano –, ce n’est plus la salubrité de notre esprit (mens sana), mais bien celle de notre âme (anima sana) qui passe par le développement de notre corps (corpore sano)… Le sport et son extension noble – la compétition – enrichiraient donc notre esprit; ils l’élèveraient en nous faisant quitter notre seule matérialité, portant le tangible espace de la pratique sportive.
En fait, tout le marketing moderne du sport est inscrit dans cette proposition de dimensions «supérieures». Et, tout comme le sportif se «dépasse», de nombreuses nations utilisent le sport et la compétition pour se hisser à de nouveaux niveaux de visibilité et de crédibilité. Un moyen d’affranchissement et d’affirmation. Cette promesse géopolitique d’un sport galvaniseur est aujourd’hui reconnue et appréciée. Mais qu’attend le sport du futur, celui du metaverse? Une combinaison de menaces et d’opportunités, un mouvement libérateur qui porte le risque de l’asservissement?
Tout d’abord, il est important de revenir à quelques définitions. «Méta-» est un préfixe qui provient du grec μετά (meta): «au-delà de», «au-dessus de». Le metaverse (en français, «métavers») est la contraction de meta et d’universe: un monde virtuel fictif, une matérialisation de l’Internet ou des espaces virtuels, persistants ou non, et partagés, sont accessibles via des interactions 3D et la réalité augmentée. Le sport accepte dorénavant sa coexistence avec l’esport, les jeux vidéo et le développement du metaverse: les Futurous Games («Jeux du futur», NDLR) de 2023 accueilleront des compétitions dans ces nouveaux espaces sportifs, des lieux d’affrontement physique et logique.
Il est intéressant, ensuite, de rappeler quelques fondamentaux physiques, sociologiques et légaux.
L’activité sportive est inscrite dans un environnement matériel régi par les lois de la nature: force de la gravitation, résistance de l’air ou de l’eau… Les organisateurs de compétition mesurent les conditions météorologiques (la vitesse du vent, par exemple) pour garantir l’équité et la comparaison des performances et donc l’établissement des records. La performance sportive consacre ainsi une conquête de ces lois naturelles.
En parallèle, les objectifs de fair-play exigent de vérifier l’absence de prise de substances qui invalideraient la licéité de la performance sportive (dopage). Aux lois de la nature se sont donc ajoutés des interdits humains, qui s’inscrivent eux-mêmes dans un cadre juridique plus global, défini par le législateur.
Ces lois naturelles ou sociales sont maintenant complétées par des lois qui régissent nos vies numériques. «Code is law» («Le code fait loi», NDLR), comme l’énonçait le professeur Lawrence Lessig. Aux côtés du législateur, qui codifie le cadre juridique de la transition numérique et de l’économie de demain, on trouve donc dorénavant les éditeurs des jeux, les fabricants de matériels, les opérateurs télécoms… Une multitude d’acteurs non institutionnels qui structurent et codifient, par leurs produits et services, l’espace numérique.
«Nous sommes à l’âge du cyberespace. Il possède lui aussi son propre régulateur… Mais, qu’il s’agisse d’une autorisation qu’il nous concède ou d’une conquête qu’on lui arrache, nous sommes tellement obnubilés par l’idée que la liberté est intimement liée à celle du gouvernement que nous ne voyons pas la régulation qui s’opère dans ce nouvel espace…»
«Ce régulateur, c’est le code: le logiciel et le matériel qui font du cyberespace ce qu’il est. Ce code, ou cette architecture, définit la manière dont nous vivons le cyberespace... Lorsqu’on commence à comprendre la nature de ce code, on se rend compte que, d’une myriade de manières, le code du cyberespace régule.» (Lawrence Lessig)
Quelles incidences pour le sport et la compétition? En termes de fair-play, d’universalité, d’équité? Quelle prévalence aurons-nous dans le sport: celle des lois universelles de la nature, ou celle du code propriétaire des acteurs du metaverse?
Comme l’explique la philosophe Gabrielle Halpern, avec le métavers, on assiste au bouleversement transhumaniste dans le rapport de l’homme à la nature et à la réalité. «Tout ce qui a trait au flou, à l’hybride, à l’incertitude, à l’imprévisible, à tout ce qui dépasse l’homme, doit être effacé… L’homme peut avoir une influence déterminante sur la Nature au point de la métamorphoser et de la découper en morceaux pour la ranger dans des cases utiles.» Pourtant, l’attrait de la compétition sportive est intrinsèquement lié à l’incertitude. David contre Goliath. L’attente de la surprise. L’espérance. Avec le métavers, on s’éloignerait de l’anthropocentrisme du Just do it de Nike, de ce sportif qui s’approprie le monde et se rend «comme maître et possesseur de la nature» (Descartes).
Coubertin, le père des Jeux olympiques modernes, emprunta au père Didon la formule Citius, Altius, Fortius, mais il la réduisit aux seuls domaines physiques. Alors même que pour Didon, fortius (plus fort) abordait le corps façonné par le sport, citius (plus vite) invoquait la vivacité de l’esprit, prompt aux études. Et altius (plus haut) avait trait à l'élévation de l'âme et à la spiritualité. Une âme et une spiritualité qui ne doivent pas rester absentes des développements du métavers.
Pour le monde du sport en général, et particulièrement pour le Moyen-Orient, qui est actuellement l’un des grands financeurs du sport, le métavers nous apporte des opportunités nouvelles d’expression et de compétition. Il permet à la fois un saut quantique dans des espaces nouveaux et un relatif pied d’égalité entre cybersportifs de toutes nations.
La compétition sportive dans le métavers nous offre une plate-forme pédagogique sur la coexistence des lois de la nature et celles du cyberespace, des réflexions éthiques, philosophiques, culturelles et géopolitiques. Le continuum de ces mondes virtuels avec nos espaces de vie physique se fera alors au bénéfice de nos communautés et de nos nations sans courir le risque que notre humanité soit dictée par les seuls acteurs technologiques.
C’est grâce au sport que le métavers peut être un espace anthropocentré pour l’individu et, pour les nations, un lieu de reconnaissance de leurs spécificités et de leur rayonnement international.
Philippe Blanchard a été directeur au Comité international olympique puis en charge du dossier technique de Dubai Expo 2020. Passionné par les mégaévénements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant Futurous, les Jeux du futur.
TWITTER: @Blanchard100
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.