L’année 2025 ne laisse présager rien de bon pour la paix et la fraternité

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Publié le Vendredi 10 janvier 2025

L’année 2025 ne laisse présager rien de bon pour la paix et la fraternité

L’année 2025 ne laisse présager rien de bon pour la paix et la fraternité
  • En 2025, Marine Le Pen attend son tour à la présidentielle prévue en 2027
  • Décidément, cette nouvelle année s’annonce menaçante de gros nuages de type cyclonique en France, en Europe et ailleurs

Si 2025 commence mal en France, l’année 2024 s’était mal terminée à Magdebourg, en Allemagne, le 20 décembre, avec une attaque à la voiture bélier dans un marché de Noël qui a fait 6 morts et 200 blessés. Le drame a eu lieu huit ans jour pour jour après celui, similaire, de Berlin en 2016, revendiqué par l’État islamique (EI), qui avait fait 13 morts et 60 blessés. Mais contrairement à celui de Berlin, à Magdebourg, les autorités excluent la motivation religieuse. Son auteur s’appelle Taleb al-Abdelmohsen (le très généreux humainement!) Du coup, on craint de nouveau que l’islam soit quand même associé à cette barbarie innommable dirigée contre les chrétiens à Noël. La cinquantaine, l’assassin est médecin, originaire d’Arabie saoudite, arrivé en 2006 en Allemagne avec un statut de réfugié. Il aurait agi seul, pour venger la manière dont les réfugiés saoudiens seraient traités en Allemagne. Malgré tout, aussitôt, en Europe, se répandaient les diatribes contre les terroristes islamistes, l’islam et l’immigration... quand tombait une information aussi stupéfiante qu’inédite: le tueur était islamophobe! Il s’était présenté dans les médias en 2022 comme athée, ce pour quoi il affirmait avoir fui son pays où il aurait été en dangerSur les réseaux sociaux, il affichait clairement ses sympathies pour l’extrême droite AfD et contre l’immigration musulmane, reprochant en outre à l’Allemagne sa générosité à l’égard des réfugiés musulmans du Moyen-Orient et même de comploter pour islamiser l'Europe. Peu à peu, la thèse de la démence psychiatrique du médecin s’imposait… sans empêcher toutefois l’extrême droite de réagir à chaud, en Allemagne comme ailleurs, jusqu’à chez Elon Musk, sur la sécurité et l’immigration.

Shamsud-din Jabbar (le soleil de la religion!), c’est le nom musulman d’un autre assassin, à la Nouvelle Orléans, cette fois, aux USA. À 8 200 kilomètres de Magdebourg. Le 1er janvier, le soi-disant «soleil de l’islam» a lancé son pick-up sur la foule qui festoyait dans les rues bondées. Il a tué 15 personnes et en a blessé une trentaine d’autres. Il est alors sorti de la voiture et a échangé des tirs avec la police, avant d’être tué. Ancien soldat de l’armée américaine, devenu agent immobilier et résidant au Texas, 42 ans, il avait été élevé dans la foi chrétienne, mais s’était converti à l’islam à un jeune âge. Il se serait ensuite radicalisé et aurait prêté allégeance à l’État islamique. Ses vidéos publiées sur Facebook l’attestaient. Un drapeau de l’EI et des engins explosifs étaient retrouvés dans son véhicule. L’acte terroriste, visant un carnage, paraissait évident, alors que son frère, Abdur Jabbar, évoquait au New York Times «un amour, un gars sympa, un ami, très intelligent, attentionné». On en reste bouche bée.

Ces odieux attentats, similaires, commis par des loups solitaires, dans des foules, mêlant l’islam à leur folie… laissent perplexe. Après l’attentat de Magdebourg, Elon Musk avait d’emblée réclamé sur X la démission du chancelier Olaf Scholz, estimant que l’Allemagne était «au bord de l’effondrement économique et culturel» et que «l’AfD était la seule étincelle d’espoir pour le pays…» Et d’ajouter: «À ceux qui condamnent l’AfD comme extrémiste, je dis: “Ne vous laissez pas troubler par l’étiquette qui lui est collée.”» Il en voulait pour preuve que la cheffe de l’AfD, Alice Weidel, était en couple avec une femme sri-lankaise. «Est-ce que cela vous fait penser à Hitler? Please!» On en reste encore bouche bée. 

L’AfD est créditée de 20% aux prochaines élections de février. Tout comme le parti raciste Reform UK, de Nigel Farage, qui laissait entendre qu’Elon Musk allait investir 100 millions de dollars dans sa formation anti-immigrés, anti-islam, fondée en 2018, pour en faire la première force d’opposition aux travaillistes. Les ingérences du milliardaire de Space X augurent mal l’arrivée au pouvoir du couple qu’il forme avec Donald Trump.

20 décembre, Magdebourg. 1er janvier, Nouvelle Orléans. 7 janvier à Paris… où le ministre de l’Intérieur ultra-conservateur du nouveau gouvernement Bayrou cherche sans doute à recevoir, lui aussi, un appel gratifiant d’Elon Musk, au vu de ses rengaines contre l’islamisme en France. L’agenda médiatique n’est pas neutre. Il y a dix ans, à Paris, le 7 janvier 2015, dans le contexte des caricatures de Mahomet, les bureaux du journal Charlie Hebdo étaient attaqués par deux terroristes, Saïd et Chérif Kouachi, qui tuaient douze personnes avant de s’enfuir. Le lendemain, Amedy Coulibaly, un complice, tuait une policière, puis, le surlendemain, quatre autres personnes dans un supermarché Hyper Cacher. Le pays était sous le choc. Le 9 janvier, ils étaient finalement abattus après leur périple meurtrier. 

Autant dire qu’en ce début d’année 2025, les nouvelles sont anxiogènes du côté français et allemand sur le front de l’insécurité et du terrorisme. À cet effet, à Paris, le ministre de l’Intérieur juge que «la France pourrait être frappée de nouveau», car «la bataille contre le totalitarisme islamique est loin d’être gagnée». Il dénonce «l’islam politique» et promet de faire une grande priorité de la lutte contre «l’islamisme des Frères musulmans», qu’il accuse de faire de «l’entrisme». Pour cela, il préconise d’étendre le champ de la laïcité aux compétitions sportives, à l’université ou aux sorties scolaires. «Les accompagnatrices n’ont pas à être voilées» car  «le voile est un marqueur de l’infériorisation de la femme par rapport à l’homme». Il assure les citoyens musulmans ne pas mener un combat contre leur religion, «… mais contre une idéologie politique qui la défigure... Ce qui est en jeu, ce sont les conquêtes de l’Occident, comme l’égalité hommes-femmes, la liberté de conscience...» En bref, un étonnant ramassis de clichés et stéréotypes éculés depuis des années. Là encore, on ne cesse de rester bouche bée, si l’on oublie que l’extrême droite, en embuscade, menace de censurer le gouvernement.

Taleb al-Abdelmohsen, Shamsud-din Jabbar, les frères Saïd et Chérif Kouachi… dans ce début d’année anxiogène, on peut mentionner des «tiktokeurs» algériens, ou français d’origine algérienne, qui illustrent les tensions entre Paris et Alger dans cette séquence où les relations entre les deux pays sont tendues comme rarement auparavant. Un tiktokeur algérien, jugé le 6 janvier à Grenoble, et dont le procès a été renvoyé au 5 mars; puis un autre en détention provisoire à Brest, en attente de son procès; un troisième en garde à vue à Montpellier; trois autres en région lyonnaise… L’accumulation de signalements de ces tiktokeurs installés en France et pourfendeurs des opposants au régime d’Alger, ajoute de l’huile sur le feu dans un pays où Marine Le Pen est désormais arbitre du jeu politique. C’est un opposant algérien vivant à Lyon, Chawki Benzehra, qui a mis en ligne sur son compte X (chez Elon Musk!), en décembre dernier, les vidéos incriminées de tiktokeurs arrêtés les jours précédents, visionnées des centaines de milliers de fois. Le premier, Youcef, de Brest, 25 ans, a été placé en détention provisoire le 4 janvier et répondra devant le tribunal, d’apologie d’un acte de terrorisme. Dans une vidéo vue par 400 000 abonnés, en arabe et sous-titrée en français, il appelait à perpétrer des attentats en France... à la suite de quoi, Imad T., 31 ans, qui vit à Grenoble depuis 2021, prenait sa défense «… on va faire couler le sang» et appelait à «brûler vif, tuer… sur le sol français». Sous le coup d’une OQTF, mais père d’un bébé français, il a été jugé le 6 janvier en comparution immédiate. En même temps, à Montpellier, était signalée la vidéo d’un troisième tiktokeur qui lançait, «Tuez-le, laissez-le souffrir» à propos d’un opposant. Un autre encore évoquait des «traîtres» qu’il fallait «égorger», quand un énième présentait les membres de la diaspora algérienne comme des «soldats dormants», prêts à mourir en «martyrs» pour leur pays. 

Ces faits graves interviennent, alors qu’en juillet dernier, Alger retirait son ambassadeur à Paris, après le soutien d’Emmanuel Macron à la «marocanité» du Sahara occidental et l’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal à Alger pour atteinte à la sûreté de l’État. Le président Macron a estimé hier que l’Algérie se «déshonore», en ne libérant pas Sansal. Un mot qui a révolté les Algériens chez qui l’honneur est une valeur identitaire cardinale. Le président français était devant les ambassadeurs réunis au grand complet à Paris, le 6 janvier. Ironie du sort: Jean-Marie Le Pen meurt le lendemain, à 96 ans. L’Algérie, encore et toujours. Le créateur en 1972 de l’extrême droite française, figure publique du Front national pendant quarante ans, était parvenu en 2002 pour la première fois à hisser le Front national au second tour de l’élection présidentielle. L’électrochoc politique marqua la mémoire collective. Les signes de son envolée arrivaient en 1983 avec l’élection à Dreux, l’année même de la fameuse Marche (dite «des Beurs»), contre le racisme et pour l’égalité conduite par cent mille enfants de l’immigration maghrébine. À Dreux, le FN dépassait les 16% au premier tour. Jean-Marie Le Pen était propulsé au premier plan de la scène médiatique. 

En 1956, déjà, il était élu député, à 27 ans, quand son destin l’avait amené à s’engager en Algérie avec les parachutistes, l’année suivante, en pleine bataille d’Alger. L’Algérie l’ancrera pour toujours à l’extrême droite. Elle lui fera détester de Gaulle, les gaullistes et la Ve République. Il restera hanté par la nostalgie de la colonie. De retour à Paris en 1962, il sera battu aux élections législatives, année de l’indépendance de l’Algérie! Mais lors des élections Européennes de 1984, il conduira la liste FN, obtiendra 11% et créera un véritable parti politique, qui progressera durablement. Aux législatives de 1986, il revient à l’Assemblée nationale après 24 ans d’absence, avec 35 députés frontistes. Dès lors, le débat est polarisé autour de lui. La lepénisation des esprits est en marche. Inexorable. Rodée sur la rhétorique anti-immigrés, anti-algérienne, en pleine crise économique, martelée dans les médias. C’est à cette époque que Le Pen établit sa base de lancement en Provence-Alpes-Côte d’Azur où il est élu conseiller régional en 1992. Cette terre, qui est à la fois terre d’accueil de l’immigration maghrébine, des Harkis et des Pieds-Noirs, est fertile pour la nostalgie de l’Algérie perdue, le discours islamophobe décomplexé et celui de la préférence nationale qui vont irriguer la France entière. En 2025, Marine Le Pen attend son tour à la présidentielle prévue en 2027… Décidément, cette nouvelle année s’annonce menaçante de gros nuages de type cyclonique en France, en Europe et ailleurs, au Proche et Moyen-Orient, du côté de l’Iran, au Liban, à Gaza, aux États-Unis... Il faudra donc bien se couvrir… en attendant la mise en service des navettes spatiales de Space X qui permettront aux plus aisés de s’exiler vers de nouveaux horizons Interstellar. Et remercier Elon Musk.

Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.

X: @AzouzBegag

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.