L’extrémisme islamiste et l’Algérie, priorités politiques françaises, les musulmans mis au banc

Le milieu de terrain algérien d'Angers #10 Himad Abdelli (G) se bat pour le ballon avec le milieu de terrain suisse de Monaco #06 Denis Zakaria pendant le match de football de L1 française entre le SCO Angers et l'AS Monaco au stade Raymond-Kopa à Angers, ouest de la France, le 15 mars 2025. (AFP)
Le milieu de terrain algérien d'Angers #10 Himad Abdelli (G) se bat pour le ballon avec le milieu de terrain suisse de Monaco #06 Denis Zakaria pendant le match de football de L1 française entre le SCO Angers et l'AS Monaco au stade Raymond-Kopa à Angers, ouest de la France, le 15 mars 2025. (AFP)
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Publié le Vendredi 21 mars 2025

L’extrémisme islamiste et l’Algérie, priorités politiques françaises, les musulmans mis au banc

L’extrémisme islamiste et l’Algérie, priorités politiques françaises, les musulmans mis au banc
  • Le Premier ministre Bayrou va inscrire à l’Assemblée nationale une proposition de loi sénatoriale proscrivant définitivement le port du voile dans le sport
  • La France allume encore et toujours des feux de brindilles avec des polémiques sur l’islam, l’islamisme, la radicalisation, l’entrisme des Frères musulmans, le communautarisme

Ça continue. En ce mois de Ramadan, en France, l’islamophobie ne jeûne pas. Une nouvelle polémique a été lancée le 15 mars. Coïncidence! La date correspond à celle de la loi du 15 mars 2004, il y a vingt ans, qui interdisait dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues «par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse…» Elle avait fracturé le monde politique et intellectuel. Elle continue de susciter de profondes divisions.

Cette fois, avec le Ramadan. Il s’est invité au menu du foot. Ce 15 mars, donc, un match Angers-Monaco a été interrompu après la blessure d’un joueur, Himad Abdelli, international algérien né en France, à la 13e minute. L’arbitre autorise alors les soignants à entrer sur le terrain.

Les joueurs se pressent vers le banc de touche pour boire et manger. Plusieurs d’entre eux, musulmans jeuneurs, en profitent pour se restaurer. Les commentateurs du match informent que les équipes ont eu le feu vert pour une «pause-Ramadan». Une première en France. Outrage à la laïcité!

La Fédération française de football (FFF) interdit toute pause liée à l’iftar, au nom du «principe de neutralité du football sur les lieux de pratique». La polémique enfle. Vite, la FFF affirme que les joueurs sont seulement allés boire, rien n’y fait. La droite et l’extrême droite s’en mêlent. L’arbitre aurait accepté que si une «occasion réelle» se présentait pour casser le jeûne, il laisserait faire. Elle s’est présentée avec la blessure d’un joueur.

La politique s’empare de l’affaire. Un député LR dénonce un «vrai grand moment de rupture avec le projet français». Laurent Wauquiez, candidat à la présidence de LR, conspue des agissements «inacceptables». Le fameux Pascal Praud de CNews vitupère contre «une demande communautaire d’une nouvelle société». Le Rassemblement national ne s’en laissait pas compter. Pour les musulmans de France, cette nouvelle affaire est insupportable. Ils savent que les voisins européens ne font pas tout un plat de ces pauses-Ramadan.

En Angleterre et en Allemagne, depuis quelques années, les joueurs musulmans peuvent le faire pour l’iftar pendant le match. En France, le Ramadan est une rengaine qui revient chaque année. Dans les matchs, beaucoup de joueurs font un signe religieux en entrant sur le terrain, chrétien ou musulman, mais sans doute, bientôt, la droite et l’extrême droite vont-elles prohiber ce signe.

Le rejet de l’islam est un réflexe. Et chaque jour, la France se fracture un peu plus, entre, d’un côté, ceux qui défendent mordicus la laïcité, de l’autre ceux qui savent que le pays devient de plus en plus islamophobe.

«Ils ne nous aiment pas. De toute façon, quand ce n’est pas le Ramadan, c’est autre chose.» En 2016, à Madrid, le surdoué Karim Benzema, franco-algérien, déclarait: «Quand je marque, je suis français, quand je ne marque pas, je suis arabe.» La phrase est restée dans les mémoires.

Le rejet de l’islam est un réflexe. Et chaque jour, la France se fracture un peu plus, entre, d’un côté, ceux qui défendent mordicus la laïcité, de l’autre ceux qui savent que le pays devient de plus en plus islamophobe.

                                                      Azouz Begag

Un climat raciste nauséabond régnait alors en 2010-2011 sous la présidence de Nicolas Sarkozy. À la FFF, la phobie du «grand remplacement» gangrénait les esprits. Plusieurs dirigeants de la fédération, enregistrés à leur insu par un témoin, paraphaient en secret le principe de quotas discriminatoires dans les écoles de foot du pays.

L’objectif était de limiter, en les triant dès l’âge de 12-13 ans, le nombre de joueurs français de type africain et maghrébin. Une ségrégation ethnique – prohibée par la loi! – était ainsi prévue.

Le style de jeu développé en France ne conviendrait plus: il y aurait trop de «grands noirs athlétiques et pas assez de petits blancs qui ont l’intelligence du jeu dans le football français». La FFF était en pleine tourmente. Le sélectionneur national s'excusait d’avoir repris les termes de ses collègues espagnols: «Nous, on n'a pas de problème. Des Blacks, on n'en a pas!»

Ironie du sort! Aujourd’hui, le meilleur joueur dans l’équipe nationale d’Espagne a 17 ans. Il s’appelle Lamine Yamal. Il est d’origine marocaine. Le Barcelonais est un prodige convoité dans le monde entier. Cette triste affaire faisait écho à un autre scandale survenu en 2005: la sortie outrancière du célèbre philosophe Alain Finkelkraut à propos de l’équipe de France.

Interrogé par le journal israélien Haaretz sur les violences urbaines en France, il avait fustigé les «Noirs», les «Arabes» et l’islam, avant d’affirmer que l’équipe nationale de football était «black-black-black», «la risée de l’Europe».

Cinq ans plus tard, en 2010, en Afrique du Sud, quand les Bleus étaient en perdition, les médias interrogeaient de nouveau le philosophe-académicien, qui maintenait que les Bleus souffraient de «division ethnique et religieuse», avant de les qualifier d’«équipe de voyous… à la morale de mafia… qui se foutent de la France… une génération caillera…»

À écouter les critiques, dans les vestiaires des Bleus c’était la guerre entre les nouveaux musulmans convertis et les vrais Français, révélant une «libanisation» de l’équipe de France.

Des journalistes s’étaient mis à traquer la «radicalisation des joueurs». Ces épisodes rudes ont aussi laissé des cicatrices dans les esprits. Aujourd’hui, rien n’a changé. Le dit communautarisme des musulmans est enkysté dans la sémantique de la droite et de l’extrême droite. Il infuse la société et provoque des tensions gouvernementales, comme ce 18 mars, où François Bayrou a dû convoquer les ministres qui avaient pris des positions divergentes sur le port du voile dans le sport.

La ministre concernée, soutenue par celle de l’Éducation nationale, avait été vertement critiquée par des collègues après avoir déclaré à juste titre que «l’entrisme ne se résume pas au port du voile… Les sujets de radicalisation dans le sport sont un autre sujet que celui du port du voile et d’insignes religieux (…)» 

Selon elle, «l’objectif du ministère des Sports, c’est de donner l’accès à la pratique sportive à tous et toutes…» Elle avait soulevé l’ire de Moussa Darmanin. «On ne peut pas accepter le moindre accommodement avec le communautarisme…» Bruno Retailleau, «en désaccord radical» avec sa collègue aux sports, assurait avoir «un certain nombre d’informations qui démontrent un entrisme islamiste dans le sport, notamment des Frères musulmans».

Ainsi, l’interdiction du port du voile prise en 2022 par la fédération de basket avait créé des tensions, suivies de sanctions. Un mouvement général s’est opéré par les fédérations sportives, même si elles y étaient parfois réticentes.

Alors que le feu couve en Europe avec les menaces du couple Trump-Poutine, la France allume encore et toujours des feux de brindilles avec des polémiques sur l’islam, l’islamisme, la radicalisation, l’entrisme des Frères musulmans, le communautarisme…

                                                              Azouz Begag

Les joueuses portant un foulard ont été progressivement exclues des matchs et la loi a fini par être appliquée par la fédération de basket-ball, puis celle de volley. Pas celles de handball et d’athlétisme, qui autorisent la cagoule sportive, avec la même idée: les clubs sont ouverts à tous et à toutes, notamment aux jeunes femmes des quartiers populaires.

Dans le rugby, par exemple, grâce à elles, les compétitions féminines se sont beaucoup développées ces dernières années, mais le port du voile a quand même été interdit en juillet dernier.

L’ONG Amnesty International, dans un rapport, a dénoncé en France des «pratiques discriminatoires aux effets dévastateurs… le seul pays d’Europe à interdire le port de couvre-chefs religieux dans le sport». En vain. Le ministre Darmanin rappelait récemment que le port du voile dans le sport n'était pas une «tradition française». Et le Premier ministre Bayrou décidait même d’inscrire à l’Assemblée nationale une proposition de loi sénatoriale proscrivant définitivement le port du voile dans le sport.

Les jeux sont faits, rien ne va plus! Voilà où en est la France du grand repli en mars 2025. Alors que le feu couve en Europe avec les menaces du couple Trump-Poutine, la France allume encore et toujours des feux de brindilles avec des polémiques sur l’islam, l’islamisme, la radicalisation, l’entrisme des Frères musulmans, le communautarisme… tandis qu’avec l’Algérie, la crise diplomatique se durcit.

Sur ce front, l’actualité bat son plein. Suspens garanti. Le ministre de l’Intérieur a annoncé une «riposte graduée» de son gouvernement suite la fin de non-recevoir opposée le 17 mars par l’Algérie à une liste de personnes expulsées frappées d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Alger a réaffirmé «son rejet catégorique des menaces et des velléités d’intimidation, ainsi que des injonctions, des ultimatums et de tout langage comminatoire». On évoquait alors à Paris l’hypothèse d’une suspension d’exemption de visas de court séjour aux titulaires de passeports diplomatiques.

Retailleau a fait de sa fermeté sur ce dossier un marqueur politique. Il a menacé de démissionner. Qu’on ne lui demande pas «… de céder sur ce sujet majeur pour la sécurité des Français…» Plus tard, il ajoutait: «Je ne veux pas d’un autre Mulhouse demain.» Au même moment, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, assistait à la rupture du jeûne à la grande mosquée de Paris… Toute cette confusion et ces surenchères se passent dans un contexte en ébullition: l’élection à la présidence des LR le 18 mai prochain.

Elle est convoitée par (au moins) deux hommes, Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez. Dans cette perspective, les deux candidats resservent sans vergogne aux Français les plats réchauffés de l’islamophobie, du refus de l’immigration, du voile, l’entrisme, l’Algérie… 

Laurent Wauquiez, qui avait souhaité la Place Beauvau dans le gouvernement Bayrou, pressurise son rival ministre dans le dossier algérien. Il n’hésite pas à fustiger «le mépris de l’État algérien» et la «capitulation de notre exécutif», c’est à dire celle de Bruno Retailleau, qui, selon lui, aurait dû démissionner…

Les deux candidats sont ennemis. Pour l’échéance, ils élaborent des alliances. De son côté, Retailleau vient de former un couple improbable avec Manuel Valls, ancien Premier ministre socialiste, aujourd’hui en charge de l’Outre-mer dans le gouvernement. Le 26 mars, les deux collègues se retrouveront à Paris pour un grand meeting consacré, non pas à l’environnement, ni à l’Ukraine, l’union USA-Russie, la perte d’influence en Afrique, l’Europe et l’Otan, la dette française, etc., mais «pour la république. La France contre l’islamisme». L’occasion pour le duo de tenter d’occuper le terrain du Rassemblement national.

Dans ce grand baroud annoncé, Manuel Valls dissertera sur  la refondation du pacte républicain et les moyens de «faire ensemble de la lutte contre l’islamisme la priorité de notre action commune». Sera présent le comité de soutien à Boualem Sansal.

1905-2025. Cette année fêtera les 120 ans de la loi sur la laïcité. Elle commémorera aussi les dix ans des attentats islamistes de 2015. Pour les millions de musulmans de France, il y aura de quoi manger son pain noir.

PS: Le 15 mars, durement blessé lors du match Angers-Monaco au moment de l’iftar, l’international algérien Abdelli ne simulait pas. Il a finalement déclaré forfait pour un rassemblement avec les Fennecs d’Algérie. «Tellement fait exprès ma blessure, que je ne peux rejoindre et jouer pour ma sélection nationale! À bon entendeur.»

Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.

X: @AzouzBegag

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.