Aux États-Unis, en basket, le temps qui s’écoule jusqu’à la fin du match lorsqu’un score est si élevé que l’équipe est incapable de réduire l’écart est mieux connu sous le nom de «garbage time». C’est à peu près la même chose dans la politique britannique en ce qui concerne la période qui s’étend jusqu’aux prochaines élections générales.
La date des élections n’a pas encore été définie, mais, selon la loi, ces dernières ne pourraient avoir lieu après janvier de l’année prochaine, même si des rumeurs circulent en masse à Westminster selon lesquelles elles pourraient avoir lieu dès juillet ou, au plus tard, pendant l'automne. Mais qu’est-ce qui donne donc l’impression que le Parti conservateur au pouvoir perd du temps jusqu’à demander au public son verdict sur ses quatorze années de maintien au pouvoir sans aucun espoir de remporter les prochaines élections générales?
Le Parti travailliste de Keir Starmer est régulièrement en tête des sondages depuis le début de l’année 2022. Au cours de ce mois, 43% des adultes britanniques ont déclaré qu’ils voteraient pour lui lors des élections générales, contre 23% qui voteraient pour les conservateurs. Il s’agit d’une avance irrésistible que le gouvernement ne peut pas renverser en si peu de temps, surtout si l’on tient compte de l’importance des divisions au sein du parti. Et il serait tout aussi difficile pour les travaillistes, sous la direction très prudente de Starmer, de contrarier l’électorat au point de perdre un avantage aussi important.
Une série d’élections partielles a déjà démontré le dégoût des électeurs à l’égard du gouvernement actuel. Cependant, cette situation me pousse à suggérer, peut-être naïvement, que la seule façon pour le Parti conservateur et son chef, Rishi Sunak, de limiter certains des dégâts attendus dans les urnes consiste plutôt à reconnaître son impopularité et ses erreurs passées, au lieu de les nier ou de les défendre, et de faire preuve de contrition et d’humilité.
Entre-temps, pour les travaillistes et Starmer, il existe une occasion en or – ignorée jusqu’à présent – de présenter au public des politiques nouvelles, radicales et innovantes qui peuvent contribuer au progrès du Royaume-Uni dans l’ère post-Brexit, par opposition au programme médiocre et paroissial du gouvernement actuel. Il s’agirait plutôt d’apporter quelques ajustements marginaux en matière d’économie, de services sociaux, de relations avec l’Europe, de politique étrangère et de défense, en plus de la question controversée de l’immigration, qui domine l’actualité.
Après près de quatorze ans au pouvoir et cinq Premiers ministres, le Parti conservateur est en plein désarroi et totalement dépourvu d’idées. Mais le problème ne réside pas seulement dans son incapacité à résoudre les problèmes politiques auxquels le pays se trouve confronté et qui intéressent le public. La corruption morale et le mauvais comportement de certains de ses parlementaires caractérisent ce parti qui n’est plus le bienvenu au sein du gouvernement.
L’attente selon laquelle le Premier ministre déclencherait des élections avant la fin de l’année a, en réalité, lancé la campagne électorale. Malheureusement, une grande partie comporte des attaques personnelles et des campagnes de diffamation, tandis que les débats indispensables sur la gestion d’une économie à croissance lente, hantée par l’inflation, et d’un pays qui devient de plus en plus une puissance de taille moyenne avec une mentalité insulaire, sont laissés de côté.
Pour le Royaume-Uni, les défis nationaux s’accentuent et le gouvernement n’a apporté aucune réponse adéquate. Pendant ce temps, les affaires internationales se transforment en ce qui est largement reconnu comme une nouvelle guerre froide, avec le danger actuel d’un conflit régional au Moyen-Orient et des tensions avec la Chine sur le commerce et la mer de Chine méridionale qui pourraient conduire à une confrontation militaire. Il y a ensuite la guerre en Ukraine, qui est loin d’être terminée. Sans oublier la bataille perdue d’avance pour atténuer le changement climatique. Étonnamment, malgré tout cela, les conservateurs et les médias de droite sont plutôt préoccupés par les conditions de vie de la chef adjointe du Parti travailliste, Angela Rayner.
Dans le grand ordre des préoccupations quotidiennes du peuple britannique, sans parler de celles du reste du monde, la question de savoir si la «résidence principale» de Rayner était celle qui lui appartenait ou celle de son mari – et si elle aurait donc dû payer 3 500 livres sterling (soit 4 091 euros) d’impôt sur les plus-values lors de la vente de son ancien appartement social – est d’une importance négligeable. Après tout, Rayner a déjà annoncé qu’elle démissionnerait si elle avait enfreint la loi.
Toutefois, les conservateurs, bien qu’ils soient eux-mêmes acculés par des scandales qui ont incité un certain nombre de leurs députés à démissionner – et bien qu’ils aient vu le parti perdre lourdement lors des élections partielles qui ont suivi –, pensent que le fait de se raccrocher à des brindilles, comme à travers leurs faibles tentatives de diaboliser Rayner, vaut mieux que ne pas réagir du tout.
Cette affaire illustre le détachement du parti par rapport aux réalités quotidiennes du peuple britannique, qui continue de payer à la fois le désastreux Brexit et l’application calamiteuse qui a suivi de la «trussonomie», idée originale de l’éphémère (quarante-neuf jours) et sans vergogne Première ministre Liz Truss. Cette dernière a continué de promouvoir ces idées néfastes (ainsi que ses absurdes théories du complot) dans son nouveau livre, alors que le gouvernement est désormais dirigé par le cinquième Premier ministre conservateur depuis 2010.
Les conservateurs adorent détester Rayner, avant tout parce qu’elle est l’opposante la plus virulente et qu’elle démontre mieux que quiconque à la tribune que leur mandat au gouvernement est terminé. Ils redoutent qu’elle remplace Starmer à la séance des questions du Premier ministre. Mais leurs attaques et leurs efforts pour la discréditer et la pousser hors de la politique parlementaire sont à la fois misogynes et fondés sur une approche basée sur les classes.
L’idée même qu’elle puisse occuper une position influente dans un futur gouvernement travailliste alors qu’elle est issue d’un milieu ouvrier, qu’elle a grandi dans un HLM, qu’elle n’est pas diplômée d’une université huppée et qu’elle est devenue mère à l’âge de 16 ans est impensable pour les conservateurs et leurs partisans. Voilà qui ébranle leur vision étroite et élitiste de la société britannique et ce sentiment bien enraciné en eux d’être nés pour régner.
«Les conservateurs adorent détester Rayner, avant tout parce qu’elle est l’opposante la plus virulente.»
Yossi Mekelberg
Seul le temps nous dira ce que l’enquête policière sur les affaires de Rayner pourra ou non révéler. Cependant, en s’en prenant à elle, les conservateurs montrent qu’ils ont peur des prochaines élections générales et que tout événement susceptible de détourner l’attention de leur bilan désastreux est le bienvenu.
Pourtant, tout cela n’aboutit au mieux qu’à quelques acclamations de leur base de plus en plus réduite et à quelques gros titres de soutien de la part des médias de droite de leurs clients. Cela ne parvient pas à dissuader le public de vouloir un changement et de le vouloir maintenant. Les escarmouches politiques qui deviennent très personnelles ne raccourcissent pas les listes d’attente pour consulter votre médecin local ou obtenir une aide médicale spécialisée; elles ne créent pas d’emplois, ne rendent pas le logement, la nourriture ou les transports plus abordables. En outre, elles empêchent le pays d’atteindre ses objectifs en matière de changement climatique.
Le public en a assez des tensions. Il aspire à la fin de ce garbage time et à une politique inclusive qui s’attaque aux véritables problèmes.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme Mena à Chatham House.
X: @YMekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com