Les États-Unis soutiennent la campagne d’Israël à Gaza. La guerre, qui en est déjà à son quatrième mois, risque de dégénérer en guerre régionale. Les Houthis attaquent des navires qui se dirigent vers Israël, l’Irak est en proie à des troubles et une confrontation importante entre le Hezbollah et Israël devient de plus en plus probable. Un cessez-le-feu est nécessaire pour la stabilité régionale. Seuls les États-Unis peuvent contraindre Israël à conclure un cessez-le-feu. Selon un sondage Reuters/Ipsos réalisé en novembre, 68% des Américains sont favorables à un cessez-le-feu. Pourtant, les États-Unis continuent de donner carte blanche à Israël. Pourquoi ?
Voilà qui est ahurissant. Les États-Unis soutiennent Israël alors que l’opinion publique américaine est favorable à un cessez-le-feu. De plus, une guerre régionale n’est pas dans l’intérêt des États-Unis, surtout s’ils y sont entraînés. La politique américaine à l’égard du Moyen-Orient semble consister davantage à soutenir Israël qu’à tenir compte des préférences de l’opinion publique américaine ou du meilleur intérêt du pays.
Mohammed Baharoon, membre bien connu d’un groupe de réflexion basé à Dubaï, a écrit sur X : «Les États-Unis feront l’impossible pour protéger leurs propres intérêts nationaux, mais aujourd’hui ils subordonnent leurs intérêts au Moyen-Orient à un homme politique étranger qui fait l’objet de poursuites judiciaires». Il fait référence à Benjamin Netanyahou, le Premier ministre israélien.
La réponse est très simple. Le soutien des États-Unis à Israël est motivé par le lobby pro-israélien. Bien que nous considérions ce lobby comme une cabale ou une sorte de complot, il s’agit d’une opération totalement légitime selon la loi américaine. En vertu du premier amendement de la Constitution des États-Unis, les citoyens peuvent «adresser des pétitions au gouvernement pour obtenir réparation des torts subis». C’est ainsi qu’est né le lobbying.
«Un petit groupe d’individus bien financés pousse les États-Unis à adopter une politique que la plupart des Américains ne soutiennent pas»
Dr Dania Koleilat Khatib
Les citoyens américains ont le droit de créer et constituer des groupes de pression qui peuvent plaider auprès du gouvernement et promouvoir leurs préférences politiques. Cela fait partie du processus démocratique, qui permet aux groupes de contribuer au processus décisionnel du pays. Les groupes de pression financent également les campagnes électorales. Les promesses de campagne peuvent alors devenir des politiques une fois qu’un candidat est élu. Tout cela donne l’impression d’être une expression de la démocratie.
Cependant, en matière de politique étrangère, ce système permet à certains groupes d’influencer la politique de l’ensemble de la nation. Il n’y a pas d’exemple plus flagrant que celui du lobby pro-israélien et de son influence sur la politique américaine au Moyen-Orient.
Aujourd’hui, dans le cas de la guerre contre Gaza, l’écart entre l’intérêt national et l’opinion publique, d’une part, et la politique américaine au Moyen-Orient, d’autre part, est très apparent.
En 2007, Stephen Walt et John Mearsheimer ont écrit un livre à succès sur l’influence du lobby pro-israélien sur la politique étrangère américaine. Le lobby pro-israélien est un groupe d’organisations qui s’efforcent de promouvoir une politique américaine favorable à Israël au Moyen-Orient. Son élément le plus important est une organisation appelée American Israel Political Affairs Committee (AIPAC). Ses membres et ses bailleurs de fonds sont des citoyens américains et l’organisation est donc soumise aux lois sur le lobbying des groupes nationaux. Comme d’autres groupes de pression nationaux, l’AIPAC est autorisé à financer des campagnes électorales.
Lorsque des États étrangers embauchent un lobbyiste ou un consultant en relations publiques afin de promouvoir leurs intérêts aux États-Unis, les agents qui travaillent pour eux sont tenus de s’inscrire en vertu du Foreign Agents Registration Act. Cette loi a été mise en place afin de limiter la capacité des gouvernements étrangers à influencer la politique américaine. Toutefois, les groupes nationaux peuvent s’organiser et plaider en faveur d’un certain résultat en matière de politique étrangère et ils disposent d’une grande marge de manœuvre car ils sont considérés comme des citoyens américains qui ont le droit de contribuer au processus décisionnel du pays.
«Une fois que l’aspect financier aura été retiré du lobbying en matière de politique étrangère, ce dernier deviendra plus équilibré.»
Dr Dania Koleilat Khatib
En théorie, il devrait être acceptable pour les citoyens américains d’exercer des pressions en faveur de la politique étrangère, de la même manière qu’ils ont le droit d’exercer des pressions en faveur des avantages accordés aux enseignants, des droits des personnes âgées, etc. Cependant, les décisions de politique étrangère n’affectent pas seulement le groupe qui les défend, elles affectent le pays tout entier.
Si un cessez-le-feu n’est pas rapidement mis en place à Gaza, le Moyen-Orient pourrait facilement basculer dans une guerre régionale. Or, ni le Congrès américain ni l’administration Biden n’ont appelé à un cessez-le-feu. À l’exception de quelques voix ici et là, les décideurs politiques soutiennent Israël. Outre le sondage qui a montré qu’une majorité d’Américains est en faveur d’un cessez-le-feu, les grandes villes sont inondées de manifestations propalestiniennes. Pourtant, la politique n’a pas changé. En fait, ce que nous voyons aujourd’hui est le résultat antidémocratique du lobbying : un petit groupe d’individus bien financés pousse les États-Unis à adopter une politique que la plupart des Américains ne soutiennent pas.
Il est temps que les États-Unis modifient la loi afin d’éviter que leur intérêt national ne soit dicté par un petit groupe. Les groupes de pression nationaux devraient être limités aux activités de lobbying en matière de politique intérieure. S’ils veulent faire du lobbying en matière de politique étrangère, ils doivent s’inscrire en vertu Foreign Agents Registration Act. Une fois que l’aspect financier aura été retiré du lobbying en matière de politique étrangère, ce dernier deviendra plus équilibré et plus en phase avec les intérêts réels du pays.
Les activistes en faveur d’un cessez-le-feu ont récemment révélé les montants reçus par certains politiciens de la part de l’AIPAC. Le président Joe Biden est le principal bénéficiaire des fonds de l’AIPAC. Lorsqu’un député dépend, en grande partie, du financement de sa campagne par un seul donateur généreux, pourrait-il aller à l’encontre de la volonté de ce bienfaiteur ? Je dirais que c’est très peu probable.
L’AIPAC a la réputation de s’en prendre aux politiciens dont elle désapprouve les votes ou les opinions en finançant généreusement leurs rivaux. L’argent ne devrait plus être un facteur susceptible d’influencer les décisions relatives à la politique étrangère. On pourrait penser que le moment est venu d’opérer ce changement. Malheureusement, aujourd’hui plus que jamais, les politiciens ont besoin de l’argent de l’AIPAC pour financer leurs campagnes, alors que les États-Unis s’apprêtent à entrer dans une période électorale.
Tant que l’administration américaine n’aura pas pris la décision audacieuse de libérer la politique étrangère des États-Unis du contrôle de quelques privilégiés, il faut s’attendre à des décisions de plus en plus désastreuses, notamment en ce qui concerne le Moyen-Orient.
La Dr. Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes, en particulier sur les groupes de pression. Elle est co-fondatrice du Research Center for Cooperation and Peace Building (Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix), une ONG libanaise axée sur la diplomation parallèle (Track II).
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com