De la bronca contre Macron au Stade de France à la garde à vue d’Ali de Clermont

Le président français Emmanuel Macron (C) et le président de World Rugby Bill Beaumont (R) lors d'un match de rugby entre la France et la Nouvelle-Zélande au Stade de France à Saint-Denis, en banlieue parisienne, le 8 septembre 2023. (Photo FRANCK FIFE / AFP)
Le président français Emmanuel Macron (C) et le président de World Rugby Bill Beaumont (R) lors d'un match de rugby entre la France et la Nouvelle-Zélande au Stade de France à Saint-Denis, en banlieue parisienne, le 8 septembre 2023. (Photo FRANCK FIFE / AFP)
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Publié le Mercredi 13 septembre 2023

De la bronca contre Macron au Stade de France à la garde à vue d’Ali de Clermont

De la bronca contre Macron au Stade de France à la garde à vue d’Ali de Clermont
  • Tandis qu’Emmanuel Macron est conspué au Stade de France, la droite et l’extrême droite poussent dans la mêlée, focalisées sur l’immigration et l’identité
  • Le pays est déchiré et le jeu politique continue de le cliver en activant peurs, crispations et rancœurs contre des boucs émissaires

Jamais connu ça! En France, septembre est annoncé comme le mois le plus caniculaire de l’Histoire. Les échauffourées vont crescendo. La tension n’a cessé de monter. Après la mort de Nahel tué à la fin du mois de juin dernier à Nanterre par un policier, les émeutes qui s’en suivirent, les fusillades meurtrières des dealers à Marseille et à Nîmes, il plane sur le pays comme une immense lassitude, le sentiment d’un lent effondrement inéluctable.

Les nerfs et les colères sont à vif. Un signe: le 8 septembre au Stade de France, venu inaugurer la Coupe du monde de rugby, le président Macron a été hué par des milliers de spectateurs, en direct devant les téléspectateurs du monde entier. Ils ont dû chercher la raison de ces sifflets qui, visiblement, étaient liés à l’entrée du président dans l’arène.

Cette bronca illustre la nervosité du pays et de ses dirigeants. Aussitôt, les commentaires ont fusé sur les réseaux sociaux, les uns fustigeant l’humiliation planétaire faite au président, les autres ravis de l’aubaine, d’autres encore choqués par le manque de respect vis-à-vis de l’autorité, qui s’ajoutait à celui vis-à-vis des policiers, des enseignants, des juges, des pompiers, des personnes âgées… Ce soir-là, les vaillants Bleus ont vaincu les redoutables All Blacks, mais l’image de la France en est ressortie pleine de bleus.

On imagine mal pareil affront dans une autre nation de rugby comme la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud, l’Australie, l’Irlande ou l’Angleterre… d’autant qu’il s’agit d’un sport où le respect, le fair-play, la solidarité et l’amitié sont au cœur des valeurs. Une chose est sûre: en ce début septembre, le chef de l’État était sans doute conspué pour sa réforme des retraites, forcée au 49.3, la vie chère, sa personnalité... 

Le 4 septembre, jour de la rentrée scolaire, trois cents filles sur douze millions d’élèves (0,000025) se sont présentées en abaya devant leur établissement et soixante-sept ont refusé de la retirer. Il n’en fallait pas plus pour réactiver les controverses sur la laïcité face à l’islam dans l’actualité.

Mais en aucun cas à cause de la récente interdiction de l’abaya dans les écoles, tout juste décidée, aussitôt dénoncée par ses opposants comme une énième provocation contre les musulmans. Parmi ces derniers, après le match de football victorieux des Bleus contre l’Irlande du 7 septembre, on comptait les défenseurs internationaux Jules Koundé et Ibrahima Konaté. Fait rare dans le foot pour être signalé. Sur Instagram, le premier, d’origine béninoise, a diffusé une vidéo à charge d’une célèbre influenceuse; et le second, d’origine malienne, celle d’une lycéenne exclue de l’école à cause de l’abaya. «C’est une blague, j’espère», a déclaré le joueur de Liverpool en Angleterre, où l’islam est traité sans crispation particulière.

Contre eux, les détracteurs racistes se sont lâchés. Cœurs sensibles, s’abstenir de lire les commentaires sur les réseaux sociaux tant ils sont orduriers. «J’ai mal à ma France…», nous sommes nombreux à le dire, mais pas pour les mêmes raisons ni pour la même France. Le pays est déchiré et le jeu politique continue de le cliver en activant peurs, crispations et rancœurs contre des boucs émissaires.

Heureusement, il reste quelques bouffées d’oxygène et de la joie grâce au sport. Les Français, qui ont souffert du blues ces derniers temps, aiment les Bleus. Tant mieux. Les joueurs, incarnant la diversité de la population, ont du «talent», c’est ce seul critère de sélection qui prévaut dans le sport. C’est beau, c’est fort. Cette équipe, comme celle du rugby, fait du bien à la France qu’on aime, qui rassemble et qui unit… contrairement à l’interdiction de l’abaya décrétée le 27 août par le ministre de l’Éducation nationale dans les établissements scolaires.

Le vêtement féminin jugé porteur d’une logique d’affirmation religieuse à l’école est dans la marmite politique. Porté à ébullition. Le 4 septembre, jour de la rentrée scolaire, trois cents filles sur douze millions d’élèves (0,000025) se sont présentées en abaya devant leur établissement et soixante-sept ont refusé de la retirer. Il n’en fallait pas plus pour réactiver les controverses sur la laïcité face à l’islam dans l’actualité. Comme si on avait besoin de cette énième guerre en pleine canicule.

Heureusement, il reste quelques bouffées d’oxygène et de la joie grâce au sport. Les Français, qui ont souffert du blues ces derniers temps, aiment les Bleus. Tant mieux. Les joueurs, incarnant la diversité de la population, ont du «talent», c’est ce seul critère de sélection qui prévaut dans le sport.

Lassitude! Les nerfs se sont retendus, alimentant une violence sourde dans un pays à fleur de peau, grand consommateur d’anxiolytiques (qui soulagent la dépression et l’humeur des patients...). Tout ce stress pour soixante-sept exclusions sur douze millions d’élèves! La distorsion est consternante. Elle va alimenter le racisme, comme celui que Konaté et Koundé ont subi.

Mêmes causes, mêmes effets. Depuis l’affaire des foulards de Creil en 1989, le couple islam-laïcité n’a cessé de scander le tempo de la vie politique française. Trente-quatre ans! Et ça continue. Et ça s’envenime même, avec ce père de famille, appelons-le «Ali de Clermont-Ferrand», dont la fille en abaya s’est vu refuser l’entrée du lycée et qui a menacé d’égorger le proviseur. Il a été placé en garde à vue. Le bougre ignorait que ses stupides menaces allaient faire la une et nourrir le rejet des Arabes, des musulmans, de l’immigration… Le meurtre du professeur Samuel Paty est encore dans tous les esprits.

Lassitude! Septembre est hélas bel et bien caniculaire. Le 6, Marion Maréchal Le Pen est déclarée tête de liste aux européennes pour Reconquête!, le parti d’Éric Zemmour, qui annonçait la couleur: «Nous allons faire du scrutin du 9 juin prochain un référendum sur l'immigration!» Et Marion de brosser le tableau de «la grande bataille historique, civilisationnelle et vitale qui est celle de la défense de notre identité, de notre culture, de nos valeurs menacées par la submersion migratoire et par l'islamisationJe le fais pour mes filles… La perspective qu'elles puissent demain grandir dans un pays où le sujet du voile et de l’abaya devient quotidien, un pays rythmé par les destructions des émeutes (…) me désespère.»

Comment traduire ce programme à Ali de Clermont qui menaçait d’égorger le proviseur? A-t-il jamais voté? Comment lui expliquer qu’en Italie, Finlande, Danemark, Suède, Allemagne… l’extrême droite a le vent en poupe, et qu’en France, tandis que M. Macron est conspué au Stade de France, la droite et l’extrême droite poussent dans la mêlée, focalisées sur l’immigration et l’identité. En cette période de sécheresse, le terreau est fertile pour la haine des autres. Ali de Clermont l’ignore. Pire, il n’en a cure. Il ne pense qu’à l’avenir de sa fille, qui s’arrête à aujourd’hui, comme Marion Maréchal à celui des siennes, qui lui, continuera demain.

Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.

Twitter: @AzouzBegag

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.