La beauté de Sabah, miss Nord-Pas-De-Calais, face au seum du racisme en France

Miss Nord-Pas-de-Calais Sabah Aib (R) parle à côté de Miss Martinique Angélique Angarni-Filopon lors du concours de beauté Miss France 2025 à l'Arena Futuroscope à Chasseneuil-du-Poitou, dans le centre-ouest de la France, le 14 décembre 2024. (Photo AFP)
Miss Nord-Pas-de-Calais Sabah Aib (R) parle à côté de Miss Martinique Angélique Angarni-Filopon lors du concours de beauté Miss France 2025 à l'Arena Futuroscope à Chasseneuil-du-Poitou, dans le centre-ouest de la France, le 14 décembre 2024. (Photo AFP)
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Publié le Vendredi 10 janvier 2025

La beauté de Sabah, miss Nord-Pas-De-Calais, face au seum du racisme en France

La beauté de Sabah, miss Nord-Pas-De-Calais, face au seum du racisme en France
  • Elle s’appelle Sabah Aïb et elle est une fière française Nordiste, de père d’origine algérienne et mère marocaine nés en France. Elle aime Lille où elle habite aujourd’hui. Elle est née à Besançon, dans le Doubs, en 2006, où elle a vécu jusqu’à 5 ans.
  • Voilà vingt-deux ans que Marine Le Pen laboure cette terre et multiplie les candidatures aux élections (régionales, municipales, européennes, législatives).

Elle s’appelle Sabah Aïb et elle est une fière française Nordiste, de père d’origine algérienne et mère marocaine nés en France. Elle aime Lille où elle habite aujourd’hui. Elle est née à Besançon, dans le Doubs, en 2006, où elle a vécu jusqu’à 5 ans avant de déménager à Valenciennes… où est né Gerald-Moussa Darmanin, ancien ministre de l’Intérieur. Cette belle et grande jeune fille n’avait pas confiance en elle et, dit-elle, craignait le regard des autres… et pourtant ses parents, séparés, l’ont encouragée à se présenter au concours de beauté Miss France.

Elle s’est donc lancée, a d'abord gagné un concours local en 2023 près de chez elle, à Villeneuve-d'Ascq, puis brigué le titre régional de Miss Nord-Pas-de-Calais. L’aventure Miss France faisait rêver l’étudiante en droit qui faisait aussi du mannequinat. Et pourquoi pas Miss Monde et Miss Univers ? A dix-huit ans, on ne bride pas ses ambitions. Le 19 octobre dernier, au concours de Miss Nord-Pas-de Calais, elle gagne encore. Et c’est là que les rêves se corsent pour Sabah : elle prend la violence du racisme en pleine face. Des propos nauséabonds la salissent sur les réseaux sociaux à propos de ses origines maghrébines. Elle est bouleversée : « Mes parents et mes grands-parents sont nés en France. Je n’ai jamais eu la moindre remarque raciste de ma vie, jusqu’à cette élection. Je ne m’attendais pas à ça ».

On la voyait déjà ‘première Française d’origine maghrébine’ élue Miss France. Elle ignorait combien, dans ce pays, tous ceux qui étaient Premiers Français d’origine afro-maghrébine ou d’Outre-mer à faire leur entrée dans une fonction à haute visibilité devaient essuyer les plâtres : en politique, chez les Miss France, dans le Tour de France, à la télévision, la Comédie Française, dans la Préfectorale, à la cérémonie d’ouverture des JO de Paris (Aya Nakamura) … Sabah analysait : « Ça m’a fait énormément de visibilité. Il n’y a eu que 10 % de mauvais commentaires, mais on n’a parlé que d’eux… J’ai pris du recul, mais les mots ont un impact… je fais la part des choses. » Tout en affirmant son identité française, elle a tenu à clamer que son nom reflétait son identité, mais n’avait rien à voir avec sa nationalité. Ses origines faisaient partie de son histoire, mais ne définissaient pas qui elle était. Elle savait « qui elle est » et cela la rendait « fière de ses origines. » La toute jeune fille qui avait fondu en larmes de joie lors de son couronnement le 19 octobre 2024, est retombée sur terre, dans le Nord Pas de Calais, le jour d’après. Il faut dire que la région est devenue depuis plus d’une dizaine d’années une terre du Rassemblement National de Marine Le Pen.

La question de l’immigration alimente les haines depuis longtemps, pas seulement à Calais, la ville, porte d’entrée de la Grande-Bretagne, qui est devenue emblématique avec sa ‘Jungle’. Lille, Roubaix, Tourcoing, Hénin-Beaumont, Valenciennes, Maubeuge… où la présence de l’immigration arabo-maghrébo-musulmane est très marquée connaissent des réactions de rejet de même ordre. Les musulmans sont environ 5 % dans le département du Nord, comme dans celui du Pas-de-Calais, mais constituent par exemple 40% des cent mille habitants de Roubaix, où le taux de chômage est de 27%. Autrefois riche de son industrie textile, la ville a été frappée par le déclin dans les années 70-80. 30% des emplois ont disparu. La drogue est devenue un problème récurrent. En 2022, une opération "Place nette XXL", destinée à lutter contre les trafics à Roubaix était orchestrée par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, ancien maire de Tourcoing, afin d’éviter que la France ne se retrouve "aux mains des narcotrafiquants".

En attendant, le Nord-Pas-de-Calais est surtout aux mains de l’extrême-droite. Aux dernières élections législatives de juillet 2024, sur 33 circonscriptions, les électeurs ont élu dès le premier tour douze députés, tous du Rassemblement National ! L’un d’eux a même battu le chef du parti communiste français, Fabien Roussel ! Au total, 17 députés RN sur les 33 ont été élus. A Hénin-Beaumont, ancienne ville minière de 27 000 habitants, le RN a triomphé : Marine Le Pen a fait 58% dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais et 64% rien qu'à Hénin-Beaumont, ancien fief de gauche.

Voilà vingt-deux ans que Marine Le Pen laboure cette terre et multiplie les candidatures aux élections (régionales, municipales, européennes, législatives). Son premier parachutage remonte à 1998. Il a fallu attendre 2017 pour qu’elle remporte la circonscription, puis 2024, pour faire basculer la ville au premier tour d’une élection… l’année de l’élection de Sabah Aïb au concours Miss Nord-Pas-De-Calais. L’atmosphère socio-politique dans la région n’est donc guère favorable aux Français qui répondent au prénom de Sabah, quand bien même elle serait reine de beauté.

Cependant, la jeune fille n’est pas la première candidate à l’élection de Miss France soumise aux attaques racistes en raison de ses origines et/ou de sa couleur de peau. Lors de son couronnement en 2014, une franco-béninoise avait elle aussi subi ces insultes pour la première fois de sa vie. Sonia Rolland, elle aussi avec des origines africaines, couronnée en 2002, avait « déchaîné une partie des Français qui ne supportaient pas l’idée qu’une Miss France soit d’origine africaine ». Sa mère recevait « des excréments dans des enveloppes ». Pour Miss Île-de-France 2019, le prétexte était ses origines asiatiques. Miss Provence, elle, avait reçu des messages antisémites en raison de la nationalité israélienne de son père. Les couronnements de Miss Guyane en 2017 et de Miss Guadeloupe en 2020 avaient déclenché des vagues de haine. Idem pour Suzanne Iskander, d’origine Libanaise, Miss France 1985 : « On a mis une photo de moi avec une cible dans ma boîte aux lettres, j’avais des coups de fil anonymes, on me disait “sale Arabe, retourne dans ton pays”, “tu nous bouffes notre pain”, “je vais te violer”, “te tuer” ».

Sur ce terrain-là, celui des réactions épidermiques, le concours de beauté des Miss, c’est un peu comme les matchs de football… Autant dire qu’à Poitiers, ce samedi 14 décembre 2024, (1292 ans après la célèbre bataille dite de Poitiers en 732 où les Arabes d’Abd Al Rahman furent vaincus par Charles Martel), les enjeux autour de la candidature de Sabah Aïb étaient pimentés : elle pouvait être la première française d’origine maghrébine (musulmane !) élue Miss France. L’écho de cette nouveauté eut été retentissant, d’autant que ce fut un record d’audience historique à la télévision. En effet, le concours a été suivi par 7.4 millions de personnes, pour 45 % de part d’audience, du jamais-vu depuis 2006, avec un pic à 8.4 millions. Un score supérieur à celui enregistré par la majorité des cinq dernières éditions. In fine, la sublime Sabah a été la plus plébiscitée par le public.

Elle a terminé première dauphine de Miss France 2025, derrière Miss Martinique, mais elle a conquis le cœur des Français. Une belle réponse, tout en beauté, au rejet dont elle a fait l'objet. D’autant que l’âge de la représentante de la Martinique, 34 ans, ne lui permet pas de concourir à Miss Monde, réservé aux candidates de 18 à 27 ans. Une aubaine pour Sabah, affutée pour le défi, qui aura d’autres occasion de dire fièrement en public : « Bonjour, je m’appelle Sabah, un prénom musulman, qui veut dire « aube » en français… » Comment ne pas repenser ici à Gérald-Moussa Darmanin, né à Valenciennes, ancien ministre de l’Intérieur, et à son discours prononcé au moment de céder sa place à son successeur, catholique de droite conservatrice, Bruno Retailleau. Le 23 septembre dernier, il faisait une confession qui restera dans les mémoires de la république : « Je m’appelle Gérald Moussa Jean Darmanin… Mon père, à la maternité, voulait écrire Moussa, du nom de mon grand-père, tirailleur algérien qui avait servi la France. Après tant d’années de fonctions électives, il est assez évident, que si je m’étais appelé Moussa Darmanin, je n’aurais pas été élu maire, et député, et sans doute n’aurais-je pas été ministre de l’Intérieur il faut regarder les choses en face ».

En somme, ‘sauvé des eaux’ (la traduction de Moussa en arabe), in extremis, par Gérald. Une partie de la France n’en a pas fini avec ses fantômes islamophobes et xénophobes. La jeune Sabah, reine de beauté, a souffert de « ça ». Le seum. Le poison, en français. Le syndrome que le ministre Gérald Moussa Darmanin a avoué en septembre dernier place Beauvau. A-t-il appelé Sabah Aïb, Française, de Valenciennes elle aussi, pour lui faire part de sa sympathie et adoucir sa peine ?

 

Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.

X: @AzouzBegag

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.