L’unité au Maghreb semble plus éloignée que jamais

Les ministres des Affaires étrangères de l'Union du Maghreb arabe (UMA) assistent au 34e Conseil de l'organisation le 5 mai 2016 à Tunis. (AFP)
Les ministres des Affaires étrangères de l'Union du Maghreb arabe (UMA) assistent au 34e Conseil de l'organisation le 5 mai 2016 à Tunis. (AFP)
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Publié le Mardi 18 juillet 2023

L’unité au Maghreb semble plus éloignée que jamais

L’unité au Maghreb semble plus éloignée que jamais
  • Une amélioration des relations entre l’Algérie et le Maroc est peut-être la clé pour favoriser l’intégration réussie du Maghreb dans une nouvelle ère de coopération intrarégionale
  • Les aspirations initiales de l’organisation ont presque disparu, affaiblies par la méfiance et les tensions politiques incessantes

Au cours des troubles des années 1980, une vision de l’Union du Maghreb arabe (UMA) émerge, selon laquelle les cinq principaux États de la région – l’Algérie, la Libye, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie – formeraient une union caractérisée par la fraternité, l’égalité et la paix.

Aujourd’hui, cependant, la situation dans la sous-région contraste fortement avec les idéaux panafricains transitoires d’autrefois. Deux de ses pays les plus peuplés, l’Algérie et le Maroc, se sont effectivement déconnectés l’un de l'autre, provoquant des ravages dans toute la région. Leur rivalité est profonde, influencée par une méfiance profondément ancrée et une compétition géopolitique tendue pour l’hégémonie dans le nord-ouest de l’Afrique et au-delà.

Une amélioration des relations entre l’Algérie et le Maroc est peut-être la clé pour favoriser l’intégration réussie du Maghreb dans une nouvelle ère de coopération intrarégionale, mais aussi pour raviver l’esprit de l’UMA. Malheureusement, la question toujours non résolue du Sahara occidental, désormais mise à l’honneur en raison des répercussions d’accords de normalisation ailleurs, nourrit une dynamique bien trop connue.

Relations commerciales catastrophiques

Les deux pays sont plus déterminés à adopter des approches préjudiciables dans un jeu à somme nulle, au moyen duquel le sort d’un pays élargit les divisions et réduit les futures possibilités de rapprochement.

Au-delà des relations commerciales catastrophiques et de l’échange de propos malveillants, les défis qui touchent la région du Maghreb sont évidents et profondément enracinés. Le dernier sommet intergouvernemental de l’UMA a eu lieu en 1994, énième indicateur des graves dysfonctionnements qui frappent la région.

Ce niveau de détérioration nécessite une intervention immédiate et non des discussions stériles sur la capacité du Maghreb à la «régionalisation» sans recourir à l’intégration, qui ne font qu’esquiver la question ou mettent en lumière une incompréhension remarquable des économies politiques du Maghreb.

Aspirations non satisfaites

L’inaction a engendré de nouveaux risques et ravivé d’anciennes menaces, plongeant la sous-région davantage dans le désarroi et l’instabilité. Le rêve d’unité, d’égalité et de prospérité qui était à l’origine de la formation de l’UMA s’évanouit à toute vitesse.

L’UMA, avec toutes ses aspirations non satisfaites, se retrouve dans un bourbier économique qui freine également l’intégration, la libéralisation des échanges et le renforcement de la coopération dont les pays ont tant besoin. Au banc des accusés, on compte des politiques excessivement strictes en matière de commerce et d’investissement, des tarifs punitifs, des barrières non tarifaires et l’infrastructure médiocre qui relie les pays de l’UMA.

Les coûts des formalités d’exportation et d’importation aux frontières, qui sont parmi les plus élevés au monde, en sont d’autres contributeurs importants. En outre, les infrastructures commerciales intrarégionales font cruellement défaut. Prenons, par exemple, le manque de transports commerciaux entre les ports des pays de l’UMA, malgré leur situation côtière.

Manque accablant d’intégration régionale

Par ailleurs, les États membres de l’UMA se tournent constamment vers l’Europe. Ils façonnent les politiques commerciales de manière à refléter les idéaux et les marchés européens. Ils sont la preuve vivante de cette triste réalité où les coûts commerciaux relatifs remplacent les coûts absolus.

En d’autres termes, les experts commerciaux affirment que la proximité des centres commerciaux en plein essor, comme le marché intérieur de l’Union européenne (UE), a tendance à décourager le commerce intrarégional plutôt qu’à le promouvoir. Par conséquent, l’UMA rate des occasions en or de devenir un médiateur de commerce et d’investissement entre l’Europe et l’Afrique en développement. Cette erreur directe a une incidence sur le problème à plus grande échelle qui se pose: un manque accablant d’intégration régionale qui met en échec la place du Maghreb dans la chaîne de valeur mondiale.

L’étrange histoire des doubles accords commerciaux est un autre facteur aggravant. La majorité des pays de l’UMA sont empêtrés dans un réseau d’accords économiques bilatéraux et régionaux, tous complétés par leur adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ce mélange alambiqué d’accords qui se chevauchent est familièrement appelé le phénomène du «bol de spaghettis», qui apporte son propre lot de problèmes. Chaque pays applique des conditions différentes en matière d’échanges, de tarifs, de mesures non tarifaires et de prétendues «règles d’origine».

Jongler avec ces accords divers et souvent contradictoires peut être très pénible, en particulier pour les pays dont les capacités institutionnelles ou de conformité sont limitées. Le comble est qu’au lieu d’accélérer les échanges, ils les ralentissent, augmentent les coûts et provoquent des détournements d’échanges entre les pays de l’UMA. Plutôt que d’assouplir les rouages, ces accords qui se chevauchent paralysent tout et révèlent que le chemin de l’intégration est semé d’embûches économiques.

 

Les tensions croissantes au Maghreb nous rappellent une vérité cruciale: les événements dans cette partie du monde ont tendance à se propager bien au-delà de ses frontières, provoquant des vagues d'instabilité.

Hafed al-Ghwell

Tout n’est cependant pas perdu. L’UMA existe toujours, dans une certaine mesure, donc l’esprit de sa création survit toujours. De plus, même le duo en conflit, soit le Maroc et l’Algérie, a connu de brèves périodes au cours desquelles la coopération s’est développée, notamment lors des bouleversements régionaux de 2011.

Lors des soulèvements qui ont renversé des régimes a priori inattaquables, les deux pays ont reconnu une menace commune au statu quo de la région, adoptant rapidement une position de coopération. Au cours de cette accalmie des tensions, ils ont trouvé un équilibre délicat entre réformes progressives et réformes radicales, servant finalement de modèles pour d’autres États arabes assiégés, pris dans l’effet domino des révolutions et des transitions forcées.

Pendant une très courte période, on a espéré qu’une poursuite commune de l’autopréservation fournirait une base sur laquelle pourraient reposer une coopération future, une plus grande collaboration et, en fin de compte, de nouvelles perspectives d’intégration.

Malheureusement, les espoirs ont été de courte durée, très vite dépassés par des rivalités ravivées. Ainsi, le rêve d’une région maghrébine intégrée et coopérative n’a toujours pas été réalisé et sera sans doute beaucoup plus difficile à réaliser que lors de la création de l’UMA il y a trente-quatre ans.

Tensions politiques incessantes
Les aspirations initiales de l’organisation ont presque disparu, affaiblies par la méfiance et les tensions politiques incessantes. Un signe flagrant de cette désintégration est le chiffre lamentable du commerce intrarégional, qui ne représentait que 2,4% du commerce total en 2021, se classant parmi les plus bas du monde. Cette baisse devrait se poursuivre.

Malheureusement, la perspective de prospérité et d’unité dans la région du Maghreb n’a pas uniquement été fortement endommagée; elle semble sur le point de régresser encore plus, voire de se transformer en une agression à part entière. La fermeture du gazoduc Maghreb-Europe en novembre 2021 est un autre rappel de la situation catastrophique dans la région.

Le gazoduc, autrefois un brillant exemple d’avantages mutuels et de consolidation régionale, a permis l’acheminement du gaz naturel algérien vers le Maroc, l’Espagne et le Portugal. Inauguré en 1996, il était considéré comme l’infrastructure maghrébine analogue à la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca), moteur de la formation de l’UE. La fermeture du gazoduc, après un accord de transit de vingt-cinq ans qui n’a pas été renouvelé, signifie, en termes sinistres, une épitaphe prématurée de la prospérité régionale fondée sur des intérêts partagés.

Accusations malveillantes réciproques

La région est désormais caractérisée par un certain nombre de réalités très dures. Un important gazoduc fermé. Des frontières terrestres scellées. Des espaces aériens fermés. Des relations diplomatiques catastrophiques. L’Algérie et le Maroc font toujours face à un torrent de tensions et la moindre étincelle déclenche des accusations malveillantes réciproques.

En 2022, le Maroc a établi une nouvelle zone militaire à la frontière de l’Algérie, tirant ainsi la sonnette d’alarme. Cette année, l’Algérie est allée plus loin, mettant presque fin à ses relations diplomatiques avec le Maroc. Leur conflit est ponctué d’exercices militaires à balles réelles près de la frontière. C’est un drame tragique qui dure depuis trois ans et au cours duquel chacun des deux pays fait porter à l’autre la responsabilité de leur relation brisée.

Il semblerait que nous ayons atteint un point de non-retour, mais est-il possible de trouver une solution même en ces temps tumultueux? La réponse est non.

Vagues d’instabilité

Les tensions croissantes au Maghreb nous rappellent une vérité cruciale: les événements dans cette partie du monde ont tendance à se propager bien au-delà de ses frontières, provoquant des vagues d’instabilité. À ce jour, les membres de l’UMA semblent davantage contribuer à déstabiliser la sous-région qu’à renforcer sa sécurité, sa stabilité, son développement durable et sa résilience.
Bien sûr, le courant sous-jacent de cette étrange dynamique vient de la quasi-guerre froide entre l’Algérie et le Maroc. Cependant, la Tunisie est également aux prises avec une crise socio-économique qui s’est aggravée depuis la prise de contrôle du pays par le président, Kaïs Saïed, en juillet 2021. La Libye reste victime de décennies d’instabilité et elle subit les conséquences d’un conflit armé et de tentatives déjouées pour réparer des divisions profondément enracinées et mettre en place des institutions étatiques crédibles.

Au Maghreb, l’équilibre est précaire. Il ne faudrait rien de plus qu’une étincelle, accidentelle ou délibérée, pour embraser la poudrière et semer le chaos chez les voisins méditerranéens au nord et la région sahélienne déjà instable au sud. À cet effet, les appels à l’intégration régionale au Maghreb résonnent comme un vieux disque. Ils font écho à un fantasme de plus en plus déconnecté d’une réalité sinistre et franchement décevante.

Pourtant, ironiquement, il n’y a jamais eu de moment plus crucial pour montrer des signes d’unité entre les États membres de longue date de l’UMA, compte tenu des perspectives sombres s’ils persistent dans leur propre isolement. En effet, il est très difficile de ne pas se sentir découragé par l’avenir du Maghreb, au regard de l’ampleur et de la complexité des obstacles auxquels est confronté chaque pays et la région dans son ensemble.

Malgré les frictions existantes, il subsiste un potentiel, bien que limité, pour améliorer les perspectives et préconiser une relance de la coopération intrarégionale face à l’adversité.

Hafed al-Ghwell est chercheur principal et directeur exécutif de l’Initiative stratégique d’Ibn Khaldoun au Foreign Policy Institute de la John Hopkins University School of Advanced International Studies à Washington. Il a précédemment occupé le poste de président du conseil d’administration du Groupe de la Banque mondiale.
Twitter: @HafedAlGhwell
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com