La pauvreté - le dernier grand défi mondial

La pauvreté, loin d'être une simple statistique ou un déficit économique passager, est un attribut omniprésent de toutes les sociétés de la planète, avec des implications considérables. (AFP)
La pauvreté, loin d'être une simple statistique ou un déficit économique passager, est un attribut omniprésent de toutes les sociétés de la planète, avec des implications considérables. (AFP)
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Publié le Lundi 30 décembre 2024

La pauvreté - le dernier grand défi mondial

La pauvreté - le dernier grand défi mondial
  • Environ 3,5 milliards de personnes, soit 44 % de la population mondiale, sont aux prises avec la pauvreté avec un revenu de 6,85 dollars par jour
  • Ces chiffres révèlent une réalité effrayante : la croissance économique n'a pas suffi à elle seule à élever de vastes pans de l'humanité

À une époque où les progrès technologiques et l'intégration économique promettent des opportunités sans précédent, près de 700 millions de personnes dans le monde continuent de vivre dans l'extrême pauvreté, c'est-à-dire avec moins de 2,15 dollars par jour. Ce chiffre stupéfiant ne représente pas seulement un échec humanitaire monumental, il met également en évidence la complexité et la nature multidimensionnelle de la pauvreté, qui reste profondément ancrée dans le monde.
Malgré des décennies de progrès, la réduction de la pauvreté dans le monde s'est pratiquement arrêtée, exacerbée par des périodes de faible croissance économique, par les répercussions encore palpables de la pandémie de COVID-19 et par une fragilité accrue dans les régions vulnérables.
Mais qu'est-ce que la pauvreté ?
La pauvreté, souvent perçue de manière simpliste comme une simple privation économique, est un phénomène aux multiples facettes. Au-delà du manque immédiat de ressources financières, la pauvreté englobe toute une série de privations, notamment un accès limité à l'éducation, aux soins de santé et aux équipements de base. Elle enracine l'exclusion sociale, étouffe le potentiel et perpétue les cycles intergénérationnels de désavantage.
Par exemple, environ 3,5 milliards de personnes, soit 44 % de la population mondiale, sont aux prises avec la pauvreté avec un revenu de 6,85 dollars par jour. Ces chiffres révèlent une réalité effrayante : la croissance économique n'a pas suffi à elle seule à élever de vastes pans de l'humanité.
La pauvreté, loin d'être une simple statistique ou un déficit économique passager, est un attribut omniprésent de toutes les sociétés de la planète, avec des implications considérables. Elle ne se manifeste pas seulement par le manque ou une myriade d'autres privations, elle englobe également les déficits en matière de nutrition, d'éducation et de soins de santé, qui sont les pierres angulaires du développement humain. Une compréhension critique de la nature persistante et omniprésente de la pauvreté révèle sa capacité à perpétuer des cycles de privation de droits et d'exclusion.
Cette boucle d'auto-renforcement est responsable de l'appauvrissement multidimensionnel de quelque 1,1 milliard de personnes dans le monde, dont près de la moitié sont piégées dans des zones de conflit, où les obstacles à la réduction de la pauvreté sont incroyablement élevés.
Malgré un large éventail d'outils analytiques, de cadres politiques et de programmes de développement proposés au fil des décennies, l'éradication de la pauvreté reste un formidable défi. En d'autres termes, si notre compréhension de la pauvreté a considérablement évolué - la communauté mondiale partageant même une conscience profonde des racines de la pauvreté et de ses répercussions -, la recherche d'un remède universel reste toujours aussi difficile à mettre en œuvre.
La persistance, l'élasticité et la complexité de la pauvreté ne sont nulle part plus évidentes qu'en Afrique subsaharienne, où réside 67 % de la population mondiale vivant dans l'extrême pauvreté, alors que la région ne représente que 16 % de la population mondiale. Les implications sont profondes : si l'on ne modifie pas significativement la trajectoire actuelle, on estime que 622 millions de personnes resteront dans l'extrême pauvreté d'ici à 2030. En outre, environ 3,4 milliards de personnes subsisteront avec moins de 6,85 dollars par jour, ce qui montre que la portée de la pauvreté va bien au-delà de l'extrême, puisqu'elle touche près de la moitié de la population mondiale.
La région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, quant à elle, est confrontée à une crise de pauvreté et d'inégalité profondément enracinée, due à des défaillances structurelles de la gouvernance et à des disparités socio-économiques persistantes. La pauvreté chronique touche près des deux tiers de la région, les indicateurs clés révélant que 41 % des citoyens de certains États sont classés comme pauvres et 25 % comme vulnérables. En outre, la classe moyenne se réduit, notamment dans les pays non producteurs de pétrole, où elle est passée de 45 % à 33 %. Cette lutte économique généralisée est aggravée par des problèmes systémiques tels que l'informalité du travail, plus de la moitié de la main-d'œuvre de la région étant engagée dans le secteur informel, où les salaires sont souvent faibles et irréguliers, sans aucune protection.
En outre, les pressions démographiques de la région, accentuées par l'augmentation récente des taux de fécondité, pèsent encore plus sur les services sociaux inadéquats et les systèmes économiques stagnants, enracinant la pauvreté à travers les générations. La mauvaise gouvernance dans la lutte contre la corruption et le déploiement de réformes efficaces aggrave les crises existantes. Elle nourrit un sentiment d'injustice et d'impuissance chez les citoyens, compte tenu de la disparité croissante des richesses - où les 10 % d'individus les plus riches détiennent près des deux tiers des richesses de la région.

Si notre compréhension de la pauvreté a beaucoup évolué, la recherche d'un remède universel reste plus difficile que jamais.

- Hafed Al-Ghwell

À l'avenir, la pauvreté doit être considérée comme une menace multidimensionnelle. Elle sape la cohésion sociale, exacerbe les vulnérabilités au changement climatique et favorise les inégalités. Les fortes inégalités restent concentrées au Moyen-Orient, en Afrique subsaharienne et en Amérique latine, reflétant un manque de mobilité socio-économique et de croissance inclusive. Aujourd'hui, environ un cinquième de la population mondiale vit dans des pays confrontés à des inégalités importantes, ce qui entrave leurs perspectives de progrès économique et de réduction de la pauvreté.
En outre, la crise climatique se profile comme un formidable obstacle à la réduction de la pauvreté. Une personne sur cinq dans le monde est confrontée au risque d'événements climatiques extrêmes au cours de sa vie, ce qui menace de démanteler les fragiles progrès réalisés en matière de réduction de la pauvreté. Le changement climatique amplifie les vulnérabilités existantes et nécessite une double approche : réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en améliorant la gestion des risques pour protéger les populations les plus vulnérables.
À l'horizon 2025 et au-delà, l'avenir de la pauvreté dans le monde est peint avec un pessimisme prudent mais nécessaire. Malgré les avancées progressives en matière de réduction de la pauvreté, la croissance rapide des populations dans les régions les plus vulnérables du monde menace de dépasser ces modestes améliorations. Si les statistiques montrent une diminution du pourcentage de personnes vivant dans l'extrême pauvreté, le nombre absolu d'individus confrontés à des conditions économiques désastreuses reste impressionnant.
La croissance démographique en Afrique, au Moyen-Orient et dans certaines parties de l'Asie exacerbe particulièrement ce problème, et des millions de personnes supplémentaires devraient être confrontées à un accès inadéquat à l'assainissement, aux soins de santé et à l'éducation. Ces complexités obligent la communauté mondiale à repenser son approche et à augmenter radicalement ses investissements si elle veut avoir une chance d'atteindre les objectifs de développement durable d'ici à 2030.
À l'heure actuelle, la lutte contre l'extrême pauvreté nécessite un niveau de coopération et d'investissement international sans précédent. Les investissements intelligents dans la santé, l'éducation, l'énergie, l'agriculture, les infrastructures et la numérisation ont été identifiés comme des moteurs essentiels pour améliorer sensiblement les conditions de vie. Des fonds devraient être réorientés des dépenses militaires pour permettre de faire avancer le "Pacte pour l'avenir", un cadre stratégique des Nations unies visant à relever les défis mondiaux. Le pacte présente des interventions réalisables dans des secteurs vitaux pour la sécurité humaine et le développement, tout en offrant des bases financières structurelles pour s'attaquer à la pauvreté à la racine.
Pour lutter efficacement contre la pauvreté aiguë, le monde doit également veiller à ce que l'assistance financière, le soutien technologique et l'aide au développement ne soient pas seulement accrus, mais aussi stratégiquement ciblés. Le renforcement de la protection sociale, la promotion de la résilience climatique dans les communautés agraires et la mise en œuvre de politiques de commerce équitable sont quelques-unes des mesures concrètes qui pourraient transformer la trajectoire actuelle.
Malgré ces actions, l'incapacité de la communauté mondiale à classer la pauvreté multidimensionnelle comme une menace planétaire au même titre que le changement climatique laisse perplexe. La pauvreté multidimensionnelle englobe diverses privations au-delà du simple revenu, notamment des carences en matière de santé, des lacunes dans l'éducation et un manque de services de base, mais elle n'a pas suscité la même urgence mondiale que les questions climatiques. Ce manque de reconnaissance pourrait découler d'une approche segmentée de l'élaboration des politiques, dans laquelle le développement économique, le bien-être social et la durabilité environnementale sont souvent traités comme des domaines distincts plutôt que comme des crises interconnectées.
Il est essentiel de remédier à ce décalage pour aller de l'avant, faute de quoi nous risquons d'obtenir des améliorations superficielles qui ne s'attaquent pas aux causes plus vastes et sous-jacentes de la pauvreté. En effet, la triste réalité à laquelle sont confrontés des millions de personnes, en particulier les femmes et les populations rurales, suggère qu'une perception réelle d'amélioration restera un objectif insaisissable en l'absence de changements systémiques plus profonds.
En résumé, la pauvreté reste le dernier grand défi mondial en raison de ses impacts profonds et interconnectés et de l'ampleur des personnes touchées. Pour briser le cycle de la pauvreté, il faut plus qu'une simple croissance économique ; il faut des efforts ciblés, inclusifs et soutenus pour améliorer l'éducation, les soins de santé, les infrastructures et la création d'emplois. La coopération internationale et des politiques innovantes adaptées aux besoins spécifiques des différentes régions sont impératives. Parvenir à un monde sans pauvreté sur une planète vivable n'est pas simplement une question d'opportunité économique, mais un impératif moral. Le chemin sera ardu et semé d'embûches, mais c'est le test définitif de notre détermination collective et de notre humanité.

Hafed al-Ghwell est chercheur principal et directeur exécutif de l’Initiative stratégique d’Ibn Khaldoun au Foreign Policy Institute de la John Hopkins University School of Advanced International Studies à Washington. Il a précédemment occupé le poste de président du conseil d’administration du Groupe de la Banque mondiale.

Twitter: @HafedAlGhwell

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com