Au Soudan, la paix est plus que jamais cruciale

Des civils soudanais armés brandissent des armes et scandent des slogans dans l’est du Soudan pour exprimer leur soutien à l’armée. (AFP)
Des civils soudanais armés brandissent des armes et scandent des slogans dans l’est du Soudan pour exprimer leur soutien à l’armée. (AFP)
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Publié le Dimanche 18 août 2024

Au Soudan, la paix est plus que jamais cruciale

Au Soudan, la paix est plus que jamais cruciale
  • Le chaos qui règne au Soudan reflète les conflits antérieurs en Afrique, mais les implications du conflit actuel sont particulièrement alarmantes
  • L’envoyé spécial des États-Unis au Soudan, Tom Perriello, a averti que la guerre civile pourrait dégénérer en une version multi-décennale de la « Somalie sous stéroïdes », transformant potentiellement le Soudan en un état failli par excellence

La guerre civile, qui a débuté au Soudan en avril 2023, est sur le point de plonger toute la Corne de l’Afrique dans le chaos. Avec près de 10 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays, et plus de 25 millions souffrant d’une faim aiguë, le bilan humanitaire est déjà à un niveau catastrophique et ne cesse d’augmenter.

Cette tragédie résulte d’un cycle sans fin d’échecs des initiatives de paix et d’un conflit qui s’intensifie entre les Forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide. Paradoxalement, chaque tentative de paix semble aggraver la guerre, noyant les civils dans un désespoir encore plus profond.

Le chaos qui règne au Soudan reflète les conflits antérieurs en Afrique, mais les implications du conflit actuel sont particulièrement alarmantes. L’envoyé spécial des États-Unis au Soudan, Tom Perriello, a averti que la guerre civile pourrait dégénérer en une version multi-décennale de la « Somalie sous stéroïdes », transformant potentiellement le Soudan en un état failli par excellence.

Alors que le conflit continue de faire rage, le risque d’une conflagration régionale menaçant d’entraîner les pays voisins tels que l’Éthiopie, le Soudan du Sud, le Tchad, la Libye et la République centrafricaine s’accroît. Les retombées géopolitiques pourraient être immenses, les flux illicites de drogues, d’armes et de combattants déstabilisant un continent africain déjà instable.

Al-Fashir, région très peuplée des forces armées soudanaises au Darfour, illustre les conséquences potentiellement désastreuses du conflit. Alors que les Forces de soutien rapide avancent sur la ville, qui abrite près de 3 millions de personnes, les groupes d'aide craignent des atrocités généralisées, notamment des violences sexistes, des tortures et des massacres.

Dans tout le Soudan, les civils sont pris entre deux feux et sont confrontés à des effusions de sang et à des privations incessantes. Les tentatives d'aide se heurtent aux embargos stratégiques des combattants. La situation est désastreuse. Le département d'État américain a confirmé que les deux parties ont commis des crimes de guerre, les Forces de soutien rapide et leurs milices alliées étant accusées de se livrer à des formes de nettoyage ethnique.

Malheureusement, les réponses de la communauté internationale à la crise ont été jusqu'à présent plus qu'inadéquates, la plupart du temps détournées par d'autres conflits mondiaux et des tensions croissantes ailleurs. Malgré les efforts des États-Unis pour relancer les pourparlers de paix, le succès reste insaisissable et les tentatives jusqu'à présent ont toujours échoué à garantir un cessez-le-feu durable.

Cette situation reflète la complexité et l'enracinement du conflit. La politique africaine de l'administration Biden a été critiquée pour ses erreurs involontaires. Par exemple, elle a mal interprété la guerre civile en la considérant comme un simple conflit localisé, en ignorant le fait qu'elle pouvait devenir un conflit extraterritorial entre rivaux, ce qui, selon certains experts, a contribué à la crise actuelle.

Au-delà des combats, l’importance géographique et stratégique significative du Soudan a attiré une multitude d’autres acteurs dans l’arène du rétablissement de la paix. En plus des États-Unis et de l’Arabie saoudite, les pays voisins, les organisations régionales et d’autres puissances mondiales ont tous tenté et tentent toujours de jouer un rôle de médiateur.

Le Marché commun de l'Afrique orientale et australe, la Ligue des États arabes, l'Union africaine et les Nations unies ne sont que quelques-unes des entités impliquées. Cependant, ces efforts de paix ont permis aux factions belligérantes d'exploiter la multitude d'initiatives pour gagner du temps, intensifier les combats et aggraver la souffrance des civils.

Le plus grand obstacle reste l’absence de dissociation entre les efforts bien intentionnés en faveur de la paix et les paris stratégiques dans la recherche des avantages géopolitiques entre les puissances rivales. En conséquence, au lieu d’un processus de paix unique, cohérent et inclusif, nous nous retrouvons aujourd’hui face à un désordre confus qui rend tout effort inutile dans le meilleur des cas et contre-productif au pire des cas.

« Le chaos qui règne au Soudan reflète les conflits antérieurs en Afrique, mais les implications du conflit actuel sont particulièrement alarmantes. »

- Hafed Al-Ghwell

Ce flux non-coordonné de processus de paix a permis aux Forces de soutien rapide et aux Forces armées soudanaises de choisir les initiatives avec lesquelles elles s’engagent, selon qu’elles cherchent ou non à poursuivre les actes révoltants commis par l’une ou l’autre faction, du blocage de l’aide humanitaire à la perpétration de crimes de guerre.

Malgré les avertissements et les sanctions internationales répétés, le désir d’avantages militaires continue de l’emporter sur le désir de paix. Aucune des deux parties n’est prête à s’engager dans de grands marchandages dans l’intérêt de la paix, ni même dans un cessez-le-feu temporaire qui mettrait un terme à ce conflit brutal et permettrait de mettre en place une diplomatie plus sophistiquée, tandis que les armes se refroidissent.

On ne saurait trop insister sur la rapidité avec laquelle se referme la fenêtre d’opportunité qui s’offre aux acteurs influents pour imposer une paix crédible.

En l’absence d’un processus de paix crédible, applicable et largement accepté, le Soudan risque d’imiter l’avenir politique fragmenté de la Libye, ou de devenir un état en faillite permanente comme la Somalie. Si les dernières années de médiation de l’ONU en Libye ont appris quelque chose à la communauté internationale, c’est qu’attendre que les deux parties se battent jusqu’à l’impasse pour ensuite chercher à négocier avec l’élite de ce groupe non élu et non responsable, ne fera que créer une nouvelle classe dirigeante aussi déconnectée du public que les belligérants actuels.

Si le Soudan veut trouver et conserver la paix, le public doit donc aussi avoir une parole importante et significative dans toute résolution. Le cas échéant, ceci causera de graves conséquences qui iront bien au-delà du Soudan.

L’histoire récente regorge d’exemples qui montrent que les conflits peuvent facilement dépasser les frontières, comme en témoignent les répercussions des bouleversements en Libye sur la région du Sahel, ainsi que la manière dont la guerre sans issue contre Daech a laissé des fragments actifs et capables de déstabiliser certaines parties de l’Afrique occidentale, centrale et australe.

Le Soudan, avec sa population d’environ 50 millions d’habitants, représente un risque encore plus grand. L’afflux de réfugiés, de combattants et d’armes pourrait perturber les états fragiles d’Afrique et d’ailleurs. Une telle instabilité entraverait gravement les efforts de lutte contre l’extrémisme, le Soudan pouvant servir de refuge à des groupes terroristes, comme ce fut le cas pour Al-Qaïda dans les années 1990.

Alors que la guerre civile au Soudan fait rage, la triste réalité est que chaque initiative de paix qui échoue non seulement prolonge le conflit, mais aggrave également les souffrances de millions de civils. Le monde ne peut plus se permettre de fermer les yeux sur cette crise ou de laisser des acteurs intéressés saboter les efforts concertés visant à instaurer la paix et à rétablir la stabilité.

Hafed al-Ghwell est chercheur principal et directeur exécutif de l’Initiative stratégique d’Ibn Khaldoun au Foreign Policy Institute de la John Hopkins University School of Advanced International Studies à Washington. Il a précédemment occupé le poste de président du conseil d’administration du Groupe de la Banque mondiale.

Twitter: @HafedAlGhwell

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com