Les options du Hezbollah sont plus limitées aujourd'hui qu'en 2008

Alors que l'opposition fait front uni, le Hezbollah se trouve incapable de faire pression pour que son candidat à la présidence soit élu. (AFP)
Alors que l'opposition fait front uni, le Hezbollah se trouve incapable de faire pression pour que son candidat à la présidence soit élu. (AFP)
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Publié le Jeudi 15 juin 2023

Les options du Hezbollah sont plus limitées aujourd'hui qu'en 2008

Les options du Hezbollah sont plus limitées aujourd'hui qu'en 2008
  • Le Hezbollah est incapable de faire pression pour que son candidat à la présidence, Sleimane Frangié, soit élu, alors que l'opposition fait front uni
  • Le Hezbollah est confronté à un dilemme: soit il accepte un président qui pourrait l'étouffer en douceur, soit il entre dans une confrontation qui ne finirait probablement pas à son avantage comme en 2008

Al-Akhbar, le média pro-Hezbollah, a publié la semaine dernière la déclaration suivante: «Insensé est celui qui ne révise pas ses positions et a l'illusion qu'il peut changer le solide équilibre existant. C'est le moment de vérité pour les partisans et les électeurs, comme pour les candidats. Pour ceux qui veulent se référer à l'Histoire, la responsabilité incombe à deux personnes. La première est Gebran Bassil, qui se trouve aujourd'hui dans une position similaire à celle de Walid Joumblatt en mai 2008, ce dernier avouant plus tard que son enthousiasme l'avait poussé à commettre une erreur. La seconde est Jihad Azour, qui est devenu un autre Fouad Siniora, et a accepté d'être le détonateur d'une explosion.»
Ces quelques lignes ont été perçues par presque tout le monde au Liban comme une menace voilée du Hezbollah. Elles se sont répandues comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux.
Le 7 mai 2008, sous l’impulsion de Walid Joumblatt, le gouvernement libanais avait pris deux décisions: le limogeage du chef de la sécurité à l'aéroport de Beyrouth et le démantèlement du réseau de communication du Hezbollah. Le groupe considérait que dévoiler son réseau constituait une menace existentielle. Si le réseau était découvert, cela signifierait qu'Israël pourrait traquer ses membres un par un. Ainsi, le Hezbollah a utilisé la force brute en prenant le contrôle des rues de Beyrouth. Ses membres se sont rendus dans les quartiers sunnites et ont crié des slogans sectaires, créant du ressentiment contre le groupe.
Deux ans avant cet incident, le pays tout entier s'était rangé du côté du Hezbollah alors qu'il combattait Israël. La prise de Beyrouth par la force et la démonstration du pouvoir chiite ont créé un énorme malaise, qui n'a cessé de croître depuis. Le groupe a toujours déclaré que ses armes étaient destinées à protéger le Liban. Cependant, en 2008, il a utilisé ses armes contre les Libanais.

 

Le Hezbollah se trouve incapable de faire pression pour son propre candidat à la présidence, alors que l'opposition fait preuve d'un front uni

Dr Dania Koleilat Khatib

Bien que le Hezbollah ait pu faire face à une menace existentielle, son offensive contre Beyrouth a fourni de bonnes preuves à ses opposants pour affirmer que ses armes constituaient une menace pour le pays. Néanmoins, malgré la perte de capital de confiance subie par le groupe à la suite de la crise qui a duré une semaine, il a réalisé un réel gain de puissance. Ces affrontements ont conduit à la conférence de Doha, qui a donné au Hezbollah un tiers de blocage au gouvernement. De cette façon, le Hezbollah s’est assuré que le gouvernement ne serait pas en mesure de prendre une décision qui pourrait être considérée comme une menace existentielle pour lui.
Cependant, plus il a accru son pouvoir, plus le malaise a grandi. Aujourd'hui, le Hezbollah se trouve incapable de faire pression pour son propre candidat à la présidence, Sleimane Frangié, dont la loyauté envers le groupe est incontestée, alors que l'opposition fait front uni. Bassil, allié de longue date du Hezbollah, voyant qu'il a peut-être atteint la limite de ce qu'il peut obtenir du groupe,  a choisi de s’allier avec ses opposants et défend désormais la candidature de Jihad Azour, directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale du Fonds monétaire  international (FMI), et ancien ministre des Finances du gouvernement Siniora.
Le président du Parlement a demandé la tenue d’une séance mercredi. Le Hezbollah ne peut pas se permettre d'élire un président qui lui est hostile, d'où le message fort envoyé par le journal pro-Hezbollah. Cependant, cette menace ne fonctionnera probablement pas, car les conditions aujourd'hui sont différentes de celles de 2008. En 2008, la raison pour laquelle la crise a été contenue était principalement due au fait que Siniora, qui était aux commandes, ne voulait pas contre-attaquer. Il a estimé qu'il valait mieux serrer les dents et perdre sur le plan politique, via les accords de Doha, que de mener le pays vers l'inconnu.

Azour, qui est un expert financier chevronné, pourrait découvrir tout le réseau financier du Hezbollah et aider à cerner le groupe

Dr Dania Koleilat Khatib

Les tentacules du Hezbollah en Syrie, au Yémen et en Irak

Quoi qu’il en soit, l'unité du Hezbollah qui avait tenté de s’emparer de régions druzes fidèles à Joumblatt avait fait face à une résistance féroce. Ce n'était pas le cas à Beyrouth. Aujourd'hui, si le même scénario se répétait, on ne peut s'attendre à une réponse mesurée, comme en 2008. Les tensions sont très fortes pour que l'opposition se retienne. De plus, Samir Geagea n'est pas Siniora. Il a une approche beaucoup plus courageuse.
Par ailleurs, sur la scène régionale, malgré l'accord saoudo-iranien, le Hezbollah est perçu comme une menace. Ses tentacules ont atteint la Syrie, l'Irak et le Yémen. Bien que les ministres des Affaires étrangères iranien et saoudien aient signé un accord à Pékin en avril, nous sommes encore loin d'une normalisation complète. La région est dans une situation de changement, dans l’attente que naisse un nouvel arrangement, comme l’indique Kassem Kassir, journaliste libanais, dans son dernier article sur la situation dans le pays et ses élections présidentielles.
Tout faux pas du Hezbollah sera utilisé par ses adversaires nationaux et régionaux. Il ne peut pas se permettre de voir élu un président qui pourrait le poignarder dans le dos. Bien que des rapports antérieurs sur une rencontre entre Azour et le groupe aient pu signaler qu'il avait assuré qu'il se concentrerait sur les questions économiques et ne s'aventurerait pas dans des questions sujettes à controverse, les enjeux restent importants. Azour, un expert financier chevronné, pourrait découvrir tout le réseau financier du Hezbollah et aider à cerner le groupe.
Le Hezbollah entrevoit le risque d'être étouffé financièrement ou tué sans confrontation militaire, et cela est aussi dangereux pour lui que la perspective d'un président lui demandant de renoncer à ses armes. Aussi, le Hezbollah est-il confronté à un dilemme: soit il accepte un président qui pourrait l'étouffer en douceur, soit il entre dans une confrontation qui ne finirait probablement pas par lui être favorable, comme en 2008. Cependant, le parti pourrait opter pour une troisième option en déclarant qu'il est prêt à abandonner son candidat et à s'entendre avec l'opposition sur un candidat consensuel – un président qui se concentrerait sur les réformes et mettrait de côté l’esprit partisan.

• La Dr Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes, en particulier sur les groupes de pression. Elle est présidente du Research Center for Cooperation and Peace Building, (Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix), une ONG libanaise axée sur la diplomatie parallèle (Track II).
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com