Pendant une grande partie de l’après-Seconde Guerre mondiale, le partenariat étroit entre l’Allemagne et la France a favorisé une intégration européenne toujours plus grande. Cependant, ce calcul est en train de changer, potentiellement de manière significative.
La coopération entre ces deux puissances a connu des hauts et des bas dans le passé, bien souvent en fonction de la personnalité des élus à Berlin et à Paris. Mais il se peut également que des forces structurelles clés soient également en jeu.
En effet, à la suite de la pandémie de Covid-19 et de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Europe connaît des changements géostratégiques importants qui pourraient transformer le continent. Cela s’explique en partie par le possible réveil de l’Allemagne après la guerre d’Ukraine dans un nouveau paysage de sécurité européenne. Cela apporte un élément d’incertitude au niveau des relations entre Berlin et Paris. La France a, au cours des dernières décennies, cherché à s’aligner étroitement sur l’Allemagne pour façonner les politiques européennes de son voisin le plus puissant afin d’aider à projeter une vision française de l’unité européenne.
Au moment d’écrire ces lignes, il est trop tôt pour affirmer de manière concluante quelle pourrait être l’incidence d’un tel changement sismique, mais il semble évident que les relations bilatérales ont déjà été affectées par le refroidissement des relations entre le président Emmanuel Macron et le chancelier Olaf Scholz. Par exemple, une réunion conjointe du gouvernement franco-allemand, prévue pour l’automne dernier, a été reportée au dernier moment en raison de grandes divergences sur l’énergie et la défense. De plus, le président Macron a reçu M. Scholz sur fond de tensions au cours du même mois.
«Les relations bilatérales ont déjà été affectées par le refroidissement des relations entre le président Emmanuel Macron et le chancelier Olaf Scholz.»- Andrew Hammond
Ce qui est également significatif, c’est la manière dont les deux parties ont cherché à contrebalancer leurs relations bilatérales moins cordiales avec d’autres alliés européens. Le dernier exemple en date est survenu jeudi, avec la visite de M. Scholz en Italie pour dialoguer avec son homologue italienne Giorgia Meloni. Alors que M. Scholz, centre-gauche, et Meloni, centre-droit, peuvent être d’étranges compagnons politiques, ils ont généralement réussi à atténuer leurs différends – sur des questions allant des investissements verts de l’Union européenne à la migration – pour établir un partenariat constructif. Lors de leur précédente réunion, M. Scholz a déclaré que les deux travaillaient «très activement» ensemble.
À travers le prisme de l’équilibre des pouvoirs en Europe, c’est un coup dur pour le président Macron, qui a investi beaucoup de temps pour entretenir l’image de la France comme interlocuteur clé de l’Italie sous le prédécesseur de Giorgia Meloni, Mario Draghi. Fin 2021, les deux nations ont même signé le soi-disant traité du Quirinal, en vertu duquel elles se sont engagées à une plus grande coordination dans les domaines de la sécurité, de la défense, de la migration, des secteurs stratégiques – y compris l’intelligence artificielle – et de la macroéconomie. Il y a également eu une plus grande coordination avant les sommets des dirigeants de l’UE pour tenter de s’entendre sur des positions communes – un processus qui unit depuis longtemps la France et l’Allemagne.
Cependant, l’intention du traité s’est flétrie sous Emmanuel Macron et Giorgia Meloni, dont la relation a parfois été tumultueuse. En novembre dernier, la Première ministre italienne a même accusé le gouvernement français de trahison à la suite de disputes au sujet du pays qui devrait accueillir les bateaux de migrants.
Un autre exemple de tension franco-italienne est survenu en février, lorsque la Première ministre italienne a souligné le revers diplomatique «inapproprié» de M. Macron après qu’elle n’a pas été invitée à un dîner avec le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, lors de la visite de ce dernier en France. Elle affirme que cette décision de M. Macron porte atteinte à la solidarité de l’UE avec l’Ukraine et était motivée par la tentative du dirigeant français de détourner l’attention de son public des problèmes intérieurs du pays, en particulier des protestations provoquées par son augmentation imminente de l’âge de départ à la retraite.
Cependant, la France et l’Allemagne sont aujourd’hui les États les plus influents de l’Union européenne et les plus grandes économies de la zone euro. À plus long terme, même si MM. Scholz et Macron ne se réconcilient pas, leurs successeurs y verront sans doute un besoin impérieux.
«Quelque six décennies après le traité de l’Élysée, ce qui est clair, c’est que les liens entre Berlin et Paris ont toujours une incidence importante sur les relations au sein de l’UE.»- Andrew Hammond
La relation Macron-Scholz pourrait devenir plus solide en temps voulu. N’oublions pas qu’Angela Merkel et Emmanuel Macron avaient une relation inégale. Cependant, bien qu’ils ne soient pas d’accord sur de multiples questions, ils sont finalement devenus un duo formidable, façonnant l’avenir de l’Europe et son rôle dans le reste du monde.
Ainsi, quelque six décennies après le traité de l’Élysée, qui a établi une nouvelle base pour les relations bilatérales et mis fin à des siècles d’inimitié et de guerres franco-allemandes, ce qui est clair, c’est que les liens entre Berlin et Paris ont toujours une incidence importante sur les relations au sein de l’UE. MM. Macron et Scholz savent tous deux que le reste de leur mandat pourrait avoir une incidence démesurée sur l’avenir du bloc à long terme.
S’ils collaborent ensemble, il existera toujours une possibilité d’orienter l’UE vers une voie d’approfondissement de la coopération dans les années à venir. Cela couvre des questions allant de l’énergie à la défense, les États membres partageant plus de pouvoir et les décisions étant prises et appliquées plus rapidement. Cependant, cela n’est en aucun cas garanti, surtout sans le moteur historique franco-allemand de l’intégration, compte tenu des principaux défis, dont l’euroscepticisme croissant à travers le continent.
Cette situation intervient dans un contexte où il reste une multitude de points de vue à travers l’Europe sur l’avenir de l’organisation basée à Bruxelles. Les scénarios alternatifs au cours de la prochaine décennie incluent le retrait de l’UE, après le Brexit, pour se limiter au marché unique économique actuel, qui cherche à garantir la libre circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes.
Alors que la direction de l’UE demeure incertaine, l’Allemagne et la France auront une énorme influence sur son évolution. Malgré leur relation froide, MM. Macron et Scholz peuvent encore jouer un rôle important dans la définition du caractère économique et politique du bloc tout au long des années 2020 et au-delà.
Andrew Hammond est un associé à la London School of Economics.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com