Le pacte de sécurité Aukus a été annoncé en septembre 2021 par les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni, avec des attentes relativement faibles et des réactions mitigées à l’échelle mondiale, bien que le conseiller britannique à la Sécurité nationale, Stephen Lovegrove, l’ait décrit comme étant «probablement la collaboration la plus importante dans le monde au cours des six dernières décennies en matière de capacités». Cependant, ce pacte prend aujourd’hui de l’ampleur.
La dernière vague d’intérêt pour l’Aukus s’inscrit dans un contexte de spéculations sur le rôle potentiel du Japon dans «la deuxième phase de l’alliance». Toutefois, la quatrième économie mondiale n’est qu’une des nombreuses nations qui ont été évoquées comme partenaires potentiels au cours des deux dernières années. Les autres sont la Nouvelle-Zélande, le Canada, la Corée du Sud et Singapour.
Le secrétaire d’État britannique à la Défense, Grant Shapps, a confirmé lundi que les consultations sur la coopération future entre les partenaires du pacte de sécurité Aukus et d’autres pays commenceront cette année. Les alliés asiatiques tels que le Japon, la Corée du Sud et Singapour apporteraient tous des ressources essentielles, mais leur adhésion à l’Aukus à part entière n’a pas encore été proposée.
«Les alliés asiatiques tels que le Japon, la Corée du Sud et Singapour apporteraient tous des ressources essentielles» - Andrew Hammond
Le Japon prévoit de doubler son budget militaire, qui sera bientôt le troisième budget le plus élevé au monde. De son côté, la Corée du Sud dispose d’une armée compétente qui a passé des décennies à s'entraîner et à se préparer à un conflit potentiel avec la Corée du Nord, et Singapour possède des forces navales et aériennes bien entraînées et dotées de technologies de pointe.
Au-delà de l’Asie, des pays plus éloignés comme le Canada et la Nouvelle-Zélande – tous deux membres de l’alliance de renseignement Five Eyes aux côtés des États-Unis, de l’Australie et du Royaume-Uni – sont également des partenaires potentiels. À titre d’exemple, l’adhésion du Canada à l’Aukus a été soutenue par les anciens Premiers ministres britanniques Boris Johnson et Liz Truss afin de «renforcer les défenses collectives de l’Occident». M. Johnson a même affirmé que le Canada était le «prochain candidat le plus évident», notamment parce qu’il s’est «battu, souvent héroïquement, pour la liberté» dans le passé. Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a déclaré cette semaine qu’il avait déjà eu «d’excellents entretiens» avec Londres, Washington et Canberra au sujet de l’adhésion à l’alliance Aukus.
L'un des principaux avantages pour le Canada d'adhérer à l’Aukus est qu'il a besoin de nouveaux sous-marins (potentiellement à propulsion nucléaire) pour protéger son littoral. Le Canada possède le plus long littoral arctique du monde et il fait l'objet d'une surveillance géopolitique importante de la part d'un nombre croissant de pays.
Le besoin potentiel du Canada en sous-marins à propulsion nucléaire remonte à la première phase de la création d’Aukus en 2021, qui était une alliance de défense visant à aider l’Australie à acquérir ses premiers navires de ce type. Sur cette base, la phase suivante d’Aukus est centrée sur les capacités avancées et le partage des technologies dans des domaines tels que la vitesse hypersonique, l’informatique quantique et les capacités sous-marines.
Toutefois, les restrictions imposées par les États-Unis en matière de partage des secrets technologiques constituent un obstacle majeur à la collaboration des pays asiatiques ne faisant pas partie de l’Aukus. Pour y remédier, le Japon a déclaré qu’il essaierait de proposer une législation sur la sécurité économique qui lui permettrait de classer davantage d’informations comme confidentielles et de demander aux employés des entreprises qui y ont accès de se soumettre à des contrôles de sécurité, tout en renforçant la cybersécurité.
«Les relations de plus en plus chaleureuses entre Londres et Canberra confèrent une nouvelle pertinence à ce partenariat de longue date» - Andrew Hammond
La dernière vague de spéculations concernant la deuxième phase de l’Aukus montre que, si certains rejettent l’importance de cette relation de défense qui se renforce, elle est considérée comme particulièrement importante à Washington, à Londres et à Canberra. Bien que les trois nations soient séparées géographiquement, elles ont des liens historiques profonds qui sont en train d’être renouvelés dans les années 2020.
Prenons l’exemple des relations de plus en plus chaleureuses entre Londres et Canberra, qui confèrent une nouvelle pertinence à ce partenariat de longue date. Il est notamment prévu que l’Australie accueille régulièrement deux navires de patrouille extracôtiers de la Marine royale, ce qui devrait préparer le terrain pour de futures rotations de navires et de sous-marins britanniques de plus grande taille et pour une éventuelle installation permanente d’équipements militaires britanniques en Australie à l’avenir.
Si l’Aukus est une alliance relativement récente, elle ne constitue que le dernier chapitre d’une longue Histoire de coopération politique et de sécurité entre ces nations. L’alliance de sécurité Five Eyes, à titre d’exemple, est issue de l’échange de renseignements entre les États-Unis et le Royaume-Uni pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette relation a été institutionnalisée par l’accord Ukusa de 1946. Le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, en tant qu’anciens dominions britanniques, ont commencé à se représenter au sein du pacte de renseignement à la fin des années 1940 et dans les années 1950, ce qui a conduit à des développements tels que le traité Anzus de 1951.
Certes, il y a eu quelques accrocs ces dernières années, notamment des divergences sur l’utilisation de la technologie chinoise de télécommunications 5G. L’Australie et les États-Unis se sont opposés avec véhémence à cette technologie chinoise, interdisant tous deux aux entreprises de télécommunications ayant leur siège en Chine de fournir des équipements à leurs réseaux 5G.
Cependant, le Royaume-Uni (ainsi que d’autres alliés des Five Eyes, la Nouvelle-Zélande et le Canada) avait auparavant des positions plus nuancées. Les gouvernements de Theresa May et de Boris Johnson avaient envisagé d’autoriser les entreprises chinoises à jouer un rôle limité dans la construction de parties «non essentielles» du réseau 5G du pays, mais M. Johnson a finalement changé d’avis sur cette question sous la pression de Canberra et de Washington. S’il y avait eu un différend majeur entre le Royaume-Uni et l’Australie sur cette question, l’échange de renseignements aurait pu être limité, ce qui aurait nui aux relations entre les deux pays.
Les critiques formulées par Mme May, qui, en sa qualité d’ancienne Première ministre, s’est demandé si le pacte signifiait que Londres pourrait être impliqué dans une guerre avec la Chine au sujet de Taïwan, compte tenu des garanties de sécurité données par les États-Unis à Taipei il y a longtemps, prouvent bien que l’Aukus représente un enjeu politique majeur pour le Royaume-Uni. Cette question a été alimentée par les commentaires formulés cette semaine par le secrétaire d’État adjoint des États-Unis, Kurt Campbell, qui a laissé entendre que les sous-marins américains fournis à l’Australie pourraient être déployés contre la Chine dans un éventuel conflit concernant Taïwan.
Dans l’ensemble, le projet Aukus connaît donc un nouvel élan. Si l’élargissement de l’alliance est peu probable dans l’immédiat, la collaboration avec une série de partenaires de l’Asie-Pacifique et des États-Unis semble de plus en plus possible.
Andrew Hammond est associé à LSE IDEAS à la London School of Economics.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com