L’Inalco, passage obligé du Cadre d’Orient de la diplomatie française

Inalco. (Photo Wikipedia / Vysotsky )
Inalco. (Photo Wikipedia / Vysotsky )
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Publié le Mercredi 03 mai 2023

L’Inalco, passage obligé du Cadre d’Orient de la diplomatie française

L’Inalco, passage obligé du Cadre d’Orient de la diplomatie française
  • Nous nous proposons de faire un focus sur trois anciens de l’Inalco, appartenant au Cadre d’Orient: François Gouyette, Hissein Brahim Taha et Patrice Paoli, ambassadeur, chargé de la communication en langue arabe au ministère des Affaires étrangères
  • On attribue la création de cet établissement à Colbert, ministre de Louis XIV, en 1669. Il portait alors le nom «École des jeunes de langues», avant de devenir, en 1795: «École spéciale des langues orientales».

On attribue la création de cet établissement à Colbert, ministre de Louis XIV, en 1669. Il portait alors le nom «École des jeunes de langues», avant de devenir, en 1795: «École spéciale des langues orientales». Bien plus tard, en 1971, l’école prendra le nom consacré: Institut national des langues et civilisations orientales, par acronyme: Inalco (pour les familiers: «Langues-O», prononcé: langue-z-O). L’établissement reçoit 8 000 étudiants, dont 300 doctorants (une majorité est composée de femmes, souvent jeunes). Parmi les «élèves», des fonctionnaires ministériels, du corps dit «Cadre d’Orient».

On y apprend plusieurs langues du Moyen-Orient et d’Orient, notamment: arabe, chinois, hindi, persan, turc. Des ministres, et des plus célèbres, avaient fréquenté l’établissement: Edgar Faure, André Malraux. D’autres personnalités: Germaine Tillion, célèbre ethnologue; Henry Corbin, philosophe, orientaliste; Rémi Brague, membre de l’Institut de France; Jacques Vergès. Plus près de nous: Nathalie Loiseau, ancienne ministre des Affaires européennes; Hervé Ladsous, ambassadeur, ancien directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères; Olivier Weber, écrivain, ambassadeur; Marc Baréty, ancien Premier secrétaire à Riyad, aujourd’hui ambassadeur au Caire, diplômé en arabe maghrébin et en arabe littéral.

Nous nous proposons de faire un focus sur trois anciens de l’Inalco, appartenant au «Cadre d’Orient»: François Gouyette, ancien ambassadeur à Riyad, aujourd’hui à Alger; son ami et condisciple Hissein Brahim Taha, ambassadeur, secrétaire général de l’Organisation de coopération islamique (OCI), anciennement, Organisation de la conférence islamique); et Patrice Paoli, ambassadeur, chargé de la communication en langue arabe au ministère des Affaires étrangères.

Le premier, François Gouyette, parfait arabophone, que les Algériens ont appris à connaître et à apprécier pour ses connaissances des répertoires «chaâbi» et arabo-andalou, quittera son poste le 1er août, à 67 ans. Dans cette perspective, il s’est porté candidat à la présidence d’un autre institut: l’Institut du Monde arabe, à Paris (IMA). Y aurait-il meilleur candidat, se demandent ses partisans, que lui, qui aura été ambassadeur à Abu Dhabi, Tripoli, Tunis, Riyad et Alger? La question se pose, face aux autres candidats, deux anciens ministres: Jack Lang (qui, à 84 ans et après 3 mandats, veut se succéder à lui-même); Jean-Yves Le Drian, ancien ministre des Affaires étrangères, ancien ministre de la Défense.

Face à ces trois compétiteurs, un outsider, leur cadet (44 ans), candidat bien loti au demeurant: Karim Amellal, nommé en 2020 par Emmanuel Macron ambassadeur, délégué interministériel à la Méditerranée, par ailleurs écrivain, enseignant à la Sorbonne et membre de la Commission présidée par Benjamin Stora «Mémoire et vérité sur la guerre d’Algérie».

Le deuxième ancien de l’Inalco, Hissein Brahim Taha, ambassadeur, aujourd’hui secrétaire général de l’OCI, que l’actualité a mis en avant, sur la situation au Soudan: le 28 avril, il a été contacté par Volker Berthes, chef de la Mission d'assistance de l’ONU au Soudan. À cette occasion, les deux hommes ont évoqué «la nécessité de maintenir la trêve actuelle pour acheminer l'aide humanitaire et l'importance de parvenir à un cessez-le-feu immédiat pour reprendre la voie du processus de paix par le dialogue et la négociation». (1)

Chez le troisième ancien élève de l’Inalco, Patrice Paoli, la langue arabe a très tôt trouvé sa place de «langue vivante», formule qu’il préfère à celle de «langue étrangère», car, dit-il, «une langue apprise, même si elle n’est pas notre langue maternelle, fait partie de nous et nous appartient d’une certaine façon». Le trouble vint le jour où, parlant à des Arabes en arabe littéral, il découvrit que ses interlocuteurs ne le comprenaient pas, non pas parce qu’il maîtrisait mal la langue mais parce que ces derniers n’entendaient que l’arabe dialectal!

«J’apprenais l’arabe classique», raconte-t-il, «et ce n’était pas celui que l’on parlait dans la rue. Je me souviens du regard étonné d’enfants de mon âge lorsque je leur répondais dans un arabe classique châtié: je devais passer pour un extraterrestre… Mais j’eus ma revanche: je fus choisi pour lire, à la fête de fin d’année, le texte de bienvenue en arabe aux parents et invités. Mon père était si fier!». Il faut préciser que ledit père était lui-même un arabophone éclairé. Entamant ses études à l’Inalco, il suivit parallèlement des cours de plusieurs dialectes des pays arabes.

Sa mission, déclinée dans une vidéo et «dans un arabe littéraire parfait», comme Arab News en français l’a souligné: «Faire parvenir la voix diplomatique de la France à vous, mes chers amis du monde arabe» (2). Son postulat linguistique:

 

Pourquoi j’ai appris l’arabe

«Je considère que toutes les langues que j’ai apprises m’appartiennent d’une certaine manière. Elles font partie de mon identité, elles ont contribué à forger ma personnalité, ne serait-ce que parce qu’elles m’ont permis de connaître l’autre, au-delà de la langue, parce qu’elles m’ont fait penser différemment, en nourrissant une curiosité très grande: qui est cet autre à qui je m’adresse, comment pense-t-il?
Aujourd’hui, j’encourage vivement l’apprentissage des langues vivantes pour des raisons évidentes: alors que les incompréhensions, voire les haines, nourries par l’ignorance de l’autre, montent de toutes parts, autour de la Méditerranée, dans tout cet Orient si simple et si compliqué, il nous faut ouvrir grands nos esprits et nos oreilles et dépasser la peur de l’autre, essayer de se comprendre en se parlant. Je n’ai jamais perçu la langue comme un obstacle, mais toujours comme un moyen de communication, de connaissance de l’autre, par goût, bien sûr, mais aussi, de plus en plus, par un sentiment de nécessité.» (3)

 

(1) OIC 
(2) Sur Twitter et en arabe, le diplomate Patrice Paoli invite au dialogue ses partenaires du monde arabe
(3)  Intervention prononcée le 18-12-2013, dans le cadre d'une table ronde «Arabe et compagnie», à l’Université Saint-Joseph à Beyrouth:» Histoires de langues, histoires de traductions».

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

Twitter: @SGuemriche

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.