Français de souche et Français de branche

La France est sous haute tension identitaire comme l’ont récemment attesté les assassinats sauvages du professeur Samuel Paty dans la banlieue parisienne et les trois chrétiens de l’église de Nice (Photo, AFP)
La France est sous haute tension identitaire comme l’ont récemment attesté les assassinats sauvages du professeur Samuel Paty dans la banlieue parisienne et les trois chrétiens de l’église de Nice (Photo, AFP)
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Publié le Mercredi 02 décembre 2020

Français de souche et Français de branche

Français de souche et Français de branche
  • Le processus d’intégration de nouvelles populations dans un pays est toujours un défi. Un défi de long terme…
  • La diversité est un atout. N’est-ce pas cette vérité que la pandémie de Covid-19 raconte aujourd’hui au monde ?

En France, l’islam a mauvaise réputation. Les musulmans le savent, les résultats de l’enquête Arab News/YouGov, le démontrent bien. C’est l’un des enseignements les plus importants, même si, individuellement, cette vérité n’affecte pas sensiblement la vie quotidienne de chacun. L’année 2015, après les attentats terroristes de Paris, marquera un tournant dans l’histoire de France et de l’intégration des citoyens d’origine maghrébine qui n’a cessé d’être au cœur des débats depuis les années 1970. Une violence intercommunautaire est palpable dans les débats publics, dans l’actualité quotidienne et sur les réseaux sociaux. Le pays est aujourd’hui enserré dans une spirale dangereuse, entretenue par des stratégies politiciennes électoralistes ou des visées de “communication” dans certains médias. Les amalgames et les peurs, sur fond de confusion, dressent des murailles entre les citoyens. Il faudra du temps pour les surmonter, tant elles ont pris racine dans les esprits.

La France est en difficulté. Outre la gestion sanitaire de la Covid-19, rude sur le plan politique, social et économique, elle est sous haute tension identitaire comme l’ont récemment attesté les assassinats sauvages du professeur Samuel Paty dans la banlieue parisienne et les trois chrétiens de l’église de Nice. L’islam, ou l’islamisme, est devenu la pierre d’achoppement d’une émotion nationale majeure qui s’est traduite en une espèce de guerre des tranchées entre Eux et Nous, hier, les Arabes, aujourd’hui, les musulmans. Les attentats islamistes ont relancé cette guerre, mais en réalité le face à face est engagé depuis la fin de la période 1945-1975, trente années de croissance économique où les travailleurs immigrés avaient une légitimité économique et sociale en France.

Depuis, d’un côté, une frange de la population française exprime ouvertement son ras le bol des Arabes et/ou des Musulmans, se sent envahie par leur présence et trouve à chaque élection dans le vote extrémiste un exutoire à sa colère. Le parti de Marine Le Pen talonne aujourd’hui celui du président élu Macron. De l’autre, des Français d’origine maghrébine, renvoyés sans cesse à leur religion musulmane, discriminés, sont devenus les boucs-émissaires d’un contexte national et international qui fragilise leur souci d’intégration. Cependant, lorsqu’ils s’en plaignent, on les accuse de se victimiser, malgré les statistiques attestant leur réelle discrimination dans le monde du travail en particulier. S’appeler Mohamed aujourd’hui en France n’aide pas à trouver du travail ou un logement. C’est une rude réalité, même si elle est contraire aux valeurs républicaines dans ce pays d’égalité et de fraternité.

Un chiffre intéressant. Les musulmans sont de 15 à 20% de la population totale en France, mais représentent 50% de la population en prison. Les chiffres sont semblables à ceux des Noirs-Américains aux États-Unis.

Une autre remarque intéressante concerne la laïcité. Globalement, les Français d’origine arabe qui sont nés dans la séparation de l’église et de l’État acceptent naturellement ce mode de vie. Elle fait partie de leur culture. Ainsi, la «charia» n’a pas sa place à l’Assemblée nationale. Dans leur esprit, Dieu et l’État sont deux choses distinctes. En matière d’héritage par exemple, dans les familles, on ne comprendrait pas que les filles et les garçons ne reçoivent pas la même part… C’est une bonne chose. Elle indique que les évolutions des mentalités sont à l’œuvre en France dans cette population. Pendant le mois de ramadan, il n’est pas interdit de ne pas suivre cette pratique…

En revanche, quant aux connaissances sur l’histoire de France, les résultats de l’enquête laissent quelque peu perplexes. Qui a fait construire le Château de Versailles, quel est le plus grand fleuve de France, le nom du Premier ministre, la Constitution..., je ne suis pas certain que dans la société française, les connaissances soient aussi bien ancrées dans la population générale. Pas sûr non plus que le grand public sache qui est l’émir Abdelkader dans l’histoire de la colonisation, alors qu’une ville de l’Iowa aux États-Unis porte son nom en hommage à son action pour la fraternité des religions. L’Éducation nationale a encore beaucoup à faire pour rapprocher les uns des autres. Souvent, les peurs qui se diffusent dans la population sont dues à l’ignorance des gens. Quand on sait, on est moins sujet aux peurs collectives. En France, comme ailleurs, les connaissances du grand public sur l’Islam sont largement insuffisantes. Elles mériteraient d’être approfondies dans les écoles. De même que l’apprentissage de la langue arabe.

Quant au Culte musulman auquel on veut systématiquement affilier les Français d’origine maghrébine, il est incapable de donner une image claire et unitaire au public. Il faut le regretter. Souvent, les associations, fédérations, groupements, mouvements cultuels qui existent en France, prétendent représenter une communauté musulmane qui n’existe pas en réalité. Pas plus ici qu’ailleurs dans le monde. Les musulmans sont anticommunautaristes. Le «monde» musulman est autant divisé que les autres mondes, alors que d’aucuns voudraient malgré tout les «communautariser».

Globalement, nombre de raisons expliquent les échecs relatifs de l’intégration française depuis une trentaine d’années. Difficultés économiques, mondialisation, perte de sens, racisme, intolérance, désinformation, radicalisations, peurs collectives…, mais il en est une liée à l’histoire. La colonisation française en Algérie. Elle a démarré en 1830 mais traîne encore aujourd’hui les relents de la guerre, près de deux siècles plus tard. Les plaies coloniales ne sont pas refermées, bien au contraire, elles sont ravivées par des polémistes, cinquante ans après les Accords d’Évian, et participent à creuser le fossé entre les Français d’origine arabe et les autres. L’une des raisons est que les « Arabes » ou « musulmans » de France ne constituent pas une force politique. Dans les cités urbaines où beaucoup habitent, ils ne représentent pas une force électorale en tant que telle, parce qu’ils votent peu. Pour ainsi dire, ils «s’autoexcluent» de la scène publique par leur abstention. C’est la raison pour laquelle je préconise le vote obligatoire. Une bonne façon de forcer l’intégration politique de cette population. Voter, c’est exister. Être reconnu.

C’est aussi une façon de reconquérir une fierté d’être français. Car l’enjeu est de taille aujourd’hui. Ce que l’enquête montre aussi, c’est une étonnante exaltation des jeunes de l’immigration maghrébine à l’occasion des matchs de football internationaux joués par l’Algérie, par exemple, championne d’Afrique. Au cours de ces matchs, des drapeaux algériens sont brandis et enflamment les surenchères identitaires. Les jeunes plébiscitent l’Algérie dans les compétitions internationales plutôt que les Bleus. Le pays des origines les fait plus vibrer que leur pays de naissance et de vie. Cette identification sentimentale raconte beaucoup de choses dans l’évolution identitaire des jeunes d’origine maghrébine de France. Contrairement au commentaire final de l’enquête, il semblerait que le processus d’intégration n’a pas bien fonctionné. Ils ne se sentent pas «chez eux». Le cœur n’est pas entièrement français quand les «Français de branche» jouent contre les «Français de racine», ou de souche. Mais il n’empêche qu’il vaut mieux regarder la partie de la bouteille à moitié pleine que celle qui est à moitié vide. Le processus d’intégration de nouvelles populations dans un pays est toujours un défi. Un défi de long terme. Il est complexe et par nature toujours conflictuel.  Il est de la responsabilité des sociétés intelligentes de les gérer dans les meilleures conditions possibles. En France, comme en Allemagne et en Europe en général, c’est la tendance qui se dessine, malgré les lenteurs. L’avenir est déjà multiculturel et mondialisé. La diversité est un atout. N’est-ce pas cette vérité que la pandémie de Covid-19 raconte aujourd’hui au monde ?

Azouz Begag est écrivain, sociologue au Centre national de la recherche scientifique et ancien ministre de l’Égalité des chances (2005-2007).

NDLR: Les opinions exprimées par les rédacteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.