Au Liban, la roue s'est enfin mise à tourner, et il y a fort à parier qu'elle ne s'arrêtera plus. Je veux parler du scandale qui affecte la Banque centrale du Liban, du blocage généralisé des rouages de l'État qui en est résulté et qui empêche toute sortie de la crise dramatique où se débat le peuple libanais. Toute la presse internationale le laisse entendre. À Paris, Le Monde l'écrit sans barguigner : «Les avocats anticorruption au Liban et en Europe en sont convaincus, l'ouverture d'un procès pour blanchiment d'argent contre le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, dans plusieurs pays européens, dont la France, est inéluctable. »
Il y a longtemps qu'il se murmure dans les hautes sphères de la planète financière mondiale que la Banque du Liban est au cœur d'un scandale de corruption où se trouvent impliqués non seulement le gouverneur, mais aussi des responsables libanais. À l'occasion de la crise financière où le pays du Cèdre est plongée, le FMI, sollicité, s'est déclaré prêt à apporter son aide. Mais il a posé ses conditions.
Il réclame en particulier l'accès aux comptes de la Banque centrale et aux grandes banques libanaises. En même temps, des informations sont sorties concernant des comptes cachés du gouverneur et de ses proches en Suisse. Des plaintes ont été déposées en Europe et, du coup, des procédures judiciaires ont été ouvertes dans plusieurs pays européens, dont l'Allemagne, la France, la Belgique, le Luxembourg et la Suisse.
Dans un premier temps, le gouverneur s'est défendu par des déclarations déniant toute fraude de sa part. En outre, les autorités libanaises ont pris fait et cause pour lui, appuyées par beaucoup de responsables locaux qui craignent d'être mis en cause. La situation paraissait bloquée.
Des financiers, des personnels de banques, peut-être même des politiques commencent à vouloir partager des informations, sous le sceau du secret évidemment.
Mais le vent a tourné. Le système judiciaire libanais a commencé d'envisager de coopérer avec les juges européens. Sous la pression des Cours française, allemande et luxembourgeoise en particulier, une délégation de juges européens a passé plusieurs jours à Beyrouth la semaine écoulée. Et du coup, la muraille du déni se lézarde.
Une plate-forme s'organise pour offrir et assistance et protection aux lanceurs d'alerte. Des financiers, des personnels de banques, peut-être même des politiques commencent à vouloir partager des informations, sous le sceau du secret évidemment.
La moisson des juges européens à Beyrouth paraît avoir été bonne, peut-être même excellente. L'agenda pourrait connaître une brusque accélération d'ici à l'été prochain, d'autant que le mandat du gouverneur arrive à son terme en juillet.
Dès lors, la parole va passer aux politiques. Le président de la République (dont on rappelle incidemment que le mandat est terminé sans avoir été remplacé) et le Premier ministre ont jusqu'à maintenant plaidé pour le maintien du gouverneur. Cela ne sera plus possible. Il va donc falloir suivre avec attention ce qui va se passer à Beyrouth.
Ce qui est souhaitable, c'est qu'un nouveau gouverneur soit nommé à la tête de la Banque du Liban par les autorités publiques, avec un mandat précis négocié avec le FMI par le Premier ministre en fonction, M. Mikati.
Dans ces moments décisifs, on ne peut que penser aux drames que connaissent tant de Libanais qui, pour l'immense majorité, sont les victimes de ces désordres et qui aujourd'hui voient une petite lumière au bout des ténèbres. Et songer à ce vers célèbre de Victor Hugo: «L’espoir changea de camp, le combat changea d'âme.» C'est bien de cela qu'il s'agit.
Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.