L'aggiornamento qui peut bouleverser les rapports entre la France et l'Algérie

«La France doit se libérer de son complexe de colonisateur et l'Algérie, de son complexe de colonisé» (Photo, AFP).
«La France doit se libérer de son complexe de colonisateur et l'Algérie, de son complexe de colonisé» (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 11 janvier 2023

L'aggiornamento qui peut bouleverser les rapports entre la France et l'Algérie

L'aggiornamento qui peut bouleverser les rapports entre la France et l'Algérie
  • En ce début de l'année 2023, il semble bien que ce soit d'Alger que soient venues les nouvelles les plus intrigantes et peut-être les plus porteuses d'espoir pour l'avenir des relations entre Paris et Alger
  • L'interview donnée au quotidien français Le Figaro par le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, devrait retenir l'attention

Dans le brouhaha d'un monde traversé par toutes sortes de tensions, de conflits, et de bouleversements, il est souvent difficile d'apprécier à leur juste valeur les événements qui surviennent. En ce début de l'année 2023, il semble bien que ce soit d'Alger que soient venues les nouvelles les plus intrigantes et peut-être les plus porteuses d'espoir pour l'avenir des relations entre Paris et Alger. L'interview donnée au quotidien français Le Figaro, le 30 décembre 2022, par le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, devrait à ce titre retenir l'attention.

De ce texte remarquable et particulièrement riche, qui n'a pas de précédent dans l'Histoire des relations franco-algériennes, je retiens trois points essentiels. C'est d'abord un appel à une nouvelle approche des relations entre les deux pays. «La France doit se libérer de son complexe de colonisateur et l'Algérie, de son complexe de colonisé (...) Plus de soixante ans après la guerre, il faut passer à autre chose. Si la mémoire fait partie de nos gènes communs, nous partageons aussi bon nombre d'intérêts fondamentaux, même si nos points de vue peuvent diverger», déclare le président algérien. Voilà qui est dit en peu de mots avec grande pertinence.

«Passer à autre chose», il fallait que ce soit pointé comme une nécessité par la partie algérienne qui, jusqu'alors, a eu tant de mal à le faire. Mais cela supposait que la France ait préalablement reconnu ses torts comme l'a fait Emmanuel Macron. C'est donc l'annonce que la page peut être tournée. Les historiens ont désormais le champ libre, chaque pays ayant désigné une commission de cinq historiens pour mener ce travail à bien. Les dirigeants quant à eux doivent «passer à autre chose», c'est-à-dire se préoccuper de l'avenir.

«La France doit se libérer de son complexe de colonisateur et l'Algérie, de son complexe de colonisé (...) Plus de soixante ans après la guerre, il faut passer à autre chose. Si la mémoire fait partie de nos gènes communs, nous partageons aussi bon nombre d'intérêts fondamentaux, même si nos points de vue peuvent diverger», déclare le président algérien.

Cette déclaration est accompagnée d'un hommage appuyé au président français. «Nous avons une certaine complicité. Je vois en lui l'incarnation d'une nouvelle génération qui peut sauver les relations entre nos deux pays. Son atout est qu'il n'a rien à voir avec la colonisation, ni lui, ni son parcours, ni sa famille. Nous avons une amitié réciproque», affirme M. Tebboune.

Ces propos viennent confirmer ce qui était ressorti de la dernière visite de M. Macron à Alger où il s'était rendu accompagné d'une exceptionnelle délégation gouvernementale. C’est aussi la démonstration que les efforts qu'il a accomplis depuis son arrivée à l'Élysée pour casser les codes anciens des rapports chaotiques entre Paris et Alger depuis 1962, n'ont pas été vains. C'est enfin l'affirmation que désormais les deux présidents vont assumer ensemble la «nouvelle ère» franco-algérienne. «C'est la première fois qu'il y a une telle relation de confiance entre nos deux pays», ajoute Abdelmadjid Tebboune.

Il est de l'intérêt supérieur de la France d'établir avec l'Algérie, une relation apaisée, stable et forte. Sortir de cette espèce de désert diplomatique miné de pièges qui nous a séparés jusqu'à présent.

Enfin, il annonce qu'il viendra à Paris en visite d'État en 2023. «Visite d'État», c'est le degré le plus élevé dans le protocole international. On peut déjà gager que la France mettra les petits plats dans les grands. Dans les relations algériennes, il n'y a, me semble-t-il, qu'un seul précédent: c'est la visite d'État à Paris d’Abdelaziz Bouteflika en juin 2000. Il avait été élu en 1999 après une période assez troublée par l'interruption d'un processus législatif en 2013, en raison de la montée en puissance du mouvement islamiste. Pour conforter sa position, M. Bouteflika prit l'initiative de relancer les liens avec la France. Devant l'Assemblée nationale française, il eut une formule qui fit mouche: «L’Algérie veut entretenir avec la France des relations extraordinaires, non banales, pas normales, exemplaires, exceptionnelles!» Je savais qu'il était sincère. Mais ce fut un feu de paille, avant que revienne bientôt le temps des malentendus.

Il est de l'intérêt supérieur de la France d'établir – enfin! – avec l'Algérie, une relation apaisée, stable et forte. Sortir de cette espèce de désert diplomatique miné de pièges qui nous a séparés jusqu'à présent. L'Algérie a le même intérêt que la France à cet aggiornamento. La France est pour l'Algérie la meilleure porte d'entrée vers Bruxelles et l'Union européenne (UE). Mais il y a deux difficultés. La première concerne le Maroc. Les relations difficiles entre les deux pays les plus importants du Maghreb ont toujours embarrassé la diplomatie française. À Alger comme à Rabat, chacun observe avec une attention sourcilleuse l'attitude de la France à l'égard de l'autre. Emmanuel Macron est attendu prochainement à Rabat. Nul doute qu'il plaidera pour sortir de ce piège.

La deuxième difficulté vient de ce que, des deux côtés de la Méditerranée, il y a pléthore de gens qui ne souhaitent pas que les choses s'arrangent entre la France et l'Algérie, parce qu'ils en vivent et font commerce d'entretenir les malentendus. Le président Tebboune a évoqué à ce sujet une minorité agissante en France. Elle existe aussi en Algérie.

Pour les deux pays, le projet qui s'amorce est susceptible de libérer beaucoup d'énergies qui sont disponibles, mais aujourd'hui contraintes ou paralysées. Certes, il s'agit d'un processus difficile, qui sera long, qui peut trébucher de temps en temps, et qui exigera des dirigeants de montrer la voie et de veiller au grain. Mais c'est incontestablement un grand enjeu.


Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.