Le 31e sommet de la Ligue arabe s'est achevé à Alger cette semaine de la manière attendue d'un rassemblement sans issue, étrangement présenté comme une grande réunion du monde arabe après deux ans d’interruption.
On s'attendait peu à ce que la conférence de cette année déjoue les pronostics et permette des changements décisifs ou transformateurs, sans parler de l'indispensable construction de ponts dans un monde de plus en plus incertain et discordant.
Elle a toutefois réussi à légèrement élever le statut d'Alger dans la région, où un pouvoir moins vulnérable cherche à tirer parti de l'intérêt que suscitent ses ressources énergétiques auprès de l'Europe depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.
La volonté d'Alger de favoriser l'unité arabe semble bonne en théorie. Cependant, tenter d'y parvenir à l'occasion de ce sommet irait à l'encontre d'une tendance vieille de plusieurs décennies selon laquelle les gouvernements arabes utilisent ce rassemblement principalement pour exposer leurs désaccords plutôt que de chercher un terrain d'entente et de prendre des décisions importantes en vue d'atteindre des objectifs communs.
Ainsi, transformer cette nouvelle préoccupation en une politique étrangère affirmée et en tremplin pour des interventions fermes reste plus facile à dire qu'à faire, étant donné l'élargissement des clivages, l'aggravation des tensions, la résurgence des conflits et l'instabilité dans la région arabe.
Après tout, la plupart des membres de la Ligue sont confrontés à des crises alimentaires, à une inflation galopante et à des pénuries. Pas moins de 141 millions de personnes, soit environ un quart de la population du monde arabe, sont exposées à l'insécurité alimentaire.
L'aggravation des effets du changement climatique, dont cette région subit les conséquences de manière disproportionnée, exacerbe également l'insécurité de l'eau dans la région la plus aride du monde.
En d'autres termes, seuls quelques États arabes ne sont pas au bord de la crise économique, de troubles généralisés ou d'un effondrement total, contrairement à ceux qui dépendent encore d'importations de plus en plus coûteuses en raison d'un manque de capacités nationales d'autosuffisance, notamment dans les domaines de l'agriculture et de la production énergétique.
Les dirigeants arabes reconnaissent que l'esprit d'individualisme qui sous-tend la coopération arabe aujourd'hui entrave les efforts visant à établir des cadres, des stratégies et des politiques globales pour transformer le dialogue commun en actions conjointes.
Hafed al-Ghwell
Dans le même temps, l'accélération de la lutte contre le changement climatique accentuera la pression sur les pays qui s'efforcent déjà d'opérer une transition vers les énergies renouvelables sans aggraver le chômage ni écarter le secteur privé, tout en réduisant considérablement le secteur public.
Tous les regards seront tournés vers la Tunisie et l'Égypte, qui tenteront de s'en sortir avec l'aide du Fonds monétaire international.
C'est dans des moments comme celui-ci que la Ligue arabe et les conventions ou organismes régionaux similaires doivent intervenir pour, par exemple, réorganiser les canaux d'approvisionnement et les stocks de céréales, redessiner les routes énergétiques, intégrer les réseaux électriques et adopter des pratiques efficaces de gestion des ressources en eau à l'échelle régionale.
Au lieu de cela, une grande partie du discours avant et pendant le sommet était centrée sur la Palestine – un élément central de la ligue elle-même – qui s'est tragiquement transformé en un obstacle majeur à la poursuite de l'unité arabe, de l'action commune et de la coopération inébranlable.
Certes, Alger a réussi à obtenir une réconciliation entre 14 factions palestiniennes le mois dernier, un début prometteur.
En outre, la plupart des dignitaires conviennent à juste titre que la résolution de la crise palestinienne est essentielle pour la région. Toutefois, les avis sont partagés quant à la manière exacte d'y parvenir.
En ce qui concerne la Palestine, ce sommet a respecté la tradition habituelle consistant à publier des déclarations non contraignantes, et il est peu probable que les futurs rendez-vous offrent plus qu'un soutien rhétorique.
Plus encore, la région reste divisée sur la question du retour de la Syrie au sein de la ligue, l'Algérie, l'Égypte, la Jordanie et la Tunisie faisant pression pour sa réintégration, tandis que d'autres pays restent hésitants, estimant qu'il s'agit d'un pas de trop dans l'inévitable réhabilitation de la Syrie.
Parallèlement, des tensions naissent entre l'Algérie, hôte du 31e sommet, et l'Égypte, où se trouve le siège de la Ligue arabe, à propos de la crise en Libye et du renforcement des liens algéro-éthiopiens.
La volonté d'Alger de se réaffirmer diplomatiquement sur le continent africain est principalement guidée par sa rivalité avec le Maroc pour l'hégémonie continentale.
Cependant, si ces démarches ont pour effet de stimuler la coopération et l'engagement avec l'Éthiopie, qui est actuellement embourbée dans un différend avec Le Caire concernant le taux de remplissage du barrage de la Grande Renaissance sur le Nil, elles risquent d'éroder les liens bilatéraux entre l'Égypte et l'Algérie à un moment inopportun.
Alger et Le Caire devront coordonner leurs efforts en Libye afin de ne pas compromettre les efforts de médiation régionaux visant à unifier les gouvernements concurrents du pays et à désamorcer définitivement le baril de poudre à leurs frontières.
Pour l'instant, les délégués semblent se contenter de faire du sur-place.
L'adoption de la déclaration d'Alger ne fait que masquer les divisions paralysantes de la région, les tensions accrues et les dysfonctionnements inévitables qui réduisent à néant les appels répétés à une action conjointe pour relever les défis régionaux croissants ou les efforts visant à promouvoir les intérêts arabes dans un monde de plus en plus multipolaire.
La déclaration complète une conférence ministérielle tenue en septembre, où les ministres des Affaires étrangères participants n'ont pu rassembler que des résolutions de pure forme sur la Palestine, la Syrie, le Yémen et la Libye, ainsi que les habituelles fustigations des empiètements de la Turquie et de l'Iran dans certains États arabes.
La définition précise de cette action commune, ainsi que l'identité de ceux qui l'initieront, la contrôleront et y coopéreront, sont autant de questions qui ne seront probablement jamais abordées, en dépit des risques posés par les frictions géopolitiques qui menacent d'ébranler l'ordre mondial, la fragmentation régionale et les problèmes intérieurs croissants, qui mettent tous en péril la sécurité, la prospérité et la stabilité arabes à long terme.
La réalité qui s'étiole dans le monde arabe est simplement qu'il n'y a pas de volonté ni de capital politique pour promouvoir l'idéalisme naïf d'une unité arabe nébuleuse lorsque la realpolitik de la poursuite des intérêts nationaux offre de meilleurs dividendes.
En réalité, la ligue elle-même ne sait toujours pas si elle a l'intention d'être une entité autonome, dissociée des querelles entre grandes puissances, ou si elle persiste dans une mentalité datée, digne de la guerre froide, qui divise le monde en deux moitiés distinctes Est-Ouest et s'aligne obstinément sur l'une d'entre elles.
Les discours sur les réformes ne sont que des discours. Il est clair que les dirigeants arabes reconnaissent que l'esprit d'individualisme qui sous-tend la coopération arabe aujourd'hui entrave les efforts visant à établir des cadres, des stratégies et des politiques globales pour transformer le dialogue conjoint en actions conjointes.
Il reste à savoir si la voie de la réforme passe par une évolution sociopolitique propre aux États membres ou par une évolution de la ligue elle-même, en particulier de ses processus décisionnels qui requièrent souvent un consentement unanime.
Plus encore, il ne suffit pas de souligner l'importance des efforts conjoints visant à préserver les intérêts communs des pays arabes pour convaincre une majorité écrasante de l'opinion publique arabe de la pertinence durable de la ligue.
Pour les jeunes de la région, la ligue est une relique d'un passé inconnu qui n'a pas réussi à faire progresser l'action arabe commune pendant des décennies ou à renforcer une voix arabe unie sur la scène internationale.
Elle n'a jamais servi qu'à rehausser les références régionales du pays hôte, tout en offrant une scène pour exprimer des griefs, des indignations chorégraphiées et des numéros orchestrés.
Le dialogue qui triomphe de la discorde? Pas de notre vivant.
Hafed al-Ghwell est chercheur principal et directeur exécutif de l’Initiative stratégique d’Ibn Khaldoun au Foreign Policy Institute de la John Hopkins University School of Advanced International Studies à Washington. Il a précédemment occupé le poste de président du conseil d’administration du Groupe de la Banque mondiale.
Twitter: @HafedAlGhwell
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com