Lorsque le président, Abdelmadjid Tebboune, est arrivé au pouvoir en Algérie il y a trois ans, son administration a cherché à restaurer une politique étrangère paralysée. Il a péché par excès de prudence au moyen d’une stratégie qui cherche à équilibrer les facteurs régionaux et internationaux tout en diversifiant sa liste de partenaires internationaux pour établir des relations étrangères quelque peu équilibrées et légèrement nuancées.
C’est un premier pas encourageant après une décennie perdue, au cours de laquelle le poids régional et, sans doute continental d’Alger, a considérablement diminué.
Pour le reste du monde, cependant, cette «nouvelle» diplomatie est occultée par la mentalité de guerre froide d’un régime militaire âgé et vacillant qui est responsable de l’isolement diplomatique et politique du pays d’Afrique du Nord.
Le mois prochain, l’Algérie cherchera à reconquérir sa prééminence régionale en accueillant le sommet de la Ligue arabe, mais le moment ne pourrait être plus mal choisi. Le différend sur le Sahara occidental n’a fait que s’intensifier au cours des deux dernières années, tandis que le bras de fer intra-arabe sur le retour de la Syrie dans la Ligue arabe, soutenu par Alger, aura des répercussions négatives sur l’ensemble du sommet.
En outre, le rôle de l’Algérie en Libye suscite l’inquiétude de Tunis et du Caire, tandis que les liens sécuritaires entre Alger et Moscou sont depuis longtemps un point sensible pour Washington.
Si l’Algérie est en effet déterminée à établir des partenariats multilatéraux avancés, désormais caractéristiques de notre monde déréglé, le pays se trouve actuellement à un moment charnière. Il suffit d’un faux pas pour qu’Alger perde à jamais son poids diplomatique et politique autrefois tant apprécié.
Inutile de dire qu’il s’agit d’une ère de changements sismiques quasi constants, notamment en raison des répercussions de la guerre en Ukraine, du changement climatique galopant et de l’intensification de la concurrence dans un monde multipolaire. Par conséquent, regarder vers le passé pour distinguer des voies possibles à travers les contextes géopolitiques difficiles d’aujourd’hui est un exercice futile et imprudent.
Après tout, dilapider les richesses pétrolières et gazières pour acheter des faveurs et des votes dans les forums internationaux aurait peut-être «fonctionné» à une époque et dans un cadre différents, mais une telle pratique fait désormais partie des vestiges archaïques d’un passé de guerre froide, en particulier lorsque la plupart des pays en développement sont plus ouverts aux partenariats bénéfiques pour tous et non à la charité modeste assortie de conditions ou aux propositions superficielles qui sont finalement dépourvues de sens.
L’enjeu ne pourrait être plus important, mais l’Algérie est familière avec ce type de manœuvre prudente si l’on revient quelques décennies en arrière. Historiquement, en tant que pilier du mouvement des pays non alignés et bastion de l’anticolonialisme du milieu du siècle, l’Algérie n’a jamais été clairement pro-occidentale ni exclusivement pro-orientale, malgré une préférence pour une forme de neutralité subjective qui la rapprochait curieusement du bloc communiste vacillant de l’époque.
Le déclenchement d’une guerre civile sanglante a naturellement conduit l’Algérie à se replier sur elle-même au cours des années 1990, mais, même en ce temps-là, le pays a préféré maintenir un équilibre assidu et ne pas sombrer dans une voie unique malgré l’attrait incontestable de l’Occident dans un ordre mondial unipolaire postsoviétique.
«Les dirigeants d’Alger ont été pris de court par sa nouvelle notoriété sur la scène mondiale.» - Hafed al-Ghwell
En conséquence, les deux décennies qui ont suivi la fin de la guerre civile ont offert à l’Algérie de nouvelles possibilités de capitaliser sur ses liens avec l’Occident, la Russie, la Chine et le monde en développement, en plus de sa proximité avec l’Europe, sa position centrale en Afrique du Nord, ses vastes ressources énergétiques et ses importantes prouesses militaires.
La dernière occasion, à titre d’exemple, s’est avérée formidable lors des opérations de lutte contre le terrorisme et l’insurrection face à Al-Qaïda au Maghreb islamique et, plus tard, contre Daech. C’est surtout l’Occident qui a tiré profit de ces efforts. En retour, l’Algérie a bénéficié de possibilités commerciales lucratives, de plus de quatre milliards de dollars (1 dollar = 1,03 euro) d’aide financière et d’aide au développement, ainsi que d’une formation militaire, pour ne citer que quelques exemples.
Pendant ce temps, en plus de participer à des exercices militaires conjoints et d’annuler une dette algérienne de plusieurs milliards, la Russie reste le troisième plus grand fournisseur de matériel militaire à l’Algérie après l’Inde et la Chine. Pékin reste l’«ami» le plus ancien et le plus proche de l’Algérie, avec des engagements diplomatiques remontant à 1958 et des relations commerciales qui ont garanti près de cent milliards de dollars d’investissements, de projets de construction et d’activités de développement au cours des deux dernières décennies seulement.
Réussir à puiser dans tous ces éléments – qui ne sont que quelques exemples de la valeur géostratégique inégalée de l’Algérie – nécessite une diplomatie intelligente qu’Alger semble actuellement incapable de mettre en place pour accélérer la fin de son isolement et maximiser les bénéfices d’un réengagement avec le monde selon ses propres conditions.
L’avènement du transactionnalisme bilatéral américain sous l’administration Trump, qui a abouti à une décision unilatérale de Washington sur la question du Sahara occidental, a eu d’importantes répercussions en matière de sécurité nationale et de politique étrangère pour l’Algérie au pire moment possible. Non seulement cette décision a diminué la capacité stratégique d’Alger à contrôler l’hégémonie marocaine en Afrique du Nord – le front Polisario – mais elle a également détérioré les relations entre l’Algérie et les États-Unis, que l’administration actuelle de la Maison-Blanche n’a pas encore réussi à réparer malgré le flot de diplomatie et une ruée folle vers des sources d’énergie alternatives à la suite de la guerre en Ukraine.
De plus, le Hirak de 2019, un mouvement national de protestation, a laissé peu de place à Alger pour prioriser les objectifs de politique étrangère, malgré un besoin pressant, et peu de ressources pour contrer ce qui était devenu un échec diplomatique colossal.
Heureusement pour le président Tebboune, le vif intérêt international qui accompagne l’intensification de la diplomatie gazière européenne est une occasion parfaite pour tester sur le terrain la nouvelle diplomatie algérienne et, éventuellement, restructurer son approche des anciens problèmes épineux.
L’effet d’aubaine découlant de l’expansion de la production de gaz, des prix renégociés et des nouvelles exportations a déjà eu un effet sur la scène intérieure en renforçant les programmes de protection sociale et en empêchant les augmentations d’impôts politiquement coûteuses, tout en renflouant les réserves épuisées de l’Algérie.
En d’autres termes, alors même que de graves incendies faisaient rage, tuant des dizaines de personnes et engendrant de nouvelles crises, les priorités nationales ne monopolisaient plus les capacités et les ressources institutionnelles, laissant une grande marge à l’Algérie pour capitaliser sur sa visibilité renouvelée sur la scène internationale et reprendre une partie de son hégémonie perdue.
Pourtant, au lieu d'enregistrer une succession rapide de coups diplomatiques, Alger n’a fait que passer d’une crise auto-infligée à une autre : dispute avec le Maroc voisin, au point de provoquer un conflit violent ; querelle grandissante avec l’Espagne et frictions avec la France en raison de tensions non résolues.
Même dans le monde arabe et sur le continent africain, l’obsession d’Alger à faire pression sur d’autres pays pour qu’ils accordent aux mandataires du front Polisario une reconnaissance externe et une légitimité internationale ne suscite que mécontentement et exaspération, comme en témoigne la Conférence internationale de Tokyo de 2022 sur le développement de l’Afrique à Tunis.
Les dirigeants d’Alger ont été pris de court par sa nouvelle notoriété sur la scène mondiale, d’où leurs récentes luttes pour réengager et réorienter les dynamiques dominantes afin de mieux servir les intérêts du pays, malgré l’effet de levier que lui offrent ses approvisionnements en gaz naturel.
Cependant, dans ce monde en perpétuel changement, Alger doit résister à son obsession d’une rhétorique obsolète, de manœuvres contre-intuitives et d’intimidations contre-productives qui la rendent incapable de remodeler les événements ou de préserver ses priorités au-delà de ses frontières.
Hafed al-Ghwell est chercheur principal et directeur exécutif de l’Initiative stratégique d’Ibn Khaldoun au Foreign Policy Institute de la John Hopkins University School of Advanced International Studies à Washington. Il a précédemment occupé le poste de président du conseil d’administration du Groupe de la Banque mondiale.
Twitter: @HafedAlGhwell
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com