En septembre, Emmanuel Macron évoquait le «rendez-vous de la sobriété» pour la France. Dans la foulée, en encourageant la population et les entreprises à baisser leur consommation d'énergie, le gouvernement veut éviter un rude scénario cet hiver: les coupures d'électricité. Les prévisions sont maussades en matière de production électrique. Sur les 56 réacteurs nucléaires du parc EDF, 32 sont à l'arrêt, alors qu’une vague de froid est redoutée. Les coupures de courant pourraient être évitées si la consommation baissait de 15% aux heures de pointe.
Le gouvernement est sous tension, d’autant qu’il a choisi de plafonner les prix du gaz et de l’électricité à 15% en 2023. L’État, déjà fort endetté, va continuer d’allouer des milliards d’euros pour atténuer les contrecoups de la crise énergétique. Le régime algérien, qui accueillait ce week-end Élisabeth Borne, en est conscient. L’heure est donc propice à la réconciliation entre les deux pays.
Plus que jamais, les approvisionnements en gaz sont, en France et en Europe, un enjeu politique majeur depuis le début du conflit en Ukraine. L’Italie avait anticipé pour sécuriser des volumes supplémentaires de méthane algérien. Dès le mois d’avril, le groupe énergétique ENI avait signé un contrat avec la Sonatrach pour l’achat de gaz supplémentaire cette année, avec une montée en puissance atteignant 9 milliards de mètres cubes en 2023 et autant en 2024. Près de la moitié des ventes de gaz de l’Algérie à l’Europe.
Le geste politique est d’une importance majeure par les temps qui courent. Il indique à quel point les lignes géopolitiques bougent entre le Maghreb et la France, les États-Unis, la Chine, la Russie…
La visite de ce week-end en Algérie de la Première ministre française s’inscrit dans ce contexte tendu, bien que les livraisons de gaz, comme le sujet de la guerre d’Algérie, n’étaient pas à l’ordre du jour. Quelle visite! C’était une imposante «démonstration d’amitié»! Seize ministres de plein exercice, quatre ministres délégués et une secrétaire d’État à bord de l’Airbus: du jamais-vu pour un Comité intergouvernemental de haut niveau, le cinquième depuis 2012.
Le geste politique est d’une importance majeure par les temps qui courent. Il indique à quel point les lignes géopolitiques bougent entre le Maghreb et la France, les États-Unis, la Chine, la Russie… La France et l’Algérie veulent peser ensemble dans cette réorganisation géopolitique. L’une a besoin de l’autre. Le mot d’ordre est le «retour à la normale» des relations.
Oubliés les propos du président Macron accusant le système «politico-militaire» algérien d’entretenir une «rente mémorielle», ses doutes sur l’existence d’une «nation algérienne» avant la colonisation française. Oublié que les Algériens avaient refusé la visite de Jean Castex pour cause de format de délégation trop faible. Oubliés les propos de l’ancien ministre du Travail accusant la France d’être «l’ennemi traditionnel et éternel» de l’Algérie.
Ainsi, les convoitises dont bénéficie aujourd’hui l’Algérie, alors que le conflit en Ukraine s’aggrave, consolident sa position dans le conflit éternel qui l’oppose au Maroc à propos du Sahara occidental.
Pour son premier déplacement à l’étranger, Élisabeth Borne venait concrétiser le «nouvel élan» scellé à la fin du mois d’août par les deux présidents, avec, au menu, des questions «qui ne font pas mal», la jeunesse, l’économie, la transition énergétique, les visas, la mémoire. Elles s’apaiseront avec le temps. La France a perdu beaucoup de terrain en Algérie alors que, après les mois de crise, Alger s’est tourné vers d’autres partenaires économiques telles l’Italie, la Turquie ou la Chine. La visite de ce week-end avait pour objectif de ne pas en perdre davantage. Mais ce sera au prix de gestes politiques conséquents.
Ainsi, les convoitises dont bénéficie aujourd’hui l’Algérie, alors que le conflit en Ukraine s’aggrave, consolident sa position dans le conflit éternel qui l’oppose au Maroc à propos du Sahara occidental. Il y a six mois, l’Espagne avait apporté son soutien au royaume chérifien, avant de faire marche arrière. Elle avait vu ses importations de gaz algérien diminuer brutalement de moitié et un traité de coopération suspendu. Aujourd’hui, elle souhaite rééquilibrer ses relations entre les deux voisins ennemis et, sous la pression, renégocie donc ses approvisionnements gaziers avec l’Algérie. Les deux pays engagent des «relations plus apaisées» sur cette question cruciale... L'Algérie revoit à la hausse le volume de ses livraisons et un nouvel accord sur le prix du gaz vient d’être signé. Le Maroc appréciera le revirement espagnol.
Mais Alger peut-il, au nom de ses recettes en hydrocarbures, nuire aux intérêts de la Russie amie?
Ces derniers temps, les visites officielles se multiplient à Alger. Les représentants des États-Unis, Anthony Blinken, et de l’Europe, Charles Michel, viennent affirmer la confiance qu’ils placent dans les dirigeants algériens, qu’ils remercient d’aider l’Europe à diversifier ses sources d’approvisionnements énergétiques. Les superlatifs louangeurs ne manquent pas. Au menu des rencontres, le Sahara, le Sahel, le Mali, la Libye, mais aussi – et surtout – l’influence dans la région de la Russie, avec laquelle l’Algérie entretient de solides relations d’amitié depuis son indépendance, en 1962.
Récemment, un représentant américain pour le Commerce Dilawar Syed venait dissiper à Alger «les bruits sur un éventuel mécontentement de Washington à la suite des achats d’armes de l’Algérie auprès de la Russie». Mais Alger peut-il, au nom de ses recettes en hydrocarbures, nuire aux intérêts de la Russie amie? Pas si simple. En août, à l’issue de la visite de Macron à Alger, le président Tebboune avait fait escorter l’Airbus présidentiel de retour vers Paris par quatre… Soukhoï Su-30, jusqu’aux limites de l’espace aérien algérien. Un honneur rare. Le Soukhoï est un avion de chasse de fabrication russe qui existe en Algérie avec un système de navigation franco-russe… au lieu d'un système israélien, comme en Inde. L’initiative symbolisait toute la complexité de la relation franco-algérienne, souvent marquée par Le Grand Pardon, après Le Coup de sirocco.
D’ailleurs, à propos de cinéma, dans le sixième point de la déclaration d’Alger, en août dernier, figurait la création de studios et de formation aux métiers de la filière cinématographique. Un exemple concret de cette coopération sera donné avec le film que le réalisateur français pied-noir juif d’Alger Alexandre Arcady tourne en ce moment, Le Petit Blond de la Casbah, adapté de son autobiographie. Des scènes seront tournées à Alger en novembre. Moteur! La grande réconciliation a commencé. Parions que bientôt, à Paris, le souvenir des massacres des Algériens du 17 octobre 1961 sera commémoré avec force. Au nom de la mémoire.
Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.
Twitter: @AzouzBegag
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.