PARIS : Depuis l'indépendance de l'Algérie, en 1962, les rapports franco-algériens ont été marqués par d'insondables ambiguïtés, des malentendus à répétition, des moments de répit bientôt suivis par de nouvelles crises, comme si, entre les deux pays, entre les deux peuples, la réconciliation était impossible.
Le dernier psychodrame en date, c'est la déclaration explosive d'Emmanuel Macron, furieux de ne pas trouver à Alger de répondant à ses initiatives, dénonçant alors «le système politico-militaire algérien» entretenant une «rente mémorielle» et poussant à «la haine de la France». La visite que le président français vient d'effectuer en Algérie a le mérite de mettre un point final à cette ultime péripétie. Il faut s'en féliciter.
Sur plusieurs sujets, des résultats tangibles ou des avancées notoires ont été acquis. C'est d'abord le cas sur l'interminable question des visas dont la France, fort mécontente des refus d'Alger d'accueillir ses ressortissants expulsés par voie de justice, avait décidé de réduire drastiquement le nombre. L'Algérie s'engage désormais à être plus coopérative et à lutter efficacement contre les migrations clandestines, en contrepartie de quoi la France propose une «immigration choisie» plus souple et plus ouverte.
Autre progrès très important: pour la première fois depuis 1962, les deux présidents ont réuni autour d'eux les chefs d'état-major des deux armées et les chefs des services de renseignement extérieur, laissant augurer d'une coopération très attendue en France dans le domaine militaire, notamment au Sahel.
Enfin, en marge du voyage présidentiel, des négociations devraient aboutir très prochainement sur une augmentation significative des livraisons de gaz algérien à la France.
Ce sont des sujets concrets et importants.
Mais l'essentiel, c'est la volonté affichée et apparemment sincère des deux présidents d'ouvrir, après soixante années chaotiques, la page nouvelle de la réconciliation. Dans la déclaration commune qu'ils ont signée, ils ont déclaré vouloir engager «une nouvelle dynamique irréversible». Les images du président Tebboune et du président Macron diffusées par les télévisions donnaient de la crédibilité à ces intentions. On pensait à Mitterrand et Kohl dans les années 1980. C'est en tout cas la première fois que, des deux côtés de la Méditerranée, les dirigeants français et algériens vont aussi loin et voient aussi grand.
Le scepticisme initial des observateurs était-il donc infondé? Hélas, non. D'abord parce que les adversaires d'un projet de réconciliation franco-algérien sont nombreux: en France, toute l'extrême droite et une bonne partie de la droite traditionnelle, sans compter beaucoup des descendants des harkis ou des «pieds-noirs»; en Algérie, les islamistes, une bonne partie des milieux militaires et ce que l'on pourrait appeler «les vieilles structures».
Il suffisait de lire la presse algérienne et la plupart des commentateurs politiques français pour comprendre qu'il faudra surmonter beaucoup de réticences et d'obstacles sur le chemin de la réconciliation franco-algérienne. Il faudra aussi compter avec les pressions venant de pays qui ne la verront pas d'un bon œil: le Maroc, sans doute, mais surtout la Russie, premier fournisseur d'armes de l'Algérie, qui développe des ambitions au Sahel et mène une guerre contre l'Europe en Ukraine.
Mais, selon le proverbe français, «Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre»… Il faudra en tout cas une volonté farouche des deux côtés de la Méditerranée, ainsi que de la continuité et du temps pour transformer l'essai.
Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.