La visite du président de la République française en Algérie a fait couler de l’encre avant même qu’elle n’ait lieu. On a parlé de mémoire, de diplomatie, d’immigration, de religion, mais très peu d’économie. Pourtant, la France est le deuxième partenaire économique de l’Algérie et le troisième investisseur du pays. Ces chiffres bruts pourraient laisser penser que l’Algérie est une priorité économique, mais ils cachent une cruelle réalité: les plus gros Investissements directs à l’étranger (IDE) occidentaux en Algérie sont le fait de l’Allemagne et de l’Italie, la France complétant le podium, ce qui est particulièrement surprenant puisque ni Berlin, ni Rome, ne considèrent Alger comme une priorité stratégique.
À titre de comparaison, la France est en tête des pays qui investissent au Maroc et en Tunisie, elle est d’ailleurs aussi le premier client des deux autres pays d’Afrique du Nord.
La question ici n’est pas de savoir pourquoi Emmanuel Macron n’a pas emmené une importante délégation économique avec lui, mais pourquoi les relations économiques avec l’Algérie sont si mauvaises quand on les compare avec les deux autres pays francophones du Maghreb.
La réponse semble être bien plus économique que politique. Mon travail de recherche m’a conduit à interroger une soixantaine de femmes et d’hommes issus de la deuxième génération de l’immigration nord-africaine en France s’étant lancés dans l’entrepreneuriat ou ayant atteint des postes de cadres en entreprise. Une majorité des personnes interrogées ont des parents d’origine algérienne et ont brillamment réussi. Ils demeurent attachés à leur pays et plus souvent à leur région d’origine (la Kabylie la plupart du temps). Toutefois, cet attachement est sentimental, familial, amical, mais très rarement économique.
Au contraire, les Tunisiens et les Marocains interrogés ont presque tous des relations de type économique avec leur nation d’origine et contribuent au renforcement des liens commerciaux entre le pays de leurs parents et celui dont ils ont désormais la citoyenneté.
La réponse au manque d’investissement et aux faibles relations commerciales entre la France et l’Algérie tient d’abord en un problème d’écosystème local
Arnaud Lacheret
On observe aussi, du côté des descendants d’Algériens, plusieurs personnes dont les parents avaient une entreprise en Algérie et qui ont préféré partir en France. Quand on les interroge sur la raison qui les a poussés à partir, on a souvent une réponse assez désabusée: ils affirment unanimement que la bureaucratie et le système étatique dirigiste algérien ne permettent pas vraiment le développement d’une économie de marché efficace.
Si l’Algérie est riche de ressources et que la France est l’un de ses premiers clients en la matière, l’État n’a jamais vraiment voulu promouvoir le libéralisme économique et faire de ce pays une terre que l’on pourrait qualifier de «business friendly», ce qui explique aussi le faible intérêt des investisseurs.
L’Algérie est pourtant plus riche et plus peuplée que le Maroc, mais c’est son voisin qui accueille les campus de nombreuses écoles de management et universités françaises et internationales, investissant résolument dans la jeunesse, l’industrie et les technologies.
Bien davantage qu’une éventuelle brouille diplomatique ou politique, la réponse au manque d’investissement et aux faibles relations commerciales entre la France et l’Algérie tient d’abord en un problème d’écosystème local qui freine l’initiative et rebute tant les investisseurs que les clients étrangers. Ainsi, la France n’est que le deuxième client de l’Algérie, derrière l’Italie, qui n’est pourtant pas spécialement réputée pour sa relation aux pays du Maghreb. De même, durant la période précédant la Covid-19, entre 2013 et 2020, les exportations entre la France et l’Algérie ont régulièrement diminué pour un bilan peu glorieux de -25%. Les importations ont suivi un rythme similaire: le problème est donc structurel.
L’Algérie est riche de ressources nombreuses et d’une jeunesse dynamique qui ne demande qu’à s’impliquer. Les descendants d’immigrés algériens réussissent souvent de belles carrières en France et ne demanderaient qu’à investir dans le pays où ils ont souvent gardé des racines. Le principal défi économique d’Emmanuel Macron, lors de ses rencontres avec les dirigeants algériens, va être essentiellement de leur faire comprendre, de la façon la plus diplomatique possible, qu’une dose de libéralisme et d’économie de marché permettra de renouer des liens économiques et commerciaux bien plus efficacement que les questions de mémoire et d’immigration.
Arnaud Lacheret est docteur en sciences politiques, Associate Professor à Skema Business School et professeur à la French Arabian Business School.
Ses derniers livres: Femmes, musulmanes, cadres… Une intégration à la française et La femme est l’avenir du Golfe, aux éditions Le Bord de l’Eau.
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.