Inciter les nationaux à accepter des emplois jusqu’alors occupés par des étrangers est l’une des mesures les plus marquantes prises par les pays du Golfe dans le cadre de leur transformation. Si, dans un grand nombre de domaines, ce processus a plutôt bien fonctionné, il a parfois été plus difficile à mettre en place dans les secteurs de l’hôtellerie et du tourisme, qui pouvaient paraître socialement moins valorisants.
Pour améliorer cette image, le gouvernement bahreïnien a fait appel en 2018 à l’école hôtelière Vatel pour s’implanter et former les futurs employés bahreïniens du secteur. J’ai eu le plaisir de donner à la toute première promotion le cours sur les «droits de l’homme» et de garder contact avec nombre d’étudiants. Cinq ans après, j’ai interrogé certains d’entre eux pour savoir ce qu’ils étaient devenus.
Force est de constater que tous sont restés dans le secteur de l’hôtellerie et qu’ils ont gravi les échelons, parfois de façon impressionnante. Ainsi, la Saoudienne Jumanah s’est implantée dans le groupe Rotana. Après avoir travaillé comme gestionnaire chez Fraser Suites, elle a intégré l’établissement de Dammam, en Arabie saoudite, où elle supervise désormais les réservations. Son CV l’a conduite à effectuer des stages qui lui ont fait découvrir tous les secteurs de l’hôtellerie, du Four Seasons au Mövenpick, en passant par des hôtels-boutiques de Bahreïn et d’Arabie saoudite. Pour elle, l’immense avantage d’être une femme saoudienne dans ce secteur est qu’il est relativement facile d’évoluer et de progresser rapidement.
C’est également ce que retient le Bahreïnien Ammar. Il est passé par le groupe Accor et le Mövenpick de Bahreïn et qui vient d’être recruté par le groupe Conrad en tant qu’assistant personnel du directeur général. Il est heureux de participer au changement des mentalités: «Un adolescent du Golfe grandit dans un univers où sa compréhension de ce qu’est un emploi ne tourne qu’autour du salaire et du prestige apparent. Nous n’apprenons pas la notion de progression de carrière et le fait de partir d’en bas pour progresser n’est pas mis en avant, alors que c’est sans doute ce qu’il y a de plus valorisant.»
Aujourd’hui, dans le Golfe, le nombre d’employés arabes grossit à vue d’œil dans le secteur de l’hôtellerie
- Arnaud Lacheret
Ammar a cependant eu la chance d’être poussé par des parents qui connaissaient déjà le secteur et l’ont poussé à y faire carrière, ce qui est très rare. Pour la plupart de ses anciens camarades de promotion, c’était loin d’être le cas. Aldana a ainsi été poussée vers des études d’ingénieurs qu’elle n’aimait pas et l’ouverture de Vatel a représenté pour elle un véritable défi vis-à-vis de ses parents: «Ils ne voulaient pas, car ils pensaient que j’allais terminer comme femme de chambre. Ce choix s’est donc fait contre leur volonté, et ils ont fini par l’accepter quand ils m’ont vu progresser professionnellement. Au départ, ils avaient honte de moi, mais maintenant que ma carrière avance, ils sont de plus en plus fiers.»
Changer les mentalités par rapport au secteur de l'hôtellerie
Aldana s’occupe de l’événementiel au Jumeirah Resort, qui est particulièrement exigeant dans ce domaine. Cela lui permet de jouer un rôle qu’elle considère comme inspirant pour les autres jeunes puisqu’il leur montre qu’il est possible d’envisager une carrière dans un secteur qui n’était pas très valorisé jusqu’à présent.
Une nouvelle fois, ce sont les pionniers, ceux qui ont brisé un tabou culturel, parfois en s’opposant à leur propre famille, qui sont les acteurs majeurs à ce changement
- Arnaud Lacheret
Pour les jeunes employés arabes du secteur de l’hôtellerie, il est également essentiel de changer les mentalités et la façon dont on présente l’idée d’une carrière professionnelle aux jeunes. Ammar résume en ces termes sa conception: «Dans l’enseignement public, malheureusement, on ne m’a jamais présenté l’intérêt de faire carrière dans de nombreux secteurs. Jusqu’à la fin de mes études secondaires, je n’avais aucune idée de ce que je pouvais faire. On m’a appris au lycée que pour être quelqu’un d’important dans la vie, il fallait être docteur, avocat, ingénieur, pilote d’avion… Si aucun de ces secteurs n’intéresse le jeune lycéen, on ne l’encourage pas vraiment à faire des études.»
Aujourd’hui, dans le Golfe, le nombre d’employés arabes grossit à vue d’œil dans le secteur de l’hôtellerie. Ce phénomène est le fruit des efforts des gouvernements qui ont encouragé à la création de filières professionnelles. Mais, une nouvelle fois, ce sont les pionniers, ceux qui ont brisé un tabou culturel, parfois en s’opposant à leur propre famille, qui sont les acteurs majeurs à ce changement. Aujourd’hui, travailler dans les secteurs du tourisme et de l’hôtellerie est une option tout à fait acceptable pour les jeunes Saoudiens et Bahreïniens de la classe moyenne, ce qui, il y a encore quelques années, était absolument inconcevable.