Un voile de protection et de rébellion

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Publié le Lundi 25 septembre 2023

Un voile de protection et de rébellion

Un voile de protection et de rébellion
  • Les hommes interrogés ont nettement moins intégré la dimension «protectrice» et mobilisent davantage un autre champ argumentatif, celui de la rébellion
  • La dimension identitaire et communautaire du voile est assez systématiquement dénoncée

Dans mon dernier livre Les Intégrés, réussites de la deuxième génération de l’immigration nord-africaine, j’interroge les descendants d’immigrés sur leur vision du voile islamique. Voici la dernière partie de cette série d’articles qui, au-delà de l’opinion largement partagée du voile islamique comme étant un choix librement consenti et non une obligation religieuse, tente de percer à jour le ressenti des descendants d’immigrés ayant réussi leur intégration économique et culturelle.

Après le voile présenté comme un cheminement religieux et le voile comme un phénomène importé, on trouve un discours mobilisé indiquant que le voilement serait la conséquence d’une pression extérieure qui s’appuie sur deux arguments.

Le premier argument est davantage mobilisé par certaines femmes qui ont parfois été tentées d’y avoir recours. Le voile serait porté, surtout dans les quartiers populaires, pour passer pour quelqu’un de respectable, à qui on ne va pas chercher des ennuis. Zorah, 49 ans, indique qu’ «elles l’ont choisi pour être libres, pour avoir la paix. C’est la seule manière qu’elles ont de s’exprimer en réalité. Celles qui ne le sont pas, elles se font injurier, pas respecter.» Le voile est donc interprété comme une manière de se faire respecter, même si c’est souvent formulé de manière très négative par les femmes qui mobilisent cet argument. En effet, ce sont souvent celles qui témoignent d’une religiosité peu importante et qui ont pu passer une partie de leur jeunesse dans des quartiers qui parlent de cette volonté de protection.

Les hommes interrogés ont nettement moins intégré la dimension «protectrice» et mobilisent davantage un autre champ argumentatif, celui de la rébellion. Ainsi, selon eux, les femmes se voileraient en signe de rébellion contre la société qui les rejetteraient, ou plus simplement, pour s’affirmer de façon voyante afin de revendiquer une opposition.

La dimension revendicative est très souvent mobilisée par les hommes qui voient dans le voile une façon paradoxale d’affirmer son intégration, comme l’indique Karige, 34 ans: «Je pense qu’il y a une affirmation […] “Oui je suis une musulmane, une française musulmane et je porte le voile.” Une façon de dire merde.» On retrouve souvent dans les entretiens des expressions telles que «montrer ses convictions» de la part de femmes qui ont «plus de caractère», «en opposition à la réaction du gouvernement, à la réaction de la République» (Rodoine, 28 ans, Oussama, 27 ans).

Si l’on note évidemment la dimension de rébellion face à la société dans les propos des femmes, c’est du côté des hommes que nous avons recueilli les propos les plus détaillés. Les femmes interrogées se contentent souvent d’indiquer que le voilement est une réaction à l’hostilité de la société envers les musulmans en général et les femmes voilées en particulier. Si cette hostilité n’est pas niée par les hommes, ils semblent détecter davantage un mouvement de fond de retour à une identité, à la peur de la vie moderne, comme le résume Yannis: «Il y a de plus en plus de jeunes femmes qui se raccrochent aux traditions par peur de devoir s'accrocher à autre chose», dénonçant entre autres l’hypersexualisation de la société qui pousserait au voilement.

La dimension identitaire et communautaire du voile est quant à elle assez systématiquement dénoncée. Elle est perçue comme quelque chose d’inévitable, mais est décrite comme négative. L’idée d’un échec de l’intégration est parfois avancée, mais en mettant davantage l’accent sur une forme de fatalisme qui conduit au retour vers une communauté fantasmée. Ainsi, selon Saïf, 34 ans, le voile se justifie chez les femmes car «on se cherche en termes de personne et donc on se dit “je vais mettre le voile, je me retrouve, je suis intégrée dans une communauté, c’est ma communauté”».

En définitive, cette quête identitaire qui prend ses racines dans le développement personnel et l’accès désormais généralisé aux réseaux sociaux où s’expriment des prédicateurs est analysée comme un phénomène qui inquiète et rend l’intégration plus complexe. Azzedine, 42 ans, y voit une mode qui mène à une forme de politisation: «Les jeunes filles d’aujourd'hui, je pense que c'est politique. Je pense que c'est à la fois une mode et c'est un signe d'adhésion politique. C'est un parti politique invisible, non autorisé, auquel on adhère de manière visuelle.»

Les personnes interrogées semblent expliquer le phénomène du voilement en France par le paradoxe de l’intégration qui serait réalisée à partir du moment où les enfants naissent français. La qualité de «Français de naissance» dispenserait donc de toute démarche d’intégration et permettrait ainsi d’adopter n’importe quel comportement, qu’il soit ou non lié à la société française. De nombreuses personnes interrogées établissent ainsi une distinction claire entre leurs parents, primo-arrivants qui, selon eux, auraient été contraints de se faire discrets et de se conformer aux usages de la société française pour s’intégrer, ce qui, toujours d’après eux, n’aurait pas eu de résultat très concret, et eux-mêmes, nés français et qui, de par cette naissance, n’auraient aucun effort d’intégration particulier à effectuer.

Si le voile islamique est un sujet politiquement brûlant en France, il apparaissait important de le dédramatiser en interrogeant les musulmans intégrés afin de comprendre comment ce signe religieux est interprété. Dans mon dernier livre, on s’aperçoit que le voile est, dans les propos des enfants d’immigrés, lié à la notion d’intégration et que le sens de cette dernière ne doit pas être pris à la légère: pour les enfants d’immigrés, l’intégration est acquise dès lors qu’on naît français. Les décideurs politiques vont donc devoir retravailler en profondeur la notion d’intégration pour pouvoir remettre en marche la fabrique de citoyens français.

Arnaud Lacheret est docteur en sciences politiques, Associate Professor à Skema Business School et professeur à la French Arabian Business School.

Ses derniers livres: Femmes, musulmanes, cadres… Une intégration à la française et La femme est l’avenir du Golfe, aux éditions Le Bord de l’Eau.

Twitter: @LacheretArnaud

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.