Dans mon dernier livre, j’ai demandé à des managers enfants d’immigrés nord-africains comment ils concevaient le voile islamique. L’idée selon laquelle le voile est un choix librement consenti, et non une obligation religieuse, est très partagée par les personnes interrogées. En revanche, lorsque l’on fait évoluer l’entretien pour évoquer la représentation du voile islamique, on obtient des réponses plus détaillées qui permettent de creuser davantage les questions de sens, d’engagement religieux et d’intégration des Français issus de parents immigrés. La première partie des réponses, déjà présentées dans une précédente tribune, décrivait le voile islamique comme un cheminement personnel.
L’autre élément qui revient dans les propos des personnes interrogées pour expliquer la recrudescence du port du voile est sa représentation comme un phénomène de mode ou plutôt comme quelque chose qui a été promu de l’extérieur.
Et cet extérieur est multiforme. D’abord, il y a l’émergence de mosquées dont le discours peut façonner une identité peu affirmée. Sofia, 30 ans, parle de l’expérience vécue par son frère, qui a rejoint une mosquée parce que ses parents voulaient «le structurer»: «Mon frère, à ce moment-là, a commencé à changer. C’était: “Non, pas la musique”, “Pourquoi t’es habillée comme ça?” […]. Ils prennent des enfants jeunes, ils leur inculquent des idées et, s’il n’y a pas des parents derrière, […] ça va devenir des radicalisés.»
Cette influence est davantage remarquée par les hommes, qui, fréquemment, parlent d’une mode venue de l’étranger.
«Au Havre, on a l’influence des Frères musulmans […], qui étaient un peu plus modérés dans les tenues. Mais on avait ce côté un peu plus radical, des tenues vraiment choquantes pour nous, qui ne sommes pas habitués», précise Salmane, 38 ans.
Ce dernier explique encore: «Ce qu’il s’est passé, c’est vraiment cet islam politique. Et pas politique français. C’est le salafisme, ça part vraiment des pays du Golfe, ça part de là-bas. […] Ça s’est fait là où il y avait du vide. Il y avait du vide, il n’y avait personne qui s’en occupait. Et l’islam a pris sa place – l’islam qui vient d’ailleurs, que l’on n’a pas connu. […] Mais porter autant un foulard, cela me désole. Cela me désole un peu.»
On sent donc, lorsque des hommes doivent répondre à la question du voile, davantage de prise de conscience de l’influence extérieure, là où les femmes auront tendance à parler de phénomène de mode, d’appartenance à un groupe, comme le résume Samira, 40 ans: «J’ai l’impression que c’est un peu un phénomène de mode; des personnes qui sont un peu perdues se retrouvent un peu embarquées dans un groupe, dans une mouvance.»
L’autre nuance dans la perception de l’influence extérieure entre les femmes et les hommes interrogés est la notion d’hypocrisie, mais aussi d’engagement. Peu de femmes indiquent que le voile est quelque chose qui engage et que l’on ne peut plus le retirer une fois que l’on a pris la décision de le porter, alors que c’est un élément que nous retrouvons davantage chez les hommes. Toutefois, pour les femmes non voilées interrogées, le voile est avant tout un aboutissement dans leur foi, ce qui suppose aussi qu’il n’est pas admissible de revenir en arrière. L’une d’entre elle, Lamia, 39 ans, indique même ne pas se sentir prête, évoquant le regard des autres, mais surtout l’absence d’engagement religieux nécessaire. «Peut-être, un jour viendra où je me sentirai prête et je le porterai.»
En revanche, du côté des hommes interrogés, ceux qui donnent une signification au voile sont beaucoup plus clairs: une fois qu’on a pris la décision de le mettre, on ne peut plus l’enlever. Les hommes qui témoignent d’un sentiment religieux particulièrement fort – notamment ceux qui indiquent qu’ils prient et qui défendent une définition de l’appartenance à la religion musulmane davantage basée sur les pratiques que sur la spiritualité – sont ceux qui vont livrer les témoignages les plus exclusifs sur le voile. Pour eux, une musulmane non voilée, ce n’est pas si grave.
Cependant, une fois qu’elle se voile, la femme semble tenue à des obligations particulières. Ramza, 25 ans est le plus disert sur le sujet. Il évoque la chanteuse Mennel, connue pour s’être présentée voilée à une émission de télévision et pour avoir retiré son voile par la suite. «Elle est musulmane, elle s’est engagée à être pudique. Et le fait qu’elle l’enlève, devant un homme, mais surtout à la télévision, donc aux yeux de millions de Français, c’est une insulte à ce symbole, en réalité. Comment peux-tu oser retirer ce symbole comme un vulgaire bout de tissu? Évidemment, les insultes, c’est exagéré. Mais c’est normal que les gens la critiquent. […] Même moi, quand j’ai vu qu’elle l’avait retiré, je me suis dit: “Mais pourquoi elle a fait ça, en fait?” Tu t’es engagée à le porter, tu ne le retires pas, encore moins devant un homme, et encore moins à la télé.»
Un grand nombre d’hommes qui témoignent d’un degré de religiosité moins important utilisent également un argumentaire qui dénonce une certaine hypocrisie. Les femmes qui portent le voile seraient selon eux les premières à le retirer lorsqu’elles sortent et se comporteraient d’une façon peu conforme avec leur apparence officielle: «Le pire, c’est qu’elles portent le foulard, mais je vous promets que, le samedi soir, elles vont à Paris, elles l’ôtent et elles font la fête», explique Issa, 47 ans.
Nous avions abordé l’aspect spirituel dans la première partie et nous voyons désormais que la représentation du voile chez les Français qui sont enfants d’immigrés nord-africains mobilise également un argumentaire selon lequel le voile apparaît tantôt comme un accessoire de mode, tantôt comme un produit importé. Si ces observations ne reflètent pas une vérité objective, elles ont leur importance. En effet, elles permettent de mieux traiter ce sujet d’un point de vue politique en évitant de froisser les Français de confession musulmane. Ces derniers, je l’ai constaté dans mon dernier ouvrage, ont surtout besoin de voir leur intégration confortée au sein de la société française.
Arnaud Lacheret est docteur en sciences politiques, Associate Professor à Skema Business School et professeur à la French Arabian Business School.
Ses derniers livres: Femmes, musulmanes, cadres… Une intégration à la française et La femme est l’avenir du Golfe, aux éditions Le Bord de l’Eau.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.