Algérie embrasée, Algérie martyrisée, mais Algérie tôt ou tard délivrée!

Un Algérien regarde les incendies de forêt balayer les bois dans la région d'Ait Daoud, dans le nord de l'Algérie, le 13 août 2021. RYAD KRAMDI / AFP
Un Algérien regarde les incendies de forêt balayer les bois dans la région d'Ait Daoud, dans le nord de l'Algérie, le 13 août 2021. RYAD KRAMDI / AFP
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Publié le Mercredi 25 août 2021

Algérie embrasée, Algérie martyrisée, mais Algérie tôt ou tard délivrée!

Algérie embrasée, Algérie martyrisée, mais Algérie tôt ou tard délivrée!
  • Voilà un pays qui aurait pu, grâce à ses richesses naturelles et humaines, devenir l’Afrique du Sud de l’Afrique du Nord, pour ainsi dire, et qui se retrouve démuni de tous moyens de lutte contre les incendies!
  • Et voilà que l’improbable (du moins à mes yeux) survient : Alger rompt, ce jour du 24 août, ses relations diplomatiques avec Rabat! Comme s’il n’y avait pas d’autre recours, diplomatique justement!

Depuis des mois, tout le pourtour de la Méditerranée, cette Mare Nostrum qui se moque des envahisseurs de tous les temps, est la proie des flammes. Pas une rive n’est épargnée. Et pourtant, en Algérie, on a vite fait de «repérer» des coupables, que certains vont chercher parmi les autorités, pendant que celles-ci montrent du doigt les citoyens d’une région particulière, la Kabylie, région dont on nous dit par ailleurs qu’elle est la plus touchée. Kafka au pays de Kateb Yacine!

L’Algérie est parmi les terres les plus dévastées. Et pour cause! Voilà un pays qui aurait pu, grâce à ses richesses naturelles et humaines, devenir l’Afrique du Sud de l’Afrique du Nord, pour ainsi dire, et qui se retrouve démuni de tous moyens de lutte contre les incendies! On sait que le pays en a connu dans le passé. Cela n’avait pas pour autant poussé les gouvernements successifs à prendre les mesures qui s’imposaient, en la matière: renforcer les moyens d’intervention des sapeurs-pompiers, les si bien nommés «soldats du feu». Oui, des feux de forêts avaient détruit des milliers d’hectares sans que l’on jugeât nécessaire d’incriminer des incendiaires!... Et aujourd’hui, pas un bombardier d’eau disponible dans un pays riche par ailleurs en gaz et en pétrole! Dans les années 1970, justement (et j’en témoigne, j’y étais) le pays disposait d’au moins deux canadairs que j’avais vus à l’œuvre, contre des incendies de puits de pétrole!... Des décennies de corruption et des milliards de dollars détournés, et pendant que les hôpitaux, les écoles et les universités manquaient de l’essentiel, les mosquées se sont multipliées jusqu’à cette folie des grandeurs, chez Bouteflika qui voulait la sienne pour mausolée…

L’Algérie a besoin de lanceurs d’alertes plus que de lanceurs de prières!

En Grèce, en France, en Italie, en Albanie et en Turquie, c’est une lutte acharnée contre le feu. En Algérie, il a fallu recourir à l’armée, pour renforcer les rangs des sapeurs-pompiers. Sur une centaine de victimes des flammes, près de la moitié sont des militaires que rien ne préparait à ce genre de combat. Les médias nationaux se contentent de reprendre les déclarations des officiels fustigeant l’ennemi intérieur, les thèses complotistes n’épargnant ni la mouvance séparatiste ni le voisin de l’Ouest… Et voilà que l’improbable (du moins à mes yeux) survient : Alger rompt, ce jour du 24 août, ses relations diplomatiques avec Rabat! Comme s’il n’y avait pas d’autre recours, diplomatique justement! Cela, on le sait, pend comme une épée de Damoclès sur la région depuis belle lurette, et les accointances du royaume avec Israël n’auront fait que précipiter l’impensable. Peut-on, pour autant, y voir un point de non-retour ? 

En attendant, pour revenir à notre sujet, les posts conspirationnistes sont massivement commentés sur les réseaux sociaux. Du coup, à défaut de moyens de lutte, et en guise de recours extrême, se multiplient les salves de prières et les appels au secours à Dieu et à ses saints!

Or, face à l’urgence et à la dévastation, le pays n’a pas besoin de prières mais de canadairs, de trackers, d’extincteurs à mousse et de couvertures anti-feu!...

Les causes de l’impuissance de l’État sont connues de tous, cela n’empêche pas de braves citoyens, poussés par le désespoir, d’en appeler à Dieu et à ses saints, incapables qu’ils sont de demander des comptes à qui de droit. Ainsi, à défaut de volonté et d’engagement, le pays s’est tourné vers le ciel, un ciel qui avait plutôt besoin d’hélicoptères et de bombardiers d’eau!...

Or, que dit, justement, le livre sacré dont se réclament ces lanceurs de prières? Ceci (13.11):

«En vérité, Dieu ne modifie point l'état d'un peuple, tant que les (citoyens) ne modifient pas eux-mêmes ce qui est en eux.»

إِنَّ ٱللَّهَ لَا يُغَيِّرُ مَا بِقَوْمٍ

حَتَّىٰ يُغَيِّرُوا۟ مَا بِأَنفُسِهِمْ 

 

Et heureusement que d’autres citoyens, plus éveillés, n’ont pas attendu de miracle pour témoigner leur solidarité aux régions dévastées. Des hommes des régions épargnées se sont jetés sur les routes, transportant, par camions et même par tracteurs, nourritures, couvertures et autres matériels de survie! En somme, les populations ont fait leur «job», en lieu et place des autorités. Je dis sciemment «populations», avec une once de sarcasme, en référence au lexique colonial qui usait de ce terme pour ne pas nommer le peuple: car nommer, c’est faire exister. Mais voilà…

Voilà que les réseaux sociaux se lâchent, à coups de prières, et d’anathèmes: on est ainsi passé du fameux cri «Pouvoir, assassin!» à des posts criards: «Pouvoir, incendiaire!»… Et toujours, des prières à l’encan, si j’ose dire: «Qu’Allah vienne en aide à notre pays!» ; «Puisse Allah éteindre ces feux allumés par les ennemis de l’Algérie!»…

Alors que des secours continuent d’affluer d’autres régions, sur Facebook, on se défoule à qui mieux mieux, avec la satisfaction d’apporter sa contribution virtuelle au sauvetage des villages et des forêts que des vidéos montrent calcinées et encore fumantes. Et chaque nouvelle vidéo recueille son lot de prières…  J’ai même reconnu des images d’incendies en Turquie que l’on a fait passer pour des incendies en Kabylie! De quoi relancer les rumeurs affirmant que seule cette région était touchée, voire «visée». Par qui? Par le pouvoir, pour certains; par d’obscurs «séparatistes», pour d’autres...

Des posts virulents accusent les autorités de chercher à fomenter une guerre civile. Lesquelles autorités ne se privent pas de parler elles-mêmes d’incendies criminels... Et quand un pouvoir montre du doigt des présumés coupables sans preuves alors qu’il ne donne aucune explication sur son incapacité à lutter contre les incendies, c’est que ces accusations servent à détourner l’opinion, et à la retourner contre une région particulière, très particulière: la Kabylie.

L’Algérie, ce Phénix des nations

Et ce qui devait arriver arriva!... À Larbaâ Nath Irathen, une foule portée par la haine, composée d’éléments programmés pour la sale besogne, s’en est pris à un innocent. Un bouc émissaire qui, comme tout bouc émissaire, est désigné à la vindicte à des fins de délivrance et de justifications mortifères. Le comble, c’est qu’en l’occurrence, la cible n’avait rien à voir avec l’embrasement de la région, au contraire: la victime expiatoire, le jeune artiste Djamel Bensmaïl, massacré et immolé par le feu, était accouru depuis sa lointaine ville de Miliana, à 200 kilomètres environ de Larbaâ Nath Irathen, pour aider la population sinistrée et apporter sa quote-part au sauvetage!... Je passe sur les méthodes employées, d’une barbarie digne de la «décennie noire», dans ce martyre (car c’en fut un) enduré par la victime. Une foule enivrée de haine ne représente pas toute une région, car celle-ci, même meurtrie, n’a donné ni mandat ni consigne aux criminels.

J’ai vu cependant passer des posts abjects, mettant l’accent sur le fait que l’innommable mise à mort du jeune Djamel Bensmaïl, venu de Miliana, la ville d’Ali la Pointe (héros de la Bataille d’Alger), pour aider des Kabyles, que ce crime ait eu lieu en Kabylie. À ma connaissance, ce crime aussi monstrueux qu’impardonnable a été commis en Algérie, et par des Algériens. Sans doute que les criminels ont fait partie des «hirakistes» les plus intraitables. Et cette seule idée pose question: notre société, déjà schizophrène, est-elle en train d’entamer sa propre perte? L’histoire de ce pays nous enseigne que, chaque fois qu’une telle question s’est posée, elle a fini par recevoir, même tardivement, une réponse radicale. L’Algérie, ce Phénix des nations, finira par renaître de ces cendres, et avoir raison de ses mauvais fantômes.

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

TWITTER: @SGuemriche

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.