Le régime iranien est mis au pied du mur. Malgré la répression, les manifestations ne se calment pas et la pression internationale augmente. Comment le régime iranien peut-il donc atténuer la colère? Une opération à l’étranger pourrait être une option, mais cela conduirait probablement à la destruction du pays et à la chute du régime. Une autre possibilité serait d’apaiser ses voisins et les États-Unis; cependant, les voisins de l’Iran ne font que très peu confiance au régime des mollahs. La meilleure option serait de trouver un moyen de sauver les apparences, en absorbant la colère du peuple sans la confronter et en tenant compte de ses revendications plutôt que de les repousser.
Les gens qui connaissent bien le régime savent que ce n’est pas un monolithe. Certaines personnes sont dogmatiques. Le Guide suprême, Ali Khamenei, est définitivement dogmatique, mais tout le monde ne l’est pas. Certains sont nationalistes et pragmatiques. Ils ne veulent absolument pas voir le régime s’effondrer, car ils savent qu’un effondrement se traduirait par un conflit interne et conduirait au chaos. Leur principal objectif est de préserver l’État et la cohésion du pays. Pour y parvenir, le régime doit faire des concessions. Bien que cela puisse marquer le début de la fin du régime, cela pourrait aussi signifier la survie de l’État et de ses institutions.
Bien que les pays de la région détestent le régime iranien, ils ne voudraient cependant pas d’un Iran fragmenté. Le scénario cauchemardesque serait que le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) se divise en dix ou vingt milices, sans que personne ne sache qui fait quoi et que les mandataires se retrouvent sans dirigeant. Au moins, pour le moment, avec les mandataires de l’Iran – le Hezbollah, les Houthis et les Hachd al-Chaabi – il existe une référence, qui est le régime de Téhéran.
L’Iran peut faire pression sur eux et leur imposer ce qu’il veut, mais s’il n’y a pas d’interlocuteur, qu’adviendra-t-il de ces mandataires? Ils pourraient être affaiblis et disposés à négocier, mais il est très peu probable qu’ils se défassent de leur comportement prédateur. Ils se tourneront probablement vers le crime organisé pour se financer et conserver leur autorité, ce qui rendrait la situation encore plus problématique.
Jusqu’à présent, l’Iran s’est abstenu de prendre le Golfe directement pour cible. Si le régime se décompose en plusieurs groupes, la situation demeurera-t-elle inchangée? Il existe de nombreux risques non identifiables et des inconnues, comme l’a indiqué un jour l’ancien secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, en décrivant la situation en Irak. Par ailleurs, l’Irak est le principal exemple qui montre comment l’effondrement d’un État a entraîné des combats internes et du sectarisme, favorisant l’apparition d’un incubateur pour le terrorisme. Aussi, nous devons nous rappeler que l’Iran dispose d’un arsenal de missiles considérable. Le Golfe, Israël et les États-Unis verraient-ils cet arsenal passer des mains d’un État central à plusieurs acteurs non étatiques qu’ils ne connaissent probablement pas et ne peuvent pas détecter?
Ils ne veulent absolument pas voir le régime s’effondrer, car ils savent qu’un effondrement se traduirait par un conflit interne et conduirait au chaos.
Dr Dania Koleilat Khatib
La meilleure solution serait donc de sauver les apparences. Ali Khamenei est en très mauvaise santé et nombre de discussions tournent autour de sa succession. S’il diminue sa présence dans la sphère publique et que le président, Ebrahim Raïssi, démissionne, laissant la place à une personnalité modérée pour diriger un gouvernement de transition et mener des réformes, cela pourrait lui permettre de préserver les apparences.
Pour l’instant, il n’y a pas vraiment de véritable alternative au régime actuel. Un groupe clandestin révolutionnaire portant le nom de «United Youth of Iran» a publié son manifeste ce mois-ci et fait part de son intention de renverser le régime. Bien que sa déclaration comprenne quarante-trois articles axés sur un «gouvernement démocratique et inclusif», personne ne sait vraiment qui sont ces personnes, quel est leur plan et si elles peuvent prendre en considération les différentes factions de la société ou si elles vont simplement créer des divisions.
Même si le peuple iranien déteste le régime, il ne veut pas que son pays se transforme en Irak. Par conséquent, le moment est venu pour les dirigeants iraniens de prendre des décisions réfléchies et responsables. Ils ne peuvent pas permettre au pays de s’effondrer et de sombrer dans le chaos. Ebrahim Raïssi devrait admettre publiquement que le régime n’a pas répondu au besoin du peuple de vivre dignement. Il devrait démissionner et appeler à un gouvernement de transition qui mènera des réformes et organisera des élections.
La personne la plus apte à diriger cette transition serait l’ancien ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif. Pour commencer, il représente l’espoir même. Après avoir signé l’accord sur le nucléaire en 2015, il a été reçu en héros dans son pays. C’est quelqu’un qui a réussi à négocier avec l’Occident. Le peuple iranien a donc confiance en ses capacités. Il est également considéré comme une figure modérée et un défenseur de l’ouverture de l’Iran.
M. Zarif pourrait mener la transition et appliquer les réformes dont le pays a besoin, en donnant, avant tout, le droit aux femmes de choisir si elles veulent porter ou non le hidjab. C’est l’une des nombreuses réformes dont l’Iran a besoin. Une fois ces réformes menées, des élections pourront avoir lieu. Bien sûr, ces élections ne devront être organisées qu’après la modification de la loi électorale. Bien qu’il existe une élection présidentielle compétitive en Iran, c’est le Guide suprême qui a le dernier mot. Par le biais du CGRI, il peut disqualifier n’importe quel candidat. La loi doit être modifiée pour supprimer l’autorité du Guide suprême sur les élections.
C’est un scénario qui pourrait épargner à l’Iran la division et les combats internes, tandis que la région éviterait le chaos. Cependant, nous devons encore voir lequel des deux camps –pragmatique ou dogmatique – l’emportera en Iran.
Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes et plus particulièrement du lobbying. Elle est chercheuse affiliée à la Hoover Institution, Stanford, et présidente du Research Center for Cooperation and Peace Building, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com