La Chine laisse le régime iranien perplexe

Des personnes bloquant un carrefour lors d'une manifestation marquant les quarante jours depuis la mort en détention de Mahsa Amini, à Téhéran (Photo, AP).
Des personnes bloquant un carrefour lors d'une manifestation marquant les quarante jours depuis la mort en détention de Mahsa Amini, à Téhéran (Photo, AP).
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Publié le Mercredi 21 décembre 2022

La Chine laisse le régime iranien perplexe

La Chine laisse le régime iranien perplexe
  • La visite du vice-Premier ministre chinois à Téhéran mardi dernier a suscité des réactions importantes de la part des responsables gouvernementaux iraniens
  • La République islamique souffre d'isolement politique et diplomatique, ses amis les plus proches tels que la Chine et la Russie prenant leurs distances avec Téhéran

La visite du président chinois Xi Jinping en Arabie saoudite a suscité une vive réaction des Iraniens, mais la réaction la plus importante des Iraniens et des responsables gouvernementaux a été la visite du vice-Premier ministre chinois à Téhéran mardi dernier. Cet article passera en revue la couverture médiatique iranienne de cette visite.

Le journal Jomhouri-e Eslami a mentionné que le soutien de la Chine aux États du Golfe, en particulier concernant la revendication des Émirats arabes unis (EAU) sur trois îles – Abou Moussa, la Grande et la Petite Tumb – a été vivement critiqué par les politiciens et les experts iraniens. Les Iraniens ont demandé avec fermeté au gouvernement chinois de s'excuser et de changer de position. Cependant, Pékin n'a pas modifié son point de vue lors de la visite de son vice-Premier ministre.

Donyaye-Sanat a indiqué qu'un responsable iranien du ministère des Affaires étrangères, expliquant le but de la visite, a déclaré que l'Iran s'était préparé il y a longtemps à cette visite, ajoutant qu’elle n’était en rien liée aux derniers développements – en référence à la visite du président chinois à Riyad.

Un autre journal iranien, Mardom Salari, a affirmé que, lorsque la visite du vice-Premier ministre chinois a été annoncée, on s'attendait à ce que les responsables du gouvernement iranien adoptent une position plus ferme par rapport aux positions prises par le président chinois lors de sa visite en Arabie saoudite. Cependant, ces attentes n'étaient que des rêves illusoires, a ajouté le journal.
En outre, il a fait valoir que le gouvernement iranien avait adopté une position terne sur la Chine lorsqu'il avait qualifié la «convocation» de l'ambassadeur à Téhéran de «réunion», contrairement à son discours couramment utilisé avec les représentants diplomatiques d'autres pays.

Pour le journal Shargh, la visite du vice-Premier ministre a été un geste de la Chine pour atténuer le mécontentement de l'Iran, cela pouvant être considéré comme une bonne décision de la part de la Chine après le voyage de Xi Jinping en Arabie saoudite, qui a suscité des critiques à Téhéran.

Le journal Ebtekar a affirmé que la Chine s'était tournée vers les pays arabes en raison de l'isolement de l'Iran. Pékin, selon Ebtekar, ne serait plus motivé à renforcer ses relations avec l'Iran, étant donné que l'accord sur le nucléaire n'a pas encore été renouvelé. Avec une interprétation différente, le journal Etemad a fait valoir que la nouvelle approche chinoise visait à étendre le «régime chinois» dans la région et dans le monde, n'hésitant pas à provoquer si besoin des tensions. La Chine ne prend en compte que ses intérêts nationaux et les capacités stratégiques des autres pays.

Le journal iranien a critiqué le gouvernement de l'ancien président Hassan Rouhani pour n’avoir pas suffisamment regardé du côté des puissances émergentes et des pays asiatiques. En conséquence, le partenariat stratégique entre les deux pays a été mis entre parenthèses pendant des années. Rokna News Agency a expliqué que la stratégie de la patience du gouvernement actuel d'Ebrahim Raïssi envers la dernière décision du président chinois était due au fait que Pékin était un partenaire stratégique de l'Iran.

«Le journal Ebtekar a affirmé que la Chine s'était tournée vers les pays arabes en raison de l'isolement de l'Iran»

Dr Mohammed Al-Sulami

Contrairement aux critiques acerbes de la Chine mentionnées ci-dessus, le journal Quds a indiqué que la visite de trois jours de la délégation chinoise de haut niveau à Téhéran était principalement axée sur le suivi de la mise en œuvre de l'accord de coopération global Iran-Chine de vingt-cinq ans. Le journal Arman Melli a confirmé ce point, affirmant que les deux pays envisageaient de prendre des mesures importantes pour établir leur coopération stratégique. Le site Internet EcoIran a souligné que la visite du vice-Premier ministre chinois à Téhéran avait déjà été préparée et n'était pas liée à la nouvelle position de la Chine sur les trois îles.

Les positions conflictuelles au sein de l'Iran reflètent les complexités de la politique intérieure iranienne et montrent que le pays souffre d'isolement politique et diplomatique, ses amis les plus proches tels que la Chine et la Russie prenant leurs distances avec Téhéran.

Dans un article publié dans Arman-e Melli, Pirouz Mojtahedzadeh, universitaire et analyste politique iranien, affirme que la Russie n'avait pas besoin de la technologie militaire iranienne, même si Moscou avait fait participer Téhéran à son intervention en Ukraine. En conséquence, l'Iran a subi des coûts politiques et économiques élevés sur la scène internationale. Certains pays qui ont condamné l'invasion de l'Ukraine par la Russie considèrent l'Iran comme partenaire dans ce crime.

La Chine, à travers ses relations avec l'Iran, vise à tirer le maximum d'avantages politiques, économiques et géopolitiques de Téhéran. S'il est vrai que la Chine vise principalement la multitude de bénéfices économiques qu'elle peut tirer des accords économiques qu'elle a conclus avec l'Iran, elle cherche également à faire de Téhéran un pays subordonné, politiquement et géopolitiquement. Dans le même ordre d'idées, Mohammed-Hossein Malaek, ancien ambassadeur d'Iran à Pékin, a déclaré dans une interview à l'Isna que l'accord de vingt-cinq ans passé entre les deux pays était resté lettre morte. «Nous devons être réalistes et annoncer le véritable niveau des relations au peuple», a-t-il affirmé.

Malaek a ajouté que les Chinois travaillaient en profondeur dans la politique internationale et qu'ils planifiaient de devenir la première économie du monde. Cependant, l'intervention de la Russie en Ukraine et le soutien de la Chine à Moscou dans les premières phases de l'attaque ont contribué à faire perdre à Pékin son élan international, l'Occident se retournant  contre la Chine.

Quant au déclin de l'intérêt de la Chine pour l'Iran, le diplomate iranien a déclaré que, lors de l'examen des développements internes en Iran et des diverses évaluations et enquêtes sur les relations Iran-Chine, il estimait que l'Iran n'aurait plus rien en Chine dans dix à quinze ans. C'est la raison pour laquelle la Chine a adopté une position anti-iranienne en Arabie saoudite. Abdallah Kenji, rédacteur en chef du journal Hamshahri, a affirmé qu’«il est normal que la Chine nous laisse tomber. Elle veut gagner la confiance des Arabes et ne veut pas provoquer les États-Unis».

Le régime iranien est devenu fragile face à son propre peuple et au monde entier, sa position ayant été aggravée par la longue vague de manifestations à travers le pays. Si le régime ne s'attaque pas au plus tôt à ses crises internes et externes, il paiera des coûts encore plus élevés, et l'ensemble du système politique pourrait ne pas être en mesure de résister à son destin inévitable et fatal.

 

Le Dr Mohammed Al-Sulami est président de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah).

Twitter: @mohalsulami

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com