Le 3 juin dernier, Ali Khamenei, Guide suprême de l'Iran, a esquissé le profil du futur président iranien dans un discours-clé. « Nous avons besoin d'un président actif, travailleur, compétent et fidèle aux principes de la révolution », a-t-il affirmé. Le leader iranien a insisté sur la nature des élections à venir, les décrivant comme « une scène épique d'honneur et une compétition pour servir le peuple », en opposition à « un champ de bataille pour le pouvoir.» Soulignant l'importance cruciale du scrutin, Khamenei a prédit: « Ces élections seront riches en réalisations, avec des répercussions mondiales. Ces élections sont donc très importantes. »
Coup de théâtre dans la course à la présidence iranienne: Masoud Pezeshkian, un indépendant soutenu par les réformistes, figure parmi les six finalistes. Cette surprise reflète un changement de stratégie du régime (« nezam »), qui semble privilégier la participation populaire plutôt que la simple succession du Guide suprême, contrairement à l'élection de 2021.
Dans les coulisses, une véritable ingénierie électorale se déploie. Javad Zarif, ancien chef de la diplomatie iranienne, est mobilisé comme figure d'appel pour inciter les citoyens à voter. L'équipe de Pezeshkian, quant à elle, mène une campagne ciblée, courtisant trois segments clés de l'électorat: les femmes, les minorités ethniques et la génération Z.
Masoud Pezeshkian a triomphé vendredi au second tour de l'élection présidentielle iranienne. Son succès, une surprise pour beaucoup, semble avoir été orchestré en haut lieu. « Sans lui, mon nom ne serait pas sorti des urnes », a déclaré le président élu, dans un hommage appuyé au Guide suprême Khamenei. Ironie du sort, ce même Pezeshkian avait été écarté des législatives de mars par le Conseil des gardiens. Son crime? Avoir osé critiquer le régime lors de l’affaire Mahsa Amini.
Selon des sources officielles iraniennes, Pezeshkian a recueilli plus de 16 millions de voix au second tour, tandis que son adversaire, l'ultraconservateur Saeed Jalili, en a obtenu environ 13,5 millions. Le quartier général électoral iranien a annoncé que le taux de participation au second tour était de 49,8%, soit environ 10% de plus que lors du premier tour organisé une semaine plus tôt.
Pezeshkian prévoit de proposer une nouvelle plateforme diplomatique pour des négociations nucléaires directes avec l'Occident, sous réserve du soutien de Khamenei et de l'engagement du président américain à dialoguer avec Téhéran. Cette initiative intervient dans un contexte de tensions au Moyen-Orient et alors que l'Iran soutient militairement la Russie dans la guerre en Ukraine. Tout au long de sa campagne, Pezeshkian a prôné une politique d'engagement plus proactive avec les acteurs occidentaux et a soutenu un retour à l'accord nucléaire du Plan d'action global commun.
L'élection de Pezeshkian révèle une stratégie calculée du Guide suprême iranien. Face à la montée du mécontentement populaire, Khamenei a choisi de privilégier la stabilité du régime à tout prix. Anticipant une abstention massive, le pouvoir a orchestré un coup de théâtre: l'inclusion d'un candidat réformiste qui manque de charisme et de poids politique parmi les six prétendants à la présidence. Certes, Cette manipulation électorale habile permet au régime de souffler, du moins temporairement, offrant une réponse, bien que superficielle, à la crise de légitimité qui secoue l'Iran depuis les manifestations de 2022.
L'idée principale derrière la présence d'un politicien modéré parmi les candidats à la présidence était de canaliser le mécontentement en créant une semi-opposition destinée à contrer une opposition plus virulente située à l'étranger. Le régime avait déjà employé cette stratégie en 2013, après avoir réprimé le Mouvement vert – une protestation post-électorale issue de la société civile après la réélection controversée en 2009 du principaliste Mahmoud Ahmadinejad. En 2013, le centriste pragmatique Hassan Rouhani s'était présenté et avait remporté l'élection.
La stratégie électorale de Téhéran n'a pas produit les résultats escomptés. Avec un taux de participation sous la barre symbolique des 50%, le pouvoir essuie un revers significatif. Ce chiffre témoigne de l'impact persistant des appels au boycott lancés par l'opposition, tant en Iran qu'à l'étranger. La présence d'un candidat modéré au second tour, censée être un aimant pour les électeurs, n'a pas suffi à renverser la vapeur.
Le nouveau président iranien se trouve à la croisée des chemins. Pezeshkian pourrait se ranger derrière le système, au risque de trahir les espoirs de ses électeurs ou il pourrait la voie de la dissidence. En tentant d'appliquer son programme, Pezeshkian pourrait se heurter frontalement à l'autorité du Guide suprême. Une grande partie de la jeunesse iranienne s'est abstenue, même si beaucoup admettent avoir voté contre la menace d'un ultraconservateur comme Jalili.
L'élection de Pezeshkian marque un changement limité mais tangible, orchestré par l'autorité suprême de la République islamique, le Bureau du Guide suprême. En effet, sans l'approbation de Khamenei, l'élection de Pezeshkian n'aurait pas été possible. Les pressions extérieures et le mécontentement interne ont été des facteurs déterminants dans la décision de Khamenei de favoriser l'élection d'un président modéré. Ce dernier se concentrera sur les questions internes, avec une attention particulière à l'amélioration de la situation économique du pays.
Le souhait de Pezeshkian de faire de l'Iran un pays émergent est intrinsèquement lié à sa capacité à transformer le système politique iranien. Le nouveau président doit dépasser la politique nucléaire de Rouhani, qui n'a conduit qu'à une levée limitée des sanctions. Cet ambitieux projet économique risque de heurter les intérêts du Corps des Gardiens de la révolution islamique. Il reste à voir si cette politique peut réussir sans l'élection d'un président américain démocrate en novembre.
• Le Dr Mohammed al-Sulami est le fondateur et le président de l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah). X : @mohalsulami