Dans la plupart des pays, l’économie agit souvent comme une force indépendante, guidant les décisions politiques et façonnant le paysage politique. Cependant, en Iran, la situation économique est nettement différente. Ici, l’économie n’est pas une force autonome, mais plutôt un facteur dépendant, façonné et contrôlé par les stratégies du système politique. C’est une variable étroitement liée aux décisions du chef suprême et de son cercle restreint.
Lors des dernières élections présidentielles, avant la victoire de Masoud Pezeshkian, les questions économiques étaient au premier plan des programmes des candidats, reflétant la centralité des préoccupations économiques et des moyens de subsistance au sein de la population iranienne. Il convient donc d’étudier les projets économiques du président Pezeshkian, y compris ses stratégies pour relever les défis économiques actuels, les obstacles qu’il pourrait rencontrer, sa position sur les sanctions internationales, et son approche de la politique étrangère, et particulièrement en ce qui concerne l’accord nucléaire et les relations diplomatiques avec les pays voisins et la communauté internationale au sens large.
Les politiques mises en œuvre par le régime iranien ont largement contribué aux graves crises économiques auxquelles le peuple iranien est actuellement confronté. Ceci se reflète dans l’isolement continu du pays et l’imposition répétée des sanctions au cours des quatre dernières décennies, notamment le rétablissement des sanctions américaines en 2018. En résultat, l’Iran a connu une grande pauvreté, le chômage, la corruption, le népotisme et l’hyperinflation, avec des taux d’inflation dépassant les 50 pour cent.
La monnaie nationale a été dévaluée, le pouvoir d’achat a diminué et les revenus libellés en dollars sont tombés à un tiers de leur niveau antérieur. En outre, la dette locale a augmenté, alors que les investissements ont diminué, les pannes d’électricité sont fréquentes, les déficits budgétaires du gouvernement sont devenus courants et le pays a dû adopter des mesures d’austérité et réduire ses dépenses. Malgré le fait qu’il possède d’importantes réserves de pétrole, des ressources naturelles et divers atouts économiques, l’Iran a perdu de nombreuses opportunités de développement dans de multiples secteurs.
Pezeshkian, ancien ministre sous la présidence de Mohammed Khatami et représentant parlementaire réformateur, a une vision économique spécifique pour l’Iran. Il croit que la clé du sauvetage du pays réside dans l’adhésion aux politiques générales et aux directives établies par le leader révolutionnaire.
Pezeshkian a souligné que l’accord nucléaire est vital pour la résolution des problèmes économiques. Il affirme que la résolution des problèmes liés à cet accord et la levée des sanctions devraient être une priorité, réalisable à travers l’expertise des spécialistes locaux. Malgré le fait qu’il reconnaît que le pays peut endurer les sanctions actuelles, il insiste sur le fait qu’un véritable développement n’est réalisable qu’à travers leur levée. Dans un article publié par le site web The Tehran Times, Pezeshkian a déclaré que les sanctions ont infligé des centaines de milliards de dollars de pertes à l’économie iranienne.
Pezeshkian soutient également les mesures de réforme interne, telles que la minimisation de l’ingérence du gouvernement et des entités militaires dans l’économie, l’encouragement du secteur privé et des coopératives, avec l’octroi d’une plus grande liberté économique, à l’exception des secteurs de la santé et de l’éducation.
Djavad Salehi-Isfahani, professeur d’économie iranien à l’université de Virginie, note que les objectifs de Pezeshkian peuvent s’aligner avec ceux du président Hassan Rouhani, notamment concernant la réconciliation avec l’Occident, mais qu’ils divergent en ce qui concerne le recours à l’économie de marché et au secteur privé. Par conséquent, les opinions de Pezeshkian sont plus proches des idées de l’ancien président Khatami en matière de justice sociale.
Pezeshkian n’a pas encore présenté le plan détaillé et réalisable pour résoudre les problèmes économiques de l’Iran. Cependant, il a partagé les grands titres de ses objectifs économiques. Son approche consiste à consulter des experts dans des domaines spécifiques. L’un de ses principaux objectifs est de lever les sanctions économiques pesant sur l’Iran, chose qu’il juge cruciale pour l’amélioration de la situation économique du pays et l’attraction d’investissements dont il a tant besoin. Pour atteindre cet objectif, il sollicite les conseils de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Javad Zarif. Pezeshkian souligne aussi l’importance pour l’Iran de se conformer aux recommandations du groupe d’action financière, et de se retirer de la liste noire de l’organisation.
"Le nouveau président sera probablement confronté à des conflits internes – à supposer que ses convictions restent inchangées – avec le camp conservateur."
- Dr. Mohammed Al-Sulami
Il a pour but de favoriser les relations internationales pacifiques, s’attaquer à l’inflation – une préoccupation déjà soulignée par Ali Tayebnia, ancien ministre de l’Économie sous la présidence de Rouhani – et s’opposer au contrôle des changes, à la tarification obligatoire et aux monopoles, comme ceux qui existent dans l’industrie automobile. Sa vision économique comprend aussi la résolution de problèmes tels que la restriction des libertés et la censure de l’internet, la lutte contre la corruption, la promotion de la justice sociale et la création d’incitations pour le développement des régions mal desservies et des régions frontalières.
En ce qui concerne sa vision pour les relations extérieures de son pays, Pezeshkian a souligné son intention de relever les défis actuels avec les pays voisins, en se concentrant sur les intérêts communs et en réduisant les tensions. Il défend la création d’un pacte de non-agression avec les pays voisins afin de favoriser une connexion basée sur des intérêts communs.
Dans le même article, Pezeshkian a déclaré : "Téhéran donnera la priorité au renforcement des relations avec ses voisins. Nous entamerons une coopération avec la Turquie, l’Arabie saoudite, Oman, l’Irak, Bahreïn, le Qatar, le Koweït, les Émirats arabes unis et les organisations régionales, afin d’approfondir les liens économiques, d’améliorer les relations commerciales, d’augmenter les investissements conjoints et de relever les défis communs". Il a de même exprimé le souhait de "progresser vers l’établissement d’un cadre régional pour le dialogue, l’instauration de la confiance et le développement".
Pezeshkian estime que l’Iran devrait maintenir une position neutre, tout en évitant de s’aligner trop étroitement avec l’Ouest ou l’Est, en s’abstenant de toute hostilité à leur égard. Il a promis de développer des relations stratégiques et équilibrées avec la Russie et la Chine. Cependant, dans un article publié à la suite de sa victoire électorale, il a accusé Washington "d’intensifier le conflit en menant une guerre économique contre l’Iran et en se livrant au terrorisme d’état par l’assassinat du commandant de la Force Al-Qods". La phase à venir sera sans doute un test pratique pour ces visions diplomatiques.
La mise en œuvre des objectifs économiques de Pezeshkian fait face à de nombreuses difficultés, notamment vu leur conflit avec les intérêts du régime religieux iranien et de ses cercles influents, en particulier le Corps des gardiens de la révolution islamique, qui joue un rôle important dans l’économie du pays. En conséquence, le nouveau président risque d’être confronté à des conflits internes – à supposer que ses convictions restent inchangées – avec le camp conservateur qui contrôle à la fois le parlement et le Conseil de discernement du régime, ainsi que le pouvoir judiciaire.
Il est peu probable que ces groupes d’intérêts renoncent facilement à leur influence et à leurs avantages, comme le montre leur résistance aux anciens présidents réformateurs comme Khatami et Rouhani, qui ont tenté de réduire leur pouvoir économique. En outre, le Conseil de discernement s’oppose à ce que l’Iran se conforme aux recommandations du Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Cette opposition s’explique par la crainte que cette conformité n’expose les transactions financières de l’Iran à l’étranger, visant à contourner les sanctions occidentales, ou ses liens financiers avec des groupes armés à l’étranger.
Outre les divers défis économiques techniques, le nouveau président fait face à de nombreux obstacles importants. La maîtrise de l’inflation oscillant aux alentours de 40 pour cent, est particulièrement difficile dans le contexte des sanctions américaines en vigueur, notamment celles qui visent le secteur pétrolier. Ces sanctions ont entraîné une pénurie de devises étrangères, d’intrants de production et de biens, contribuant à la hausse des prix locaux. En outre, l’amélioration de l’environnement des affaires et l’attraction des investissements sont difficiles à réaliser en raison de la concurrence et de l’influence des groupes d’intérêts révolutionnaires.
Dans sa tentative de remédier au déficit budgétaire et à l’inflation, Pezeshkian pourrait envisager de mettre en œuvre des mesures d’austérité, telles que la réduction des dépenses publiques, la diminution des subventions ou l’augmentation des impôts et des prix de l’énergie, ce qui pourrait aggraver la pauvreté et le chômage. Cependant, s’il a recours au financement du déficit, en empruntant auprès des banques locales à des taux d’intérêt élevés, le cycle du déficit financier risque de persister.
Les Iraniens sont depuis longtemps préoccupés par des problèmes tels que les pannes d’électricité dues à l’insuffisance de l’approvisionnement local en gaz, la pénurie de logements et les prix élevés de l’immobilier, qui n’ont toujours pas été résolus. En outre, des problèmes tels que les migrations, la sécheresse, la baisse de la production agricole et la croissance démographique nécessitent des stratégies à long terme. Le défi économique le plus pressant pour l’Iran à court terme reste la nécessité urgent de lever les sanctions qui pèsent sur son économie.
L’économie iranienne pourrait se détériorer davantage si Donald Trump remporte l’élection présidentielle américaine en novembre et rétablit des sanctions pétrolières strictes contre l’Iran, pareilles à celles imposées avant le mandat du président Joe Biden. Un tel scénario pourrait réduire les exportations du pétrole de l’Iran d’environ 1,5 million de barils par jour, à environ 300 000 barils par jour. Le retour de Trump au pouvoir pourrait forcer le régime iranien à accélérer les négociations nucléaires pour éviter un épuisement complet de ses ressources financières, chose qui aggravait les crises économiques existantes.
En conclusion, la capacité du nouveau président à relever les défis économiques du pays est très limitée. Des améliorations économiques significatives sont peu probables à moins que le chef suprême et son cercle restreint ne décident de changer de manière drastique leur approche en matière de politique étrangère.
Le Dr Mohammed al-Sulami est le fondateur et le président de l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah).
X : @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com