L’Union européenne (UE) et le gouvernement australien ont annoncé la semaine dernière de nouvelles sanctions dans le cadre de la politique occidentale qui vise à modifier le comportement de la République islamique d’Iran. Leurs annonces respectives font partie d’une stratégie politique calibrée qui a pour but de contrer les activités déstabilisatrices de l’Iran au Moyen-Orient et en Europe. Ces sanctions sont le signe de la détérioration des relations irano-occidentales dans le contexte de la crise en mer Rouge, de la guerre entre Israël et Gaza et du soutien iranien à l’effort de guerre russe contre l’Ukraine.
Ces sanctions sont différentes des précédentes, car elles pourraient montrer que si l’Iran ne change pas sa stratégie régionale, l’Europe pourrait désigner le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) comme organisation terroriste. Une telle désignation pourrait contribuer à une augmentation des tensions au Moyen-Orient et à une escalade militaire entre l’Iran et les forces militaires occidentales dans la région. Derrière ces sanctions, un autre facteur potentiel pourrait être la montée du soutien militaire iranien aux forces russes, notamment la livraison de missiles susceptibles de cibler le territoire européen.
Si l’Europe décide d’inscrire le CGRI sur sa liste de sanctions, les conséquences pourraient être la fermeture des ambassades respectives des États membres européens à Téhéran ainsi qu’une augmentation du nombre de ressortissants de l’UE emprisonnés en Iran. Il y a actuellement une douzaine de citoyens européens emprisonnés en Iran, parmi lesquels quatre ressortissants français et Johan Floderus, un ressortissant suédois qui travaille pour le service diplomatique de l’UE.
«Le moment choisi pour les nouvelles sanctions de l’UE et de l’Australie est important compte tenu de la crainte occidentale d’une escalade militaire au Moyen-Orient.»
- Dr Mohammed al-Sulami
Pour l’heure, Bruxelles a décidé d’élargir la portée de ses mesures restrictives existantes. Cette décision a été prise dans le contexte du soutien militaire de l’Iran à la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine ainsi que par les groupes armés au Moyen-Orient et en mer Rouge. Le cadre des nouvelles sanctions a été adopté en juillet 2023. Il interdit déjà l’exportation de composants utilisés dans la construction et la production de véhicules aériens sans pilote de l’UE vers l'Iran. Il prévoit en outre des restrictions de voyage et des mesures de gel des avoirs à l’encontre de toute personne qui soutiendrait le programme de drones de l’Iran ou qui serait impliquée dans ce dernier.
La nouveauté, cette fois, c’est que le Conseil européen a décidé que les mesures restrictives couvriraient désormais non seulement les drones, mais aussi les missiles. L’UE ciblera les personnes et les entités qui fournissent ou vendent des missiles ainsi que celles qui sont impliquées dans le transfert de missiles et de drones iraniens pour soutenir la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Seront également concernés les entités et groupes armés iraniens qui compromettent la paix et la sécurité au Moyen-Orient, par exemple en violant la résolution 2216 du Conseil de sécurité des nations unies. Les sanctions ciblées comprendront un gel des avoirs et une interdiction de voyager dans l’UE pour les personnes concernées ainsi que l’interdiction de toute transaction financière avec des entités juridiques qui leur sont affiliées.
Le même jour, l’Australie a décidé d’annoncer de nouvelles sanctions ciblées en réponse aux activités déstabilisatrices de l’Iran au Moyen-Orient. Ces sanctions visent cinq autres personnes et trois entités iraniennes. Parmi elles figurent de hauts responsables, tels que le ministre de la Défense, Mohammed Reza Ashtiani, et le commandant de la force Al-Qods, le général Ismael Qaani. Ces sanctions australiennes s’ajoutent aux actions précédentes du gouvernement albanais: Canberra a désormais sanctionné 90 individus et 100 entités affiliés à l’Iran.
Le moment choisi pour les nouvelles sanctions de l’UE et de l’Australie est important compte tenu de la crainte occidentale d’une escalade militaire au Moyen-Orient. Ces actions visent à éviter une guerre régionale à la suite de l’exacerbation des tensions militaires entre Téhéran et Tel-Aviv au mois d’avril. La réaction iranienne à ces nouvelles sanctions a mis en évidence «l’approche du deux poids, deux mesures adoptées par l’Australie et ses partenaires occidentaux à l’égard de l’évolution de la situation dans la région». Téhéran a accusé l’Australie de «garder le silence face à l’attaque du régime sioniste contre des locaux diplomatiques et de lui fournir des armes pour perpétrer le violent massacre contre la population sans défense de Gaza».
«La désignation du CGRI comme organisation terroriste pourrait provoquer un changement de comportement dans le processus décisionnel en Iran.»
- Dr Mohammed al-Sulami
Au-delà de ces propos durs du ministère iranien des Affaires étrangères, Qaani a déclaré la semaine dernière que «la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ne devraient pas se faire d’illusions en croyant que le déploiement de leurs avions lors de cette nuit fatidique les exonère de toute responsabilité. L’affaire a peut-être été réglée ce soir-là, mais ils en subiront sans aucun doute les conséquences en temps voulu». Ce discours menaçant montre que les dirigeants du CGRI sont préoccupés par le succès militaire des pays occidentaux dans l’interception de missiles et de drones iraniens lors de l’attaque sans précédent de l’Iran contre Israël le 14 avril.
L’exacerbation des tensions entre l’Australie, l’UE et l’Iran ne signifie pas que les nouvelles sanctions auront une incidence sur les exportations de pétrole iranien. Ces dernières ont atteint au mois de mars leur plus haut niveau depuis le retrait des États-Unis de l’accord nucléaire du Plan d’action global commun, en 2018. Néanmoins, les régimes de sanctions occidentaux contre l’Iran compliqueront, à court terme, la reconnexion entre l’économie iranienne et le système international.
En outre, la montée des tensions militaires est préjudiciable à l’économie iranienne dans la mesure où les investisseurs potentiels non occidentaux resteront prudents étant donné la volatilité du contexte régional. En d’autres termes, même sans volonté politique de mettre en œuvre des sanctions à Bruxelles, à Canberra ou à Washington, l’économie iranienne ne peut pas se redresser dans un contexte régional instable.
La clé pour entraîner un changement de comportement en Iran ne réside pas dans des sanctions symboliques qui visent des institutions militaires spécifiques, mais plutôt dans la mise en œuvre de sanctions liées aux exportations de pétrole iranien, qui sont décisives pour la survie du système politique iranien. La désignation du CGRI – l’un des principaux acteurs économiques impliqués dans le secteur pétrolier – comme organisation terroriste pourrait provoquer un changement de comportement important au niveau du processus décisionnel en Iran.
Dans l’ensemble, ces nouvelles sanctions augmenteront le coût des investissements iraniens axés sur l’armée, auxquels les dirigeants iraniens ont donné la priorité, plutôt qu’au bien-être du peuple iranien. Aujourd’hui, la majeure partie de la population se trouve quotidiennement confrontée à l’inflation, à la mauvaise gestion de l’économie et à des conditions de vie dégradantes. Les mauvaises politiques et la mauvaise gouvernance sont des facteurs bien plus importants pour expliquer les difficultés économiques de l’Iran que les sanctions symboliques occidentales.
Le Dr Mohammed al-Sulami est le fondateur et le président de l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah).
X: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com