Les tentatives du nouveau président iranien Masoud Pezeshkian pour promouvoir l’unité nationale semblent avoir été de courte durée.
Bien qu’il soit associé au camp réformiste, il a choisi de nommer tous ses ministres avec l’approbation du chef de l’État, le guide suprême Al Khamenei. Cette manœuvre tactique visait à forcer les députés iraniens et les politiciens conservateurs, tous fidèles au guide suprême, à approuver les nominations de Pezeshkian. Néanmoins, sa participation à la nomination des ministres ou son influence sur les positions du gouvernement pourraient être perçues comme faisant pencher le gouvernement vers une approche plus modérée ou réformiste de la gouvernance. Cela le met en porte-à-faux avec les partisans de la ligne dure qui perçoivent son influence comme une déviation des principes originaux de la révolution iranienne, en particulier si les personnes qu’il nomme ou ses alliés sont perçus comme trop indulgents ou enclins aux réformes.
Hossein Shariatmadari, rédacteur en chef du journal Kayhan (souvent considéré comme le porte-parole du guide suprême iranien), est connu pour ses attaques contre des personnalités ou des politiques qu’il juge contre-révolutionnaires ou trop réformistes. Ses critiques sont le reflet de l’ensemble de l’établissement conservateur étroitement aligné sur Khamenei. Lorsque Shariatmadari accuse certains membres du gouvernement ou ministres d’être "anti-révolutionnaires", cela reflète leur position sur des politiques telles que l’engagement avec l’Occident.
En effet, si un ministre est favorable à un engagement diplomatique ou économique accru avec les pays occidentaux, en particulier les États-Unis ou l’Europe, cela est souvent considéré comme une violation des idéaux révolutionnaires. Un autre point de discorde entre les factions modérées et conservatrices est lié aux réformes économiques et sociales. Les politiques qui privilégient le pragmatisme économique ou les réformes sociales sont considérées comme affaiblissant l’identité révolutionnaire du régime.
Sans surprise, Javad Zarif, l’ancien ministre des Affaires étrangères, est au centre des critiques des conservateurs.
Dr. Mohammed Al-Sulami
Kayhan se concentre maintenant sur les nominations au sein du nouveau gouvernement, accusant les membres d’avoir obtenu des rôles sans fournir de certificat prouvant qu’ils n’ont pas de "condamnations de sécurité" dans le passé. Ces critiques visent probablement à mobiliser les partisans de la ligne dure contre toute évolution vers des politiques plus modérées, reflétant la crainte que le gouvernement ne s’éloigne des valeurs révolutionnaires défendues par Khamenei.
Mehdi Fazali, membre du Bureau pour la préservation et la publication des œuvres du Guide suprême de la Révolution islamique, a expliqué qu’un membre élu de la direction iranienne doit également respecter les principes et les idéaux de la révolution. La réapparition des critiques des factions conservatrices dans la sphère médiatique officielle est un message adressé au président nouvellement élu, lui indiquant que les autres centres de pouvoir du régime suivent et surveillent de près ses choix et orientations politiques.
Sans surprise, Javad Zarif, l’ancien ministre des Affaires étrangères, est au centre des critiques des conservateurs. Le représentant de Téhéran au Parlement, Hamid Rasaei, a expliqué que "Zarif a démissionné parce que son fils avait la double nationalité, mais il a annoncé à nouveau qu’il était de retour et qu’il travaillait désormais en tant qu’adjoint stratégique du président". Sa critique se fonde sur une loi approuvée par le parlement iranien qui est perçue comme étant contre les membres de l’élite politique. Cette loi interdit aux enfants des hauts fonctionnaires d’avoir une nationalité étrangère. Or, les enfants de Zarif possèdent la nationalité américaine, puisqu’ils sont nés aux États-Unis, alors que Zarif y étudiait. C’est pourquoi il a d’abord été poussé à la démission, 11 jours seulement après sa nomination initiale, le 1er août.
Les luttes de factions en Iran sont profondément enracinées. D’un côté, le camp conservateur, fidèle au guide suprême, craint que l’autorisation de toute forme de réforme (politique, sociale ou économique) n’érode la pureté idéologique du régime. D’autre part, le camp réformiste ou pragmatique, auquel se rattache Pezeshkian, soutient qu’un certain degré de modernisation est nécessaire pour que le pays puisse relever les défis nationaux et internationaux auxquels il est confronté.
Les partisans de la ligne dure continueront probablement à s’opposer à toute forme de réforme ou d’écart par rapport aux principes révolutionnaires.
Dr. Mohammed Al-Sulami
La réaction de la ligne dure – en particulier l’accusation d’être "anti-révolutionnaire" – est souvent une tactique utilisée pour délégitimer les opposants politiques ou discréditer les politiques qui ne s’alignent pas sur la vision stricte de la République islamique de ce groupe. Les nouvelles inquiétudes exprimées dans les médias officiels par des personnalités proches de Khamenei sont un signal pour le président nouvellement élu. Cela signifie que le guide suprême est prudent en ce qui concerne le réengagement avec les puissances occidentales ou la renégociation de l’accord nucléaire.
En outre, il ne pourrait ne pas être favorable aux politiques économiques proposées par le nouveau président, qui pourraient privilégier les solutions à court terme. En effet, les partisans de la ligne dure considèrent que tout compromis économique retarde les objectifs révolutionnaires à long terme d’autosuffisance et de résistance contre les puissances mondiales (notamment occidentales). Ces accusations du camp de la ligne dure sont souvent destinées à consolider le pouvoir, en veillant à ce que tout potentiel de réforme significative soit rapidement étouffé.
La lutte pour le pouvoir devrait s’intensifier à mesure que l’Iran est confronté à des difficultés économiques croissantes dues aux sanctions, à l’agitation interne et à l’isolement international. Les partisans de la ligne dure continueront probablement à s’opposer à toute forme de réforme ou d’écart par rapport aux principes révolutionnaires, qu’ils considéreront comme une trahison. Pezeshkian et ses alliés, ainsi que d’autres pragmatiques ou réformistes au sein du gouvernement, devront faire preuve de prudence face à ces accusations. Bien qu’ils veuillent promouvoir le changement, ils sont limités par la domination de la ligne dure des institutions clés, notamment celles qui sont alignées sur le guide suprême.
En substance, l’accusation d’être "anti-révolutionnaire" est une arme politique puissante en Iran, utilisée par des conservateurs comme Shariatmadari, son journal Kayhan et les factions autour de Khamenei pour maintenir le contrôle idéologique et supprimer toute tendance à la réforme ou à la modération. La présence de ministres associés à Pezeshkian peut avoir déclenché cette réaction dure en raison de leurs positions perçues comme pragmatiques, ce qui a conduit à des frictions inévitables et importantes au sein de l’établissement politique de l’État iranien.
Le Dr Mohammed al-Sulami est le fondateur et le président de l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah).
X: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com