Les résultats des élections américaines de mi-mandat ont été très surprenants pour tout le monde. Les démocrates ont dépassé les attentes alors qu’une «vague rouge» était largement attendue. Sur le plan de la politique intérieure américaine, cela revêt plusieurs significations. Pour commencer, l’enquête sur la famille Biden – soit les relations d’affaires de Hunter, le fils du président – prendra moins d’ampleur.
Les nouveaux présidents perdent généralement des sièges lors de leurs premières élections de mi-mandat. Barack Obama a perdu soixante-trois sièges à la Chambre des représentants en 2010 et Bill Clinton en a perdu cinquante-deux en 1994. Donald Trump a perdu quarante sièges en 2018. Ainsi, Joe Biden s’en est plutôt bien sorti par rapport à ses prédécesseurs. Cela incitera probablement le président, qui aura 80 ans la semaine prochaine, à se présenter de nouveau. Mais que signifient les résultats des élections pour le Moyen-Orient?
Les élections de mi-mandat sont importantes pour la région à plusieurs niveaux. Comme les démocrates ont plutôt bien réussi, ils vont sans doute redoubler d’efforts en matière de politique étrangère. M. Biden, dont la performance avait été grandement remise en cause en raison de son âge, va gagner en assurance.
Alors que les républicains ont un comportement pragmatique envers l’Arabie saoudite, les démocrates, eux, adoptent une attitude dictée par des motifs populistes. C’est particulièrement évident avec Joe Biden, qui a adopté une attitude belliqueuse envers le Royaume et la Turquie, deux alliés importants des États-Unis, pendant sa campagne pour être président. Il a promis d’aider les opposants de Recep Tayyip Erdogan à renverser le président turc et de traiter Riyad en «paria».
Malgré le fait que de telles déclarations nuisent à l’intérêt national américain, ce discours pseudo-libéral prétendant sauvegarder les «principes démocratiques» dans le monde plaît énormément à l’électorat américain, notamment aux démocrates.
Toutefois, M. Biden a dû changer de position sur l’Arabie saoudite une fois que la guerre en Ukraine a éclaté et que les pays occidentaux ont décidé qu’ils avaient besoin d’une alternative au gaz russe. En octobre, le Royaume, dans le cadre du groupe Opep+ (quatorze pays de l’Opep plus dix autres pays), a décidé de poursuivre ses intérêts et de réduire la production de pétrole.
Cette décision a mis le président américain dans l’embarras, lui qui avait espéré que sa visite en Arabie saoudite rendrait les dirigeants du pays plus favorables à la position américaine. Le président Biden a déclaré qu’il ferait payer à l’Arabie saoudite le prix de ce que la Maison-Blanche considérait comme un coup de pouce à la Russie, affirmant que cette réduction «augmenterait les revenus russes et atténuerait l’efficacité des sanctions».
L’Arabie saoudite ne semble pas inquiète de la position belliqueuse de l’administration américaine. Néanmoins, maintenant que les démocrates se sont enhardis grâce à leur bonne performance relative lors des élections de mi-mandat, ils maintiendront sûrement ce comportement agressif à l’égard du Royaume.
«Il tentera de faire pression sur les alliés traditionnels des États-Unis tels que la Turquie et l’Arabie saoudite pour qu’ils adoptent une attitude plus conflictuelle envers la Russie.» - Dr Dania Koleilat Khatib
D’autre part, certains pensent que le Moyen-Orient ne fait pas partie des priorités de l’administration Biden et qu’elle se concentrera davantage sur la Russie et la Chine. Selon Bernard Haykel, professeur à l’université de Princeton: «Si Joe Biden ne peut rien faire sur le plan intérieur, il se concentrera sur la politique étrangère au cours de ses deux dernières années. Cela signifie qu’il mettra l’accent sur la Russie et la Chine. Le Moyen-Orient ne sera pas du tout dans sa ligne de mire.»
Les républicains étant sur le point de prendre le contrôle de la Chambre, le président Biden n’aura pas son mot à dire en termes de politique intérieure. Il tentera donc de faire ses preuves en politique étrangère.
Il y a donc de fortes chances qu’il tente de faire pression sur les alliés traditionnels des États-Unis tels que la Turquie et l’Arabie saoudite pour qu’ils adoptent une attitude plus conflictuelle envers la Russie – ce que ces deux États se sont abstenus de faire jusqu’à présent. Cependant, cette pression sur les deux pays les incitera à se rapprocher l’un de l’autre, car ils cherchent à préserver leur autonomie.
La Turquie a exprimé son soutien à la décision de réduire la production de pétrole, le ministre des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, accusant les États-Unis de «harceler» le Royaume. Il est peu probable que, par pure pression, l’administration Biden oblige la Turquie ou l’Arabie saoudite à rentrer dans le rang. Si les États-Unis veulent un plus grand soutien de la part de ces deux pays, ils devront tenir compte de leurs besoins en matière de sécurité. La Turquie considère le soutien américain aux Unités kurdes de protection du peuple en Syrie comme un risque pour la sécurité, tandis que l’Arabie saoudite est troublée par l’approche non interventionniste de Washington face à la menace iranienne.
Dans le même temps, les démocrates pourraient avoir une attitude plus ferme envers Israël, dont l’électorat a voté pour ce qui apparaît comme le gouvernement le plus à droite de tous les temps. Joe Biden, qui a fait de la démocratie l’un des principaux thèmes de sa campagne présidentielle, est peu susceptible de faire plaisir au prochain gouvernement israélien, qui sera farouchement antiarabe et en faveur des colonies.
Sur l’Iran, M. Biden, tout comme son prédécesseur démocrate, se contentera possiblement d’encourager les manifestants iraniens. En 2009, l’ancien président Obama a exprimé son soutien aux manifestations dans le pays, mais ses propos ne correspondaient pas à la politique passive qu’il a adoptée. Il a pris soin de ne pas rompre les lignes de communication avec l’Iran. De même, il semble incertain que Joe Biden contribue à la chute du régime, même s’il affirme vouloir «libérer l’Iran».
En ce qui concerne la Syrie, alors que les républicains sont favorables à une augmentation de la pression sur le régime de Bachar al-Assad en imposant des sanctions, l’administration actuelle adopte une politique qui consiste à repousser les problèmes. Les républicains vont probablement faire pression pour un nouveau paquet de sanctions à la Chambre. Le Sénat restant sous le contrôle des démocrates, toute pression en faveur de nouvelles sanctions contre le régime de M. Al-Assad dépendra de Bob Menendez, le président de la commission sénatoriale des relations étrangères.
Comme le souligne M. Haykel, le Moyen-Orient n’est pas une priorité dans l’agenda de M. Biden. Par conséquent, au-delà des propos sévères envers l’Arabie saoudite et des mots bienveillants adressés aux manifestants iraniens, il est peu probable que l’administration Biden prenne des mesures sérieuses pour orienter le cours des événements dans la région. Ce serait toutefois une erreur, car la région est en ébullition et toute perturbation imprévue pourrait avoir des répercussions catastrophiques si elle n'est pas prise en compte.
Les événements qui se sont déroulés au cours des deux dernières années montrent que Joe Biden réagit aussi peu que possible aux événements dans la région et a, encore moins, la volonté de les changer. Cette tendance va sans doute se poursuivre au cours des deux prochaines années.
La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com