À la suite de la décision de l’Opep+ (quatorze pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole plus dix autres pays) de réduire la production de pétrole de 2 millions de barils par jour à partir de novembre, l’Arabie saoudite a été fortement condamnée, étant même accusée par les États-Unis de soutenir la politique russe et de saper les sanctions imposées à Moscou.
Ces accusations résultaient de l’inquiétude des démocrates américains face à la hausse des prix de l’énergie causée par l’Opep+ et qui nuirait aux chances de leur parti de conserver le contrôle du Congrès lors des élections de mi-mandat. Par conséquent, le gouvernement Biden cherche à revoir sa relation avec l’Arabie saoudite, faisant ainsi allusion aux mesures qui pourraient compromettre la longue Histoire de la coopération militaire américaine avec le Royaume.
L’approche du gouvernement Biden envers le Royaume est fortement déformée. La décision de réduire la production de pétrole n’a pas été prise uniquement par l’Arabie saoudite, mais conjointement par les vingt-trois pays de l’Opep+. Cette décision était le résultat de plusieurs raisons valables et objectives; la principale étant la baisse mondiale de la demande de pétrole.
De plus, cette décision n’a pas été prise dans l’intention d’apporter un soutien à la Russie. En effet, la position de l’Arabie saoudite sur le conflit ukrainien est sans équivoque, soutenant sans ambiguïté la légitimité et les normes internationales.
La décision de l’Opep+ n’implique d’ailleurs aucune volonté saoudienne d’influencer les affaires intérieures américaines à l’approche des élections mi-mandat, comme le pense le gouvernement Biden. Les seuls facteurs influençant les décisions de l’Arabie saoudite sont la poursuite de ses propres intérêts stratégiques et le fait de jouer son rôle régional et international vital et habituel dans la promotion de la paix et de la stabilité. L’Arabie saoudite a toujours été un partenaire essentiel dans le maintien d’un ordre régional et mondial fondé sur des règles et dirigé par les États-Unis. Elle s’est engagée à maintenir ce partenariat vital.
Néanmoins, sortir la décision de l’Opep+ de son contexte purement économique et blâmer l’Arabie saoudite seule sans attribuer aucune responsabilité aux autres pays membres de l’Opep+ qui ont voté à l’unanimité en faveur de la décision de réduire la production, est malheureusement une politisation typique d’une question apolitique.
L’Arabie saoudite n’a pas ménagé ses efforts pour répondre aux appels à l’augmentation de la production afin de faire face à la crise énergétique mondiale, qui a d’ailleurs été exacerbée par la guerre de la Russie contre l’Ukraine. Lorsque le prix du baril de pétrole a atteint 120 dollars (1 dollar = 1,01 euro), l’Arabie saoudite a augmenté sa production, réfutant ainsi toute allégation de partialité dans le conflit entre la Russie et l’Occident. La véritable cause de la crise énergétique mondiale est la concurrence stratégique dans laquelle les États-Unis sont en compétition avec leurs rivaux, la Russie et la Chine, amenant le monde au bord du conflit, comme c'est le cas en Ukraine et à Taïwan.
De plus, selon le président français, Emmanuel Macron, et des responsables allemands, en exprimant son mécontentement face à la décision de l’Opep+, le gouvernement Biden a indiqué qu’il n’avait pas l’intention de soutenir des sanctions contre la Russie ou d’être solidaire avec ses alliés européens qui l’accusent d’avidité et de vendre le gaz quatre fois son vrai prix. Le gouvernement Biden a plutôt tenté d’obtenir un soutien indirect pour les candidats démocrates en retardant toute décision de l’Opep+ de réduire la production de pétrole pendant un mois, voire après les élections de mi-mandat en novembre.
Cette attitude a exposé l'administration Biden à des critiques nationales sévères, ce qui a mis ses dirigeants dans une situation très embarrassante aux yeux de l'opinion publique américaine et pourrait entraîner une responsabilité politique, voire juridique.
Il s’agit d’une situation particulièrement remarquable, étant donné que ce gouvernement a toujours juré de punir – et a en effet déjà puni – toute partie extérieure qui jouerait un rôle afin d’influencer le résultat des élections américaines.
Cependant, malgré cela, l’Arabie saoudite tient à maintenir son partenariat avec les États-Unis. La décision du gouvernement Biden de réexaminer les liens avec l’Arabie saoudite aura cependant des conséquences importantes et probablement dommageables, mettant ainsi en péril l’ensemble du partenariat.
L’administration Biden utilise la décision de l’Opep+ comme prétexte pour poursuivre sa politique imprévisible et injuste envers le Royaume, même si cela n’est ni dans l’intérêt national ou international de Washington ni dans celui des électeurs américains.
Par conséquent, l’Arabie saoudite refuse catégoriquement de s’impliquer de manière injustifiée dans un différend avec les États-Unis et le Royaume n’acceptera pas non plus de sacrifier ses propres intérêts économiques au profit de calculs politiques au sein des États-Unis. Le Royaume réaffirme également qu’il ne se soumettra ni aux chantages ni aux menaces.
Comme l’a d’ailleurs noté l’ambassadrice saoudienne aux États-Unis, la princesse Rima bent Bandar ben Sultan, l’époque où les relations américano-saoudiennes étaient basées uniquement sur le pétrole et la sécurité est révolue. La sécurité régionale est une responsabilité partagée dont profitent toutes les parties. L’Arabie saoudite est depuis longtemps un allié important des États-Unis, assurant la sécurité régionale face à l’Iran, un État sur le point d’atteindre le seuil nucléaire.
Le gouvernement américain doit reconsidérer sa position vis-à-vis de l’Arabie saoudite. Cette position malheureuse des États-Unis est utile à certaines composantes du gouvernement Biden qui ont adopté une position hostile envers le Royaume, approfondissant le schisme dans les relations entre les deux pays. Tout le monde est conscient de la cause profonde de la crise et de la place qu'occupe le Moyen-Orient dans la liste des priorités stratégiques américaines. Ce déclin a eu un impact important, engendrant une crise de confiance aux États-Unis, non seulement avec l’Arabie saoudite, mais aussi avec plusieurs autres pays de la région.
«La véritable cause de la crise énergétique mondiale est la concurrence stratégique dans laquelle les États-Unis sont en compétition avec leurs rivaux, la Russie et la Chine» - Dr Mohamed al-Sulami
Les États-Unis sont désormais considérés comme un partenaire indigne de confiance, notamment en raison de l’insistance de l’actuelle Maison-Blanche à transférer le fardeau sur les pays de la région, en les abandonnant ainsi face à des dangers et des menaces. Le schisme entre les États-Unis et les pays de la région est principalement le résultat des échecs du président Biden et de son gouvernement, ainsi que de leurs perspectives mal avisées au sujet du Moyen-Orient.
Il est intéressant de noter que, lorsque le gouvernement Biden a reconnu l’importance de la région et son lien inextricable avec la résolution des différends mondiaux et la réaffirmation de la domination déclinante des États-Unis sur l’ordre mondial, Joe Biden s’est lui-même rendu en Arabie saoudite pour briser la glace et reconstruire des relations positives avec les puissances régionales, y compris Riyad. Il est cependant clair que sa visite dans la région a été motivée par des facteurs politiques et économiques, notamment le conflit qui oppose les États-Unis avec la Russie et la Chine.
L’autre raison pour laquelle le président américain a visité le Royaume était d’alléger la pression imposée à l’économie américaine par la hausse des prix du pétrole, et d’ainsi aider le parti démocrate à remporter les élections de mi-mandat. C’est le résultat des pressions exercées par les progressistes, qui sont plus conscients de l’importance vitale du partenariat des États-Unis avec l’Arabie saoudite.
Ainsi, la visite de M. Biden en Arabie saoudite n’était pas fondée sur une véritable conviction personnelle quant à l’importance des relations entre les deux pays ou sur le maintien d’intérêts équilibrés entre eux. Cette visite semblait en effet n’être rien de plus qu'une opération de relations publiques superficielle qui suggère un certain opportunisme et un manque de sérieux dans l'élaboration de politiques profitables aux deux parties.
Le message du Royaume est clair: si les États-Unis considèrent l’Arabie saoudite comme un partenaire important au Moyen-Orient, le gouvernement Biden devrait considérer ses intérêts ainsi que la vision de ses dirigeants sans imposer de diktats ni de pressions, plutôt que d’accumuler des accusations insultantes à son encontre et de les utiliser politiquement dans le cadre de ses querelles partisanes internes. Ces dernières ne mènent à rien de moins que l’effondrement d’un partenariat vieux de huit décennies.
L’Arabie saoudite n’a jamais abandonné ses partenaires ou ses alliés et elle demeure un pilier important pour parvenir à la stabilité régionale et protéger la sécurité régionale. Elle est également une puissance économique indispensable pour aider les pays en crise et protéger les couloirs commerciaux vitaux en plus de sécuriser les approvisionnements énergétiques à un moment critique de l’Histoire mondiale, tout en conservant un statut prestigieux à l’échelle internationale.
L’Arabie saoudite est également un partenaire mondial essentiel qui se donne énormément de mal pour collaborer sur des questions vitales telles que le développement, l’énergie, la sécurité alimentaire, le changement climatique, la lutte contre le terrorisme et bien d’autres encore. C’est pourquoi le Royaume mettra tout en œuvre, comme il l’a toujours fait, afin de maintenir les prix du pétrole bas lorsque cela sera s’avérera nécessaire. Riyad, bien sûr, tient à sa souveraineté, ainsi qu’à son indépendance et la poursuite de ses propres projets nationaux. Néanmoins, le Royaume a une priorité: il veut ouvrir un nouveau chapitre de son partenariat avec les États-Unis, tant que Washington partage les mêmes objectifs à l’abri de tout exploitation, politisation ou déséquilibre d’intérêts. Or, si l’administration Biden choisit d’aller dans la direction opposée, elle sera entièrement responsable de la perte d’un partenaire stratégique de premier ordre et de toutes les conséquences que cela pourrait engendrer.
Dr Mohamed al-Sulami est le président de l’Institut international des études iraniennes (Rasanah).
Twitter : @mohalsulami
NDLR : L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com