Alors que le Mondial de football au Qatar, en terre musulmane, fait beaucoup jaser, 2022 a été en France une annus horribilis pour les «affaires» qui ont défrayé la chronique et qui impliquent des joueurs et des joueuses de confession musulmane dans de sordides scénarios où l’argent-roi, le manque de maturité, l’appât du gain et les guerres de clans font de vastes dégâts.
C’est d’autant plus désastreux qu’en France comme en Europe l’islamophobie progresse depuis des décennies. On se souvient de l’affaire d’une vidéo dans laquelle le joueur Karim Benzema, vedette des Bleus et du Real Madrid, avait été condamné. Très médiatisée, elle avait duré six ans. Le tribunal avait estimé qu’il s’était «personnellement impliqué» dans un chantage contre un coéquipier. Il avait fait appel, mais épuisé par la procédure, il avait renoncé en juin 2022, acceptant sa condamnation. Aujourd’hui, Benzema est devenu indiscutable chez les Bleus. Favori pour le Ballon d’or, il est libéré d’un fardeau pour lequel il a toujours clamé son innocence. Il peut souffler, après les diatribes racistes islamophobes qu’il a endurées.
Récemment, c’est la joueuse du PSG, Kheira Hamraoui, qui, sur les plateaux de télé, racontait ses déboires. Née à Roubaix de parents algériens, elle expliquait comment trois jeunes voyous de vingt ans ont voulu «lui casser les jambes» avec des barres de fer. Une joueuse rivale de son club, Aminata Diallo, née en 1995 à Grenoble, de parents sénégalais était soupçonnée d’être la «commanditaire» de l’agression, apparemment pour lui permettre d'occuper «le poste de Hamraoui lors des compétitions à venir». Placée en détention provisoire, puis remise en liberté sous contrôle judiciaire, elle n’est pas encore sortie d’affaire.
C’est triste, mais par les temps qui courent, les musulmans, les convertis comme les autres, doivent être irréprochables dans leur vie, car les islamophobes se gaussent de leurs fourberies - Azouz Begag
Ce scandale avait fait une victime collatérale: un grand joueur de football, de renommée internationale, Éric Abidal, Martiniquais converti à l’islam, né à Lyon. L’enquête avait entraîné un terrible aveu à sa femme Hayet, lyonnaise d’origine algérienne. Le mari entretenait en effet une relation avec Kheira Hamraoui, amie de la famille.
Cet été, cela a été au tour de l’international français Paul Pogba de se retrouver au cœur d’un cabale familiale, orchestrée par son frère Mathias. Ce dernier, accusé d’avoir voulu le faire chanter, a été mis en examen pour extorsion en bande organisée et association de malfaiteurs. Le déroulé est délirant. À la fin du mois d’août, une enquête a été ouverte, au cours de laquelle Paul Pogba avait dénoncé aux policiers des amis d’enfance et son frère Mathias qui, armés de fusils d’assaut, lui auraient réclamé treize millions d’euros pour «service rendu». Puis on apprenait que Paul leur aurait finalement remis 100 000 euros.
Mais le plus truculent restait à venir: les révélations de Mathias sur la sorcellerie en vogue dans le football. Il menaçait de prouver que Paul sollicitait un marabout, Ibrahim, afin de jeter un sort sur Kylian Mbappé, pour effectuer des rituels pour sa carrière, lui «prédire l’avenir, le faire briller, augmenter ses performances, saboter les matchs, jeter des sorts à ses ennemis et rivaux…».
On croit rêver en lisant les détails de ce déballage. Paul aurait fait enterrer un papier du marabout dans la pelouse du stade de Manchester pour jeter des sorts maléfiques. Et ça marchait! Dixit Mathias: «Durant la finale de l’Euro 2016, il se passa des choses bizarres, comme la nuée de papillons avant le match. Pour une finale européenne, le sorcier aurait même assuré la victoire de Manchester.» Bien sûr, les rémunérations d’Ibrahim se faisaient en liquide, «plusieurs millions au total». C’est sale. C’est souillant.
Paul Pogba n'a jamais caché qu’il était musulman. Avant chaque match, on le voit en gros plan réciter des sourates du Coran, les paumes tournées vers le ciel… Les musulmans de France et d’Europe le voyaient comme un frère, dont la foi était belle et pure. Né d'une mère musulmane et d'un père chrétien, il disait: «L'islam, c'est tout pour moi» en 2019, au Times. «Ça m'a apaisé… c'est vraiment quelque chose de beau.» Avec des amis qui l’avaient aidé dans sa conversion, il parlait beaucoup et se posait des questions... «J'ai prié une fois avec eux, j'ai senti quelque chose de différent... C'est une religion qui m'a ouvert l'esprit», expliquait-il. En 2017, lors d’un pèlerinage à La Mecque, il avait parlé du «plus beau site jamais vu de ma vie». Dans une vidéo sur Instagram, il avait partagé son bonheur d'être dans cet «endroit magnifique, magnifique, magnifique».
Le magazine londonien The Sun s'était empressé de signaler que, sur les photos, il arborait un «sac à bandoulière Gucci de 530 livres (600 euros)». Après l’Euro 2016, Pogba regrettait d’avoir dépensé 100 000 dollars en un mois de vacances en Californie. Il avait compris que chaque image, chaque mot des icônes du football liées à l’islam est scruté par les médias.
Comme Pogba, Éric Abidal, fils de catholiques, s’était aussi converti à l'islam à vingt ans. Après la divulgation de sa liaison avec Kheira Hamraoui, il écrivait à sa femme Hayet qui avait demandé le divorce: «Tu resteras à mes yeux la femme de ma vie, et surtout la mère de nos merveilleux enfants. Je mérite cette humiliation, même si elle me tue vivant. El hamdouli’allah. An sha’ allah, un jour tu me pardonneras.»
C’est triste, mais par les temps qui courent, les musulmans, les convertis comme les autres, doivent être irréprochables dans leur vie, car les islamophobes se gaussent de leurs fourberies. Le 25 septembre, en Italie, l’extrême-droite de Giorgia Méloni, admiratrice de Mussolini, a remporté les élections. Elle affirmait en 2019 qu’elle se battrait «contre l’islamisation de l’Europe, parce que nous n’avons aucune intention de devenir un continent musulman».
Paul Pogba est aujourd’hui une star de l’équipe de la Juventus de Turin. Espérons que son marabout nous protégera de la menace Méloni et de l’extrême-droite islamophobe qui progresse partout en Europe. Le match est déjà difficile, nul n’est besoin d’apporter de l’eau à leur moulin. Être musulman exige d’être exemplaire. Aujourd’hui plus qu’hier.
Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.
Twitter: @AzouzBegag
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.