La démographie dans le Golfe: L’autre conséquence des réformes

Un pont aérien dans l'émirat du Golfe de Dubaï, le 24 juin 2022 (Photo, AFP).
Un pont aérien dans l'émirat du Golfe de Dubaï, le 24 juin 2022 (Photo, AFP).
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Publié le Vendredi 02 septembre 2022

La démographie dans le Golfe: L’autre conséquence des réformes

 La démographie dans le Golfe: L’autre conséquence des réformes
  • L’âge du mariage recule, le taux de fécondité chute et personne ne le remarque en Occident
  • Les réformes ont accéléré l’émancipation des femmes, avec de fortes conséquences sur leur statut familial que l’on ne peut plus ignorer

S’il est un thème sur lequel les Occidentaux se font beaucoup d’idées à propos du Golfe, c’est celui de la démographie, et notamment du nombre d’enfants par femme, de l’âge du mariage, du divorce…

Le cliché voudrait que les femmes arabes du Golfe se marient jeunes, qu’elles aient beaucoup d’enfants et qu’elles restent mariées toute leur vie. Toute personne qui travaille ou vit dans le Golfe et a vu cette région évoluer ne peut que s’inscrire en faux face à ces idées préconçues, mais le mieux est de revenir aux chiffres, qui montrent que le Golfe est entré résolument dans une forme de modernité sans que personne ne s’en aperçoive.

Dans le programme MBA que je dirigeais au Bahreïn, la première promotion d’étudiants, en 2011, comptait 85 % de femmes mariées pour une moyenne d’âge de 35 ans. La dernière promotion recrutée compte 80 % de femmes célibataires pour une moyenne d’âge identique. Ce n’est évidemment pas très représentatif, mais cela illustre parfaitement la rapidité du changement démographique dans le Golfe où l’on se marie plus de plus en plus tard.

Dans son étude réalisée en Arabie saoudite en 2011, l’anthropologue Amélie Le Renard interrogeait des étudiantes qui considéraient qu’il valait mieux se marier le plus tard possible, après avoir obtenu un diplôme, voire après avoir commencé à travailler. Ces propos se sont vérifiés à travers les chiffres, car l’âge moyen du premier mariage pour une Saoudienne a reculé de manière sensible entre 2006 et 2016: on ne comptait plus que 18 % de Saoudiennes mariées avant l’âge de 18 ans en 2016 contre 27 % en 2007 et 19 % se mariaient entre 25 et 30 ans contre 12 % dix ans plus tôt.

Ces données se retrouvent parmi les Saoudiennes interrogées pour nos études sociologiques: parmi les vingt femmes managers interrogées, quatorze sont célibataires pour un échantillon âgé de 33 ans en moyenne. La même enquête, réalisée sur vingt-trois Françaises issues de la deuxième génération nord-africaine, indique, pour un échantillon âgé de 36 ans en moyenne, dix-sept femmes mariées. 

Il en va de même pour le taux de fécondité. Les pays du Golfe ont aujourd’hui un taux de fécondité souvent proche, voire inférieur, au seuil de renouvellement des générations (2,1 enfants par femme) alors qu’il était très élevé il y a une trentaine d’années: en Arabie saoudite, les femmes avaient 7,21 enfants en moyenne en 1980 contre 2,28 en 2019, taux comparable à un pays occidental comme la France. Au Qatar, on tombe à 1,85; aux Émirats arabes unis (EAU), à 1,38. 

La transition démographique est donc parfaitement digérée et s’explique en grande partie par le grand tournant des années 2010 et l’ouverture de toutes les formations universitaires aux femmes ainsi que la possibilité d’exercer quasiment tous les emplois. En donnant de l’espoir aux femmes, on a contribué à changer les mentalités attachées au mariage et à la maternité en ramenant les chiffres à des valeurs raisonnables et parfaitement compatibles avec une émancipation en douceur.

Les familles modernes du Golfe sont donc très différentes de ce que l’on imagine depuis l’Europe. Elles ont moins d’enfants, se marient plus tard et, souvent, la femme travaille. 

Les couples divorcent également. L’Arabie saoudite compte d’ailleurs l’un des taux de divorce les plus importants du monde. On a tendance à expliquer ce taux par la facilité qu’ont les hommes pour divorcer eu égard à la loi, et là aussi, on se trompe. Amélie Le Renard avait démontré que, souvent, les femmes souhaitant divorcer «forçaient» leur mari à s’y résoudre en rentrant s’isoler chez leurs parents, attendant que celui-ci accepte de faire la démarche lui-même. On est donc loin, dans les faits, d’un divorce uniquement à l’initiative du mari.

On parle énormément de changement dans les sociétés arabes du Golfe en insistant sur les réformes économiques et sociales, mais on oublie souvent de s’intéresser aux conséquences de ce changement sur la composition de la structure familiale. 

Désormais, évoquer le Golfe sans prendre en compte ces données essentielles, c’est avoir une vision complètement biaisée de ce qui se joue ici et c’est surtout mésestimer la puissance de la modernité arabe.

 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.