François est cadre dans une entreprise saoudienne, il a décidé de rapatrier quelques meubles pour sa femme et sa fille qui déménagent en France. Il a donc fait appel à une entreprise qui doit mettre ses affaires dans un container puis faire embarquer ce container dans un cargo qui, en quarante jours, livrera les meubles à Paris.
Mais François fait face à une situation que tous les expatriés connaissent; ses meubles ont été enlevés en mai et l’entreprise lui a annoncé que la livraison était prévue le 12 septembre tout en lui facturant un prix deux fois plus élevé que celui pratiqué en temps ordinaire.
Ce petit exemple illustre assez bien les conséquences de la crise mondiale de l’approvisionnement. Partout dans le monde, faire livrer la moindre marchandise devient un véritable défi. Bien entendu, on accuse la conjoncture, avec la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, mais le problème est plus complexe.
Karim el-Kelainy est spécialiste en logistique. Directeur général de Trans Freight Projects and Logistics, société basée à Djeddah, il est confronté de plein fouet à cette crise. «Il y a d’abord la pénurie de containers. Aussi surprenant que cela puisse paraître, cela arrive régulièrement: on en produit trop, puis plus assez, mais en général, le problème dure assez peu de temps. La plupart des containers viennent de Chine où ils sont fabriqués et le quasi-blocus de la Chine pour cause de Covid nous met en situation de pénurie: on a donc moins de containers à l’échelle mondiale et ceux-ci sont de plus en plus rares et chers.»
La première explication est donc celle-ci, mais elle se double aussi d’un problème lié aux bateaux: «Aujourd’hui, il faudrait construire des bateaux, mais la Chine étant quasiment bloquée, les composants nécessaires ne peuvent être livrés et tout se bloque, surtout dans une situation à flux tendus. Je ne parle même pas des cargos qui, désormais, refusent de se rendre en Chine et dans certains pays asiatiques, car ils seront immobilisés trop longtemps, ce qui vient se rajouter au blocage mondial.»
Comme si tout cela ne suffisait pas, les difficultés logistiques se retrouvent également dans l’autre pays constituant le centre du commerce international: les États-Unis. M. El-Kelainy nous donne une explication inattendue: «Aux États-Unis, c’est un autre problème; on peut déposer des containers dans les ports, mais ils restent à quai. Il y a une énorme pénurie de chauffeurs de poids lourds, ce qui fait que les marchandises arrivent bel et bien aux États-Unis, mais qu’elles ne sont pas livrées à leur destinataire. De la même façon, faire livrer des biens américains dans le monde est un casse-tête pour les mêmes raisons.»
La situation relève donc de multiples facteurs et peu de solutions semblent en mesure de la faire évoluer. Il y a toujours trop peu de containers et de navires, la Chine est toujours bloquée et les États-Unis ont toujours aussi peu de chauffeurs de camion. «Les retards se sont accumulés, donc même si tout redevenait normal rapidement, le retour à des délais raisonnables à court terme semble illusoire.»
La région qui souffre le plus de cette situation mondiale est évidemment le Moyen-Orient, qui doit non seulement importer beaucoup de produits, mais qui exporte aussi de l’énergie et des matières premières. On imagine sans mal à quel point ces difficultés, qui paraissaient n’être que des problèmes d’intendance, peuvent devenir graves. Karim el-Kelainy donne quelques exemples: «En Europe, il est désormais quasiment impossible de trouver une voiture neuve, car les composants n’arrivent plus, des pénuries sont à déplorer pour certaines denrées alimentaires… c’est une situation que l’on pensait ne plus rencontrer et qui remet en cause une partie du confort auquel nous étions habitués.»
Force est de constater qu’un modèle d’approvisionnement est à réinventer afin de pouvoir non seulement être capable de se diriger vers davantage d’autosuffisance, notamment dans le Golfe, mais aussi pour moins dépendre des aléas du transport international.
Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe.
Ses derniers livres : « Femmes, musulmanes, cadres... Une intégration à la française » et « La femme est l’avenir du Golfe » parus aux éditions Le Bord de l’Eau.
Twitter: @LacheretArnaud
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.