Il y a deux ans, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, s’adressait aux dirigeants libanais en ces termes: «Aidez-nous à vous aider.» Cette même rengaine est répétée aujourd’hui dans les capitales occidentales et arabes. Les Libanais doivent se ressaisir pour que la communauté internationale les aide. Ils doivent se mettre d’accord entre eux et se rendre compte qu’il faut mettre en place des réformes pour ne pas plonger au fond du gouffre.
Cependant, les politiciens libanais ne semblent pas être d’accord entre eux. Par conséquent, une solution globale doit venir de l’extérieur et être imposée aux hommes politiques par la communauté internationale; sinon le pays échouera.
Tout le monde semble attendre. Mais espérer une solution, c’est comme attendre Godot: aucun parti politique ne prendra d’initiative, puisque aucune n’est en mesure de sauver le pays tout en permettant aux partis politiques existants de gagner, ou du moins de conserver les gains qu’ils ont accumulés au fil des années.
À Beyrouth règne une ambiance très étrange. Les gens sont soit engourdis, soit dans le déni, soit les deux à la fois. Ils cherchent à s’adapter aux pénuries tout en essayant de tirer le meilleur parti de ce qu’ils ont. On assiste à une petite reprise économique au cours de l’été en raison du retour des expatriés pour les vacances. Par conséquent, on a l’impression que les restaurants sont pleins et les centres commerciaux bondés. Mais la réalité est que la moitié des départements gouvernementaux du pays ne fonctionnent pas. Et l’autre moitié pourrait suivre dans les prochains mois.
En attendant, la communauté internationale insiste pour que le Fonds monétaire international (FMI) accorde un prêt de trois milliards de dollars (1 dollar = 0,97 euro) au pays sur cinq ans. Bien qu’il n’y ait pas eu de véritable audit de la Banque centrale, des spécialistes estiment qu’environ vingt milliards de dollars ont été gaspillés en subventions au cours des deux dernières années et demie. Ils supposent également qu’il reste environ dix milliards de dollars au Liban et que, une fois ce montant épuisé, il n’y aura plus rien à dépenser et le pays sera officiellement en faillite. Cela signifierait la désintégration de l’État, puisqu’il n'y aura plus de fonds pour payer les salaires des fonctionnaires, de la police et de l’armée.
Cependant, personne ne semble reconnaître la triste réalité que, dans quelques mois, le pays sera à sec. Jusqu’à présent, la moitié des départements du gouvernement sont dysfonctionnels. Les employés mal payés ne se rendent pas dans leurs bureaux. Même le renouvellement d’un passeport peut prendre plus d’un an si l’on postule en ligne et qu’on ne dispose pas de l’aide d’une personne influente au sein du service de sûreté générale.
Le patriarche maronite, Bechara Boutros Rahi, a demandé à plusieurs reprises la tenue d’une conférence internationale pour décider du sort du Liban selon les modalités de l’accord de Taëf, dans la mesure où les Libanais ne peuvent pas s’entendre entre eux. Il a été attaqué par de nombreuses personnes qui soutiennent que le Liban est une nation souveraine et qu’il devrait décider de son propre sort. Mais il a eu raison. Les politiciens libanais ne trouvent pas de solution pour sauver le pays étant donné qu’ils se soucient davantage de préserver leurs privilèges. Les forces du changement ne se sont pas avérées capables d’apporter beaucoup de changements.
Ironiquement, des études menées par le Baromètre arabe (réseau de recherche non partisan, NDLR) révèlent que 90% des Libanais ne sont pas satisfaits du système sectaire qui est en place et 90% pensent que la classe politique est corrompue; toutefois, lors des élections de mai, 90% des électeurs ont soutenu ces mêmes dirigeants politiques sectaires. Par conséquent, le changement – s’il doit avoir lieu – se produira très lentement, mais le Liban ne peut plus se permettre d’attendre. En plus de la perspective de la faillite, il est confronté à la fois à un conflit interne et à une confrontation externe.
Sur le plan interne, à la lumière des conditions économiques désastreuses, les discours de haine contre les réfugiés syriens ont atteint un niveau sans précédent. Cependant, ces derniers ne peuvent pas retourner en Syrie, parce que Bachar al-Assad ne veut pas d’eux et ils ne sont pas non plus en mesure de se rendre en Europe, puisque l’Occident n’est plus capable de les accueillir. Les tensions sont montées en flèche et un petit incident pourrait déclencher une confrontation incontrôlable.
Les politiciens libanais ne trouvent pas de solution pour sauver le pays étant donné qu’ils se soucient davantage de préserver leurs privilèges.
Dr Dania Koleilat Khatib
Sur le plan externe, Israël est très préoccupé par l’arsenal d’armes à guidage de précision du Hezbollah. Ce n’est qu’une question de temps et de collecte de renseignements avant qu’Israël ne décide de frapper les entrepôts d’armes du Hezbollah, ce qui conduirait à une guerre ouverte.
Le Liban a aujourd’hui de nombreuses décisions à prendre: la présidence, le poste de Premier ministre, le FMI et la délimitation des frontières maritimes avec Israël. La communauté internationale ne peut pas s’attendre à ce que les politiciens libanais privilégient l’intérêt de leur pays; ils ne peuvent pas compter sur le fait que le peuple libanais, qui lutte pour obtenir le minimum d’électricité, d’eau, de carburant et de pain pour sa survie quotidienne, s’organise et déracine le régime.
La solution doit venir de l’extérieur. Elle devrait être globale et doublée de mesures coercitives pour obliger les politiciens libanais à l’appliquer. La solution doit donc forcément être accompagnée de sanctions.
Il y a deux ans, M. Le Drian a prévenu que le Liban risquait de disparaître. Si la communauté internationale ne se mobilise pas rapidement et que le pays est laissé à la merci de ses politiciens corrompus, ce ne sera qu’une question de temps avant que cette prophétie ne devienne réalité.
La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com