Faut-il soutenir le président tunisien?

Un panneau d'affichage représentant le Tunisien Kais Saied est accroché sur le côté d'un immeuble de la ville de Kairouan, dans le centre-est, le 26 juillet 2022. Kabil BOUSENA / AFP
Un panneau d'affichage représentant le Tunisien Kais Saied est accroché sur le côté d'un immeuble de la ville de Kairouan, dans le centre-est, le 26 juillet 2022. Kabil BOUSENA / AFP
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Publié le Jeudi 04 août 2022

Faut-il soutenir le président tunisien?

Faut-il soutenir le président tunisien?
  • Les Français qui se croyaient familiers de la Tunisie regardent avec quelque étonnement et une certaine incompréhension ce qui s’y passe depuis une dizaine d’années
  • Hélas, l’espoir très réel suscité par ce qu’on a appelé bien imprudemment «le printemps arabe» fut de courte durée

Les Français qui se croyaient familiers de la Tunisie regardent avec quelque étonnement et une certaine incompréhension ce qui s’y passe depuis une dizaine d’années. En vacances à Hammamet ou à Djerba, en voyage d’affaires à Tunis, beaucoup d’entre nous y avaient leurs habitudes et s’y étaient même souvent fait des amis.

On avait apprécié Bourguiba, le père de la nation, qui avait conquis l’indépendance, mais gardé des liens étroits avec la France, qui avait développé en priorité la formation de la jeunesse et donné un statut plutôt libéral de la femme. La Tunisie avait ainsi l’image du pays le plus moderne du monde arabe, un modèle pour les autres, selon nous.

On avait enfin apprécié que, le moment venu, son ministre de l’Intérieur, un certain Ben Ali, prenne le pouvoir, et on avait plus ou moins passé l’éponge sur le durcissement du régime. Bref, pour les Français, la Tunisie allait cahin-caha et c’était pour tout dire assez confortable quand les relations avec ses voisins libyens et algériens étaient si compliquées et très souvent conflictuelles.

Hélas, l’espoir très réel suscité par ce qu’on a appelé bien imprudemment «le printemps arabe» fut de courte durée.

L’essentiel cependant n’avait pas échappé aux observateurs les plus attentifs et aux diplomates, tant à Paris qu’à Washington. L’essentiel, c’était d’abord que le régime était devenu ultracorrompu, que l’affairisme y régnait jusqu’au plus haut niveau de l’État et qu’en même temps le pays était livré à la brutalité d’un système policier généralisé. C’était aussi qu’il y avait d’un côté la population urbanisée autour de Tunis et des sites touristiques, en opposition aux habitants des campagnes pratiquement abandonnés à la misère. C’était enfin qu’une jeunesse de plus en plus nombreuse ne trouvait dans ce monde-là ni travail ni perspectives.

Vint alors la révolution du Jasmin, en 2011. Hélas, l’espoir très réel suscité par ce qu’on a appelé bien imprudemment «le printemps arabe» fut de courte durée. Le pouvoir, d’abord entre les mains des forces laïques, passa bientôt à Ennahdha, le mouvement des islamistes rentrés de leur exil londonien. Le peuple tunisien ne trouva son compte ni d’un côté ni de l’autre et ne garda de cette longue période chaotique que le désir d’en sortir au plus vite.

C’est ainsi que Kaïs Saïed fut élu président en 2019. Personnage pratiquement inconnu jusqu’alors, universitaire constitutionnaliste de tradition islamique, d’apparence plutôt falote, il élimina cependant sans peine tous ses concurrents en promettant le retour de l’ordre et de la stabilité.

Il y a évidemment tout lieu de s’interroger sur cette évolution qui a conduit la Tunisie en moins de deux ans vers un système fort peu démocratique, où pratiquement tous les intermédiaires ont été éliminé

Depuis lors, le nouveau président n’a eu de cesse d’écarter petit à petit toutes les institutions autour de lui: limogeage du Premier ministre, mise en congé du Parlement, avant qu’il soit bientôt dissous, suppression du Conseil supérieur de la magistrature. Désormais, il vient de faire approuver par référendum une nouvelle Constitution qui lui donne les pleins pouvoirs, avec le droit de dissoudre le Parlement à sa guise et sans aucun contrôle et de nommer le gouvernement, qui ne peut être renversé par le Parlement qu’à une improbable majorité des deux tiers.

Il y a évidemment tout lieu de s’interroger sur cette évolution qui a conduit la Tunisie en moins de deux ans vers un système fort peu démocratique, où pratiquement tous les intermédiaires ont été éliminés, en particulier les élus et les juges, à l’unique exception du puissant syndicat UGTT (Union générale tunisienne du travail, NDLR).

Kaïs Saïed va-t-il, comme certains le redoutent, s’en prendre désormais à ce dernier bastion de l’expression démocratique? Ou bien, au contraire, après avoir renversé en douceur et sans la moindre opposition populaire un système de type politique occidental qui, avouons-le, a échoué sur toute la ligne, va-t-il se satisfaire de ce nouveau régime qui correspond assez bien aux systèmes nationalistes autoritaires qui sont le lot du monde arabe? Un diplomate européen cité par le journal Le Monde le dit: «On est inquiets et on exprime régulièrement nos réserves. Mais tant que le processus actuel ne se traduit pas par des violations graves et massives des droits humains et ne menace pas la stabilité du pays – nos deux lignes rouges –, nous estimons que nous n’avons pas à le condamner.»

D’abord, l’économie tunisienne est au bord de l’effondrement.

Pour l’heure, deux sujets dominent. D’abord, l’économie tunisienne est au bord de l’effondrement. Le pouvoir négocie un prêt avec le FMI, que l’UE encourage et soutient. Il faudra toute l’autorité du président pour accompagner ce prêt des réformes économiques nécessaires.

Par ailleurs, au plan international, la Tunisie agit avec un certain savoir-faire. Kaïs Saïed est appuyé par le président égyptien, Fattah al-Sissi, lui-même encouragé par les Émirats arabes unis. En outre, il s’est récemment réconcilié avec l’Algérie en assistant aux cérémonies du 60e anniversaire de l’indépendance à Alger.

Enfin, la Tunisie a voté le 2 mars dernier la résolution de l’assemblée générale de l’ONU condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie et, le 26 avril, elle a participé à la rencontre organisée par les États-Unis sur la base de Ramstein (Allemagne) réunissant une quarantaine d’alliés des Américains au soutien de Kiev. Du coup, Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe, qui connaît bien la Tunisie, s’est abstenu de passer par Tunis lors de sa tournée africaine de ces derniers jours. Tous ces éléments mis bout à bout font qu’il est raisonnable de continuer à garder un contact amical avec le président tunisien.

Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.