La semaine prochaine, les Tunisiens seront confrontés à une décision difficile et pourtant bien familière. Après plus d'une décennie, les aspirations inassouvies seront probablement usurpées par un retour à une centralisation du pouvoir à la Ben Ali sous la forme d'un système présidentiel révisé, envisagé dans le cadre d'un projet de nouvelle constitution. Toutefois, il existe un autre scénario possible : les Tunisiens, conscients de l'urgence de la situation, pourraient se rassembler une fois de plus pour raviver la fureur – qui a secoué le monde arabe en 2011 – pour mettre définitivement fin aux projets de présidence de Kaïs Saïed dans ce qui aurait dû être la première véritable démocratie du monde arabe.
La plupart des observateurs externes s'attendent à ce que le référendum constitutionnel prévu soit adopté, quoique difficilement, en raison des appels au boycott lancés par l'opposition, ce qui risque de faire baisser le taux de participation. L'apathie généralisée des Tunisiens – qui semblent frustrés par les difficultés socio-économiques et par le chaos politique qui dure depuis près de dix ans – aura également un impact sur le taux de participation et sur le vote final.
Avec la chaleur étouffante de l'été, la flambée des prix des denrées alimentaires et les perspectives d'embauche en baisse, les Tunisiens n'ont tout simplement pas la force de remplir les rues et de contester vigoureusement la prise de pouvoir de Saïed, surtout en l'absence d'un mouvement d'opposition organisé et uni. Par conséquent, le pillage du président des normes démocratiques durement acquises, qui culmine avec le référendum de la semaine prochaine auquel le gouvernement est à peine préparé, marquera le dernier chapitre de l'expérience démocratique de la Tunisie.
D'où la question : que réserve l'ère Saïed à la Tunisie ?
En un mot, un mélange étourdissant de principes contradictoires et de procédures compliquées, éparpillés dans le projet de constitution, sera le fondement de l'avenir politique du pays. Malheureusement, la « récompense » du public pour son indifférence et son apathie justifiées n'est autre qu'un paysage confus et non libéral – un contraste frappant avec les réalisations tant vantées il y a huit ans, au sommet de la démocratisation de la Tunisie.
Par ailleurs, selon les prévisions, si 30 % des Tunisiens donnent à Saïed un blanc-seing le 25 juillet, cela ne fera que concrétiser un projet que le président préconise depuis 2011. Ainsi, la présidence deviendra l'État même, tournant en dérision la séparation des pouvoirs en usurpant le pouvoir législatif, en effaçant l'autonomie du pouvoir judiciaire et en rendant la commission électorale obsolète – toutes des caractéristiques de la Constitution de 2014.
La priorité accordée à la mise en place d'une pyramide inversée du pouvoir pour assurer la représentation populaire dans les processus politiques tunisiens est particulièrement préoccupante. Les idées de Saïed ne sont pas exactement révolutionnaires, ni réalisables, parce qu'un tel système de gouvernance ressemble beaucoup à la Jamahiriya de Mouammar Kadhafi, qui a écrasé la Libye voisine pendant 42 ans jusqu'à sa chute en 2011. Dans cette Jamahiriya, Kadhafi a tenté d'inverser les structures traditionnelles du pouvoir en Libye en créant des conseils locaux, tandis que le pouvoir décisionnel demeurait entre les mains de la présidence et qu'une intolérance notoire à l'égard de la dissidence châtiait la population.
Les Tunisiens voient déjà leur destin se dessiner des années après l'ère discordante de Saïed. Après tout, la fin naturelle d'une pyramide de pouvoir inversée se manifeste de l'autre côté de la frontière orientale de la Tunisie, et constitue un rappel crucial et tragique du besoin de résister à l'attrait de la nouveauté par rapport aux difficultés inévitables de la mise en place d'une démocratie fonctionnelle.
En théorie, l'hyper-présidentialisme de Saïed, déguisé en restitution du pouvoir au peuple, semble séduisant, surtout pour un public épuisé par une élite politique inefficace qui privilégie les querelles futiles au lieu de prendre des mesures décisives pour éviter l'effondrement socio-économique et mettre fin au malaise politique de la Tunisie. En feignant de donner une voix aux sans-voix, pour ainsi dire, il est devenu possible de centrer cette vision marginale de la démocratie directe.
« Il est peut-être encore trop tôt pour déclarer que l'expérience de la démocratie en Tunisie est terminée. Cependant, il est de moins en moins probable que les Tunisiens surmontent leur apathie et leur découragement pour faire face à une tempête qui menace maintenant de décimer les aspirations auxquelles ils tenaient autrefois ».
Hafed Al-Ghwell
En outre, en tergiversant au sujet de la réforme économique et en reprenant les caprices populistes, Saïed a gagné la collusion tacite d'une classe moyenne urbaine tunisienne traditionnellement très active et fortement syndiquée. Ce groupe est de plus en plus déconcerté par l'idée que les gouvernements successifs cèdent aux demandes d'austérité douloureuse afin d'obtenir une aide de 4 milliards de dollars du Fonds monétaire international.
Mais, bizarrement, même après que Saïed a autorisé les pourparlers entre le gouvernement et le FMI, en plus de dissoudre le Conseil supérieur de la magistrature, le plus grand syndicat tunisien – l'Union générale tunisienne du travail – s'est abstenu de s'opposer au programme politique du président. En résistant à la tentation de rassembler un mouvement d'opposition en plein désarroi pour qu'il rejette de façon catégorique la politique de Saïed, le syndicat a indirectement soutenu l'unilatéralisme du président, qui finira par mettre l'accent sur toutes les sources potentielles de dissidence.
Le licenciement de près de 60 juges du Conseil judiciaire aurait dû provoquer une rupture au sein du syndicat, compte tenu de la menace que représente le pouvoir judiciaire pour les manœuvres politiques de Saïed, consignées dans ce projet de constitution. Si une faible majorité devait instituer un président Kaïs Saïed sans contraintes et sans comptes à rendre, il y a peu d'espoir que les vastes rangs du syndicat soient suffisants pour contrer les inévitables projets visant à limiter son pouvoir et son influence futurs.
Non seulement la guerre de Saïed contre le système judiciaire illustre ce à quoi l'opposition devrait s'attendre après l'adoption du référendum, mais le fait d'habiliter les conseils locaux à envoyer des représentants aux conseils régionaux qui, à leur tour, nommeront des représentants à un parlement remanié, constitue aussi une finalité sinistre. En effet, cette formule de démocratie directe ne permettra que la tenue d'élections à un niveau très local, éradiquant complètement les partis politiques nationaux – dernier refuge possible pour l'opposition – et laissant la Tunisie, paradoxalement, face à un système qui n'a rien d'une démocratie.
Le projet de constitution de juin 2022 prévoit également un corps législatif bicaméral, mais aucun des représentants ne sera élu directement par les Tunisiens moyens, et les nouvelles lois électorales devraient plutôt favoriser les candidats indépendants – mais, même dans ce cas, rien n'est garanti. Après tout, la nouvelle constitution est aussi imprécise que truffée de failles que la présidence pourra et voudra exploiter pour renforcer et consolider son pouvoir autocratique. Prenons, à titre d'exemple, ce que les 34 articles du projet de juin 2022 disent des droits personnels et des libertés civiles. Un examen rapide semble indiquer que la Constitution protègera toute une série de libertés, mais en creusant davantage, des articles supplémentaires ont l'air de restreindre ces droits en fonction de vagues critères culturels, religieux et même moraux.
Comme dans les constitutions autocratiques d'autres pays arabes, les choses ne sont jamais ce qu'elles semblent être, puisque des stipulations ou des conditions intentionnellement imprécises permettent aux despotes en herbe d'exploiter des failles importantes, notamment dans l'interprétation des libertés et des droits individuels, afin de les limiter ou de les supprimer. Il en est de même pour les procédures et les articles proposés qui, en théorie, sont considérés comme des contrôles de l'autorité exécutive mais, dans la pratique, tendent à favoriser les excès et les abus de pouvoir.
Il est peut-être encore trop tôt pour déclarer que l'expérience de la démocratie en Tunisie est terminée. Cependant, il est de moins en moins probable que les Tunisiens surmontent leur apathie et leur découragement pour faire face à une tempête qui menace maintenant de décimer les aspirations auxquelles ils tenaient autrefois. Enfin, il est peu probable que les malheurs de la Tunisie fassent des remous ou retiennent l'attention si ce n'est par des déclarations superficielles exprimant une indignation morale. Le seul espoir qui subsiste réside dans le fait de croire qu'il faudra plus qu'un référendum médiocre pour que le pays d'Afrique du Nord retourne à l'autocratie, surtout en présence d’un formidable mouvement d'opposition qui doit encore se mobiliser.
• Hafed al-Ghwell est chercheur principal non résident au Foreign Policy Institute de la John Hopkins University School of Advanced International Studies. Il est également conseiller principal au sein du cabinet de conseil économique international Maxwell Stamp et de la société de conseil en risques géopolitiques Oxford Analytica, membre du groupe Strategic Advisory Solutions International à Washington DC et ancien conseiller du conseil d’administration du Groupe de la Banque mondiale.
Twitter: @HafedAlGhwell
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com