Et si nous étions en train d’assister à la construction d’un nouvel axe arabo-occidental sans vraiment nous en rendre compte? Tout observateur de l’Arabie saoudite remarquera qu’un pays occidental devient à bas bruit un partenaire privilégié du Royaume. Ce pays occidental, c’est la France.
Alors qu’on attendait une coopération culturelle assez classique de la diplomatie française comme elle en a souvent l’habitude avec le monde arabe, force est de constater que la coopération va ici beaucoup plus loin.
La visite du prince héritier, Mohammed ben Salmane, à Paris, sera en effet l’occasion de ne pas uniquement aborder des considérations culturelles ou artistiques et la délégation qui l’accompagne est très largement composée d’acteurs économiques de tout premier plan.
On peut penser à titre d’exemple au groupe hôtelier et touristique Al-Hokair, dont l’agenda parisien ces prochains jours ne désemplit pas et qui initie une véritable opération séduction auprès d’investisseurs et de partenaires institutionnels français. Il faut dire qu’avec le lancement de la Saudi Entertainment Academy, qui vise à former les Saoudiens désireux de travailler dans le secteur du tourisme, Al-Hokair a déjà des relations privilégiées avec l’université de Nice et l’académie de Paris, mais aussi avec de nombreux partenaires privés de haut rang.
La visite du prince héritier, Mohammed ben Salmane, à Paris, sera en effet l’occasion de ne pas uniquement aborder des considérations culturelles ou artistiques et la délégation qui l’accompagne est très largement composée d’acteurs économiques de tout premier plan.
- Arnaud Lacheret
On évoquera aussi des sujets mutuellement profitables, notamment dans le domaine de l’industrie. La réindustrialisation de la France, chère au président du Medef international, Frédéric Sanchez, PDG du fleuron industriel Fives, est un des sujets du nouveau quinquennat d’Emmanuel Macron. Frédéric Sanchez est très bien placé pour connaître le potentiel de l’Arabie saoudite, car l’axe de développement de Fives dans le Royaume est une priorité stratégique: le groupe s’est même installé au Bahreïn pour commencer à travailler avec le marché saoudien. Il est donc évident que les industriels français et saoudiens vont se parler et faire des affaires cette semaine et ce n’est pas un hasard.
Concernant le commerce et le savoir-faire français, on assiste aussi à une recrudescence d’enseignes tricolores dans les rues de Riyad ou de Djeddah que l’on ne remarque pas forcément depuis Paris. Qui sait, par exemple, que le premier magasin de l’enseigne «La Vie Claire», spécialisée dans les produits bio, vient juste d’être inauguré à Riyad et qu’il n’est que le premier d’une longue série? Là aussi, cette idylle est tout sauf une coïncidence.
En effet, la France contribue fortement à la formation des managers d’Arabie saoudite. On connaît l’implication de l’Essec à travers la French Arabian Business School qui a permis de diplômer des centaines de Saoudiens qui, désormais, sont forcément des acteurs déterminants de ce rapprochement. L’Essec a d’ailleurs effectué une tournée en Arabie saoudite en avril qui fut couronnée de succès; de nombreux contrats de formation continue sont en discussion et ils devraient aboutir rapidement. L’autre leader mondial des écoles de management, HEC, n’est pas en reste avec le lancement d’une partie de son executive MBA en lien avec le fonds souverain d’Arabie saoudite, via des cours dispensés à Riyad.
Ces actions, qui s’inscrivent dans le long terme, portent leurs fruits et elles expliquent en partie le fait qu’Emmanuel Macron ait été le premier dirigeant occidental à rendre visite à Mohammed ben Salmane cette année. La visite de cette semaine est bien plus qu’un renvoi d’ascenseur, c’est la concrétisation de négociations qui ont lieu depuis des mois entre acteurs économiques et culturels de premier plan et qui sont habilement passées sous les radars médiatiques. Tout le monde fut surpris, le 4 décembre 2021, de l’ampleur des annonces de partenariats communiquées par les deux dirigeants lors de leur rencontre. Ils n’étaient pas réputés pour être proches personnellement et pourtant, cette rencontre a permis de dévoiler les centaines de projets franco-saoudiens qui n’attendaient qu’une officialisation.
Bien entendu, on parlera énormément d’AlUla, de Neom, de culture et de tourisme durant ces prochains jours, mais il faudra être beaucoup plus attentif à ce qui se passera plus discrètement, dans le domaine de l’énergie, de l’industrie, de l’eau, du développement durable… Les deux pays semblent vivre une lune de miel partenariale d’autant plus forte qu’elle est très discrète et qu’elle se fait à l’abri des polémiques et des éclats de voix. Nul doute que cette semaine sera décisive, car elle permettra de lever le voile sur quelques-unes des pépites partenariales que les deux pays officialiseront.
Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe.
Ses derniers livres : « Femmes, musulmanes, cadres... Une intégration à la française » et « La femme est l’avenir du Golfe » parus aux éditions Le Bord de l’Eau.
Twitter: @LacheretArnaud
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.