Les solutions temporaires à la crise des réfugiés syriens sont vouées à l’échec

Des Syriens déplacés arrivent au camp de Deir al-Ballut dans la campagne d'Afrin, le long de la frontière avec la Turquie, le 19 février 2020. (Photo d'archive AFP)
Des Syriens déplacés arrivent au camp de Deir al-Ballut dans la campagne d'Afrin, le long de la frontière avec la Turquie, le 19 février 2020. (Photo d'archive AFP)
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Publié le Samedi 25 juin 2022

Les solutions temporaires à la crise des réfugiés syriens sont vouées à l’échec

Les solutions temporaires à la crise des réfugiés syriens sont vouées à l’échec
  • Le retour des réfugiés en Syrie n’est pas possible sans un changement au niveau des services de sécurité dans le pays et leur rapatriement ne pourra pas se faire si Bachar al-Assad est toujours au pouvoir
  • Tous les appels au retour des réfugiés sont futiles et ne visent qu’à servir des slogans populistes ou à faire chanter la communauté internationale

 À l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés lundi, le Premier ministre libanais, Najib Mikati, a tenu un discours affecté sur les réfugiés syriens. Le Liban accueille près d’1,7 million de réfugiés – 200 000 Palestiniens qui errent dans des camps depuis 1948 et 1,5 million de Syriens qui demeurent dans le pays depuis onze ans.  

M. Mikati a utilisé les mêmes arguments que son prédécesseur, Saad Hariri, faisant porter aux réfugiés la responsabilité des calamités économiques du pays et les utilisant comme bouc émissaire et comme monnaie d’échange pour négocier avec la communauté internationale. Le Liban a profité de la Journée mondiale des réfugiés pour demander à la communauté internationale 3,2 milliards de dollars (1 dollar = 0,95 euro) afin d’aider à couvrir les frais d’accueil des Syriens. 

Le Premier ministre affirme que le gouvernement libanais prendra des mesures qui ne plairont pas à l’Occident si le monde ne se mobilise pas pour que les réfugiés retournent en Syrie. Il indique qu’il utilisera des «méthodes légales» pour les renvoyer. 

De même, alors que les préparatifs pour l’élection présidentielle de l’année prochaine en Turquie battent leur plein, les différents candidats s’affrontent afin de savoir lequel sera le plus déterminé et le plus efficace pour renvoyer chez eux les 3,6 millions de réfugiés syriens que le pays accueille, quitte à ce qu’ils soient de nouveau à la merci de Bachar al-Assad. 

Nombreux sont ceux qui n’aiment pas les réfugiés. Tout d’abord, il y a l’aspect culturel, car les gens se sentent envahis par des étrangers qui ont des habitudes différentes et qui parlent d’autres langues. La deuxième raison est d’ordre économique, même si les réfugiés contribuent à l’économie, étant donné qu’ils reçoivent une aide internationale qui revient au pays qui les accueille. Cependant, ils sont en concurrence avec la main-d’œuvre locale lorsqu’il s’agit d’emplois subalternes. Comme ils ont tendance à travailler au noir, ils sont généralement prêts à accepter des salaires inférieurs à ceux de la population locale. 

Les gens accusent aussi souvent les réfugiés d'être responsables de la criminalité et de la décadence. Le gouvernement corrompu du Liban – et l’ancien ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, en particulier – a régulièrement fait porter aux réfugiés la responsabilité des calamités du pays. Cependant, le retour des réfugiés en Syrie n’est pas possible sans un changement au niveau des services de sécurité dans le pays. Leur rapatriement ne pourra pas se faire si Bachar al-Assad est toujours au pouvoir. 

Désormais, cependant, la situation est encore plus compliquée, car les Russes perdent leur l’influence en Syrie au profit des Iraniens. Moscou voulait organiser le retour des réfugiés, car cela permettrait de stabiliser la Syrie et de débloquer l’aide internationale. La Russie est intervenue en Syrie parce que c’était une bonne occasion de rétablir son influence au Moyen-Orient et de se faire une place en Méditerranée. Elle a cependant besoin de stabilité pour arrêter de perdre de l’argent et récupérer une partie de ses investissements. Mais la stabilité n’est pas vraiment l’objectif de M. Al-Assad qui veut plutôt rester au pouvoir. 

Les tentatives des Russes de faire pression sur Bachar al-Assad pour faciliter le retour des réfugiés ont échoué. Pour commencer, en 2018, la Russie a incité M. Al-Assad à accorder l’amnistie à ceux qui ont déserté la conscription obligatoire. Le président syrien avait insisté pour imposer une amende et une peine de prison à ceux qui atteignaient l’âge de 18 ans et ne se présentaient pas à la conscription. Cela a poussé les familles qui avaient des enfants de cet âge à quitter le pays. 

Même s’il se sentait obligé de faire plaisir à son patron, Bachar al-Assad voulait contourner le décret et empêcher le retour des réfugiés. Ses forces ont alors procédé à l’arrestation des rapatriés pour différentes raisons telles que le terrorisme, entre autres crimes. Cela a dissuadé les personnes qui voulaient profiter de l’amnistie. En ce qui concerne ceux qui voulaient rentrer pour s’enregistrer auprès de l’Agence des nations unies pour les réfugiés (HCR), le régime a uniquement permis à une petite partie d’entre eux de le faire. 

Un autre problème est celui des colons. Selon les Syriens, les partisans du Hezbollah s’installent dans les maisons de ceux qui ont fui leurs atrocités. Par conséquent, même ceux qui sont prêts à rentrer et à se conformer au régime brutal de Bachar al-Assad pourraient se retrouver sans maison. 

M. Al-Assad affirme que la Syrie n’est pas la patrie des personnes qui détiennent le passeport, mais de celles qui lui sont fidèles – soit fidèles envers son régime et lui. Il insiste sur le fait que la guerre a rendu la société syrienne plus «homogène», sous-entendant que ceux qui ont fui le pays sont une aberration. C’est le signe que tous les appels au retour des réfugiés sont futiles et ne visent qu’à servir des slogans populistes ou à faire chanter la communauté internationale. Leur retour ne peut se faire sans véritable transition politique. 

Le discours de Najib Mikati est conforme à la politique libanaise de chantage vis-à-vis de la communauté internationale pour financer sa corruption et son incompétence. Dans le cas de la Turquie, le président, Recep Tayyip Erdogan, – qui a accepté les réfugiés à bras ouverts affirmant que le Prophète était un réfugié et qu’il était donc de son devoir d’accueillir des frères qui fuient l’oppression – change désormais de discours. 

Les partisans du président turc ne veulent plus des réfugiés. Ce dernier perd de sa popularité, car il est considéré comme le principal responsable dans ce pays qui accueille des millions de réfugiés. Ses adversaires insistent sur cette question et cela pourrait même lui coûter la présidence. En effet, les sondages montrent qu’il est distancé par ses concurrents. 

«Tous les appels au retour des réfugiés sont futiles et ne visent qu’à servir des slogans populistes ou à faire chanter la communauté internationale.»

Dr Dania Koleilat Khatib

Cependant, toutes les propositions des pays voisins ne présentent aucune véritable solution de rechange. Le Liban suggère d’envoyer les réfugiés à Qalamoun, Alep et Al-Qousseir –directement dans les filets de M. Al-Assad. Le projet turc, qui consiste à réinstaller des réfugiés dans le nord-est de la Syrie pour créer une zone tampon entre sa frontière et les Unités kurdes de protection du peuple (YPG), n’est pas réalisable. Si ce projet est exécuté par la force, il pourra entraîner un désastre tant pour les réfugiés que pour les Kurdes. L’idée d’envoyer des réfugiés dans des «zones sûres» ne fera que compliquer le conflit et créer davantage de tension et de violence. 

Les moyens rapides ne fonctionnent pas. Bien que les différents acteurs cherchent des solutions temporaires pour se libérer du fardeau des réfugiés, la seule solution durable est que la guerre se termine et que les réfugiés retournent chez eux – pas chez les autres. 

La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise.  

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com